Intervention de Agnès Canayer

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 25 novembre 2020 à 8h30
Projet de loi de finances pour 2021 — Mission « justice » - programmes « justice judiciaire » et « accès au droit et à la justice » - examen du rapport pour avis

Photo de Agnès CanayerAgnès Canayer, rapporteur pour avis :

La mission « Justice » regroupe quatre programmes : le programme 166 « Justice judiciaire » ; le programme 101 « Accès au droit et à la justice » ; le programme 310 « Conduite et pilotage de la politique judiciaire » ; et enfin, le programme 355 « Conseil supérieur de la magistrature ».

À première vue, le budget paraît intéressant ; mais très vite, on se rend compte que son application concrète suscite de vives interrogations. On nous annonce un budget historique, avec une augmentation notable des crédits à hauteur de 8 %, soit 600 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2020, pour atteindre le total de 8,2 milliards d'euros, hors pensions. Il s'agit, surtout, de 200 millions supplémentaires par rapport à l'enveloppe prévue par la loi de programmation du 23 mars 2019 ; le montant est même conforme aux demandes formulées par le Sénat au cours de l'examen de ce texte.

En vérité, nous sommes assez loin du budget historique dont se targue le garde des sceaux. Cet écart de 200 millions d'euros s'explique, tout d'abord, par une évolution de son périmètre, en raison notamment de l'absorption du contentieux de la sécurité sociale par les tribunaux judiciaires, et ensuite, par un effort de rattrapage du retard accumulé en 2020 sur l'exécution de la loi de programmation, d'environ 150 millions d'euros.

L'application concrète de ce budget soulève de nombreuses questions ; j'aborderai celles qui concernent les frais de justice, les emplois et l'aide juridictionnelle.

Le budget consacré à la justice judiciaire prévoit une augmentation de 208 millions d'euros, soit une hausse de 6 % par rapport à 2020. Cette augmentation résulte pour une large part des 127 millions d'euros supplémentaires alloués aux frais de justice. Deux bémols à l'analyse positive de cette augmentation : l'enveloppe, régulièrement sous-dotée, bénéficie donc cette année d'un rattrapage ; et il reste encore 175 millions d'euros de charges restant à payer au titre de 2019.

Concernant les emplois, 1 082 recrutements, au total, sont annoncés. Pour autant, cette hausse est en trompe-l'oeil : sur ces 1 082 recrutements, on compte 168 emplois pérennes - dont 50 magistrats et 100 greffiers - et 914 postes de contractuels, dont une grande partie sont prévus par la quatrième loi de finances rectificative pour 2020. Ces recrutements temporaires - juristes assistants, assistants-greffiers -, que le garde des sceaux qualifie de « sucres rapides », sont destinés à la justice pénale de proximité.

Le nombre des emplois pérennes est donc inférieur à celui de 2020, qui proposait la création de 513 postes : 100 magistrats et 413 greffiers. Si le taux de vacance des magistrats est aujourd'hui résorbé - moins de 1 % -, celui des greffiers avoisine les 7 % - il manque 670 emplois de greffiers.

Par ailleurs, tout le monde peut s'accorder sur l'objectif louable de favoriser la justice pénale de proximité. Mais la vraie justice de proximité, c'est avant tout la justice civile, celle du quotidien. Or ces emplois temporaires sont fléchés sur la justice pénale alors qu'elle rend trois fois moins de décisions chaque année que la justice civile et commerciale.

Le stock d'affaires en attente d'être jugées est en inflation constante. Il s'est accru au 1er janvier 2019 de 200 000 affaires avec l'intégration du contentieux des anciennes juridictions sociales et s'est, en outre, alourdi de 18 000 affaires en raison du ralentissement de l'activité juridictionnelle lors de la crise de la covid-19 et la grève des avocats en 2020 ; il n'est donc pas certain que ces « sucres rapides » permettent d'éviter la crise.

Enfin, la revalorisation de l'aide juridictionnelle, très attendue par les avocats, se fera de deux manières : par une augmentation de l'unité de valeur de 32 à 34 euros ; et par une revalorisation ciblée du barème de certaines missions, comme les auditions libres et la médiation. Le financement de cette revalorisation est prévu à hauteur de 27,5 millions d'euros dans le budget 2021. Déjà estimée à 50 millions d'euros en année pleine, cette augmentation est largement inférieure aux 100 millions d'euros recommandés par la mission Perben.

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