Je partage l'idée selon laquelle il ne s'agit pas uniquement d'une question budgétaire. L'argent ne fait pas le bonheur, mais contribue à l'efficacité, notamment au regard de la masse de difficultés à laquelle nous avons à faire face.
Vous dites que les efforts ne sont pas toujours récompensés. Mais cela est vrai aussi dans la vie, et non pas uniquement dans le cadre d'une politique migratoire. Cependant, il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni même de réussir pour persévérer.
Vous me demandez aussi si une nouvelle loi ne serait pas nécessaire. Je n'en suis pas du tout certain. L'un des problèmes de notre législation, et sans doute même du ministère de l'intérieur, est de rechercher au travers de nouvelles lois ce que nous sommes incapables de résoudre, soit au niveau international, soit avec l'arsenal juridique que le Parlement a mis à notre disposition.
Je prendrai un exemple très concret. L'obligation de quitter le territoire français, la principale mesure d'éloignement concernant les étrangers, est valable un an. Or, elle n'est pas toujours prise à bon escient par l'autorité préfectorale, puisqu'une personne peut être condamnée pour être en situation irrégulière à une peine supérieure à un an, de sorte que, à sa sortie de prison, l'OQTF ne peut s'appliquer. Pour ce faire, elle aurait dû être prononcée quelques semaines avant sa sortie de prison. Une coordination est donc nécessaire.
Par ailleurs, l'autorité préfectorale ne prononce pas toujours l'interdiction de retour sur le territoire national, qui est une autre décision administrative. Il m'est arrivé de constater que des étrangers expulsés dans des pays proches de la France revenaient rapidement, parce que cette interdiction n'avait pas été prononcée. Là aussi, une bonne coordination est nécessaire, soit avec la justice, si c'est elle qui prononce cette interdiction, soit avec l'autorité préfectorale.
J'ai demandé au directeur général des étrangers en France (DGEF) de pouvoir établir un seul document administratif : si l'autorité préfectorale prononce une OQTF, une interdiction de retour est également inscrite dans le même document. Les deux mesures sont attaquables devant la juridiction administrative, mais les recours sont différents.
Pour contrer les difficultés rencontrées, j'évoquerai d'abord la meilleure tenue de nos frontières. Pour éviter d'expulser, commençons par limiter les entrées.
Pour la quatorzième fois, depuis la présidence de Français Hollande, nous avons renouvelé notre demande d'application d'une exception Schengen, devant la Commission européenne, dans le cadre notamment des attentats terroristes - mais pas uniquement. Nous avons - enfin ! - obtenu l'autorisation de doubler le contrôle aux frontières ; il n'y a jamais eu autant de policiers et de gendarmes aux frontières métropolitaines. Nous avons disposé l'essentiel des moyens qui manquaient notamment à la frontière avec l'Espagne, qui est une route de migration désormais de plus en plus importante, notamment en provenance d'Algérie, avec des embarcations qui arrivent sur les côtes espagnoles.
Ensuite, nous faisons de la coopération avec nos pays voisins. Jusqu'à présent, nous nous regardions un peu trop en chiens de faïence, ne sachant quoi faire des migrants dits « dublinés » - soumis au règlement de Dublin.
J'ai trouvé un accord avec ma collègue italienne, que je remercie : dès le 10 décembre prochain, des forces de l'ordre franco-italiennes patrouilleront entre Vintimille et Menton, permettant ainsi d'éviter le marché de dupes que peut être parfois le règlement de Dublin, avec des migrants faisant des allers et retours entre nos pays, épuisant ainsi les forces de l'ordre.
Je rencontrerai également mon homologue belge qui vient d'être nommé, puisque 60 % des personnes qui se retrouvent à Calais viennent de Belgique. Nous savons tous, depuis Bonaparte, que la route la plus rapide passe par les Pays-Bas et la Belgique.
Enfin, j'évoquerai les visas. Le Président de la République a pris une décision très forte, l'année dernière, sur la réduction du nombre de visas à l'encontre de l'Algérie. J'ai effectué une tournée des pays du Maghreb à la demande du Président de la République, au cours de laquelle j'ai expliqué que, outre la lutte antiterroriste, nous devions appliquer notre politique migratoire. Bien entendu, si nous ne souhaitons pas limiter la coopération économique ni la venue des étudiants, nous devons coupler notre politique des visas avec la politique des laissez-passer consulaires. Le président Macron avait très clairement exposé notre position aux dirigeants, avant ma visite.
Cette politique s'applique, bien entendu, ce n'est pas négociable, aux personnes inscrites au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), mais également aux migrants en général. Le Président de la République aura l'occasion de s'exprimer sur cette question, notamment en prévision du débat parlementaire sur l'immigration que nous avons chaque année.
Concernant le « paquet asile », la Commission européenne a présenté une proposition qui nous paraît satisfaisante, sur l'immigration et l'asile. Nous en avons discuté lors de plusieurs conseils européens, j'espère que celui du mois de décembre permettra de l'adopter. Cependant, la France n'adoptera pas n'importe quoi. Nous sommes, sur cette question, très alignés avec les Allemands, qui président en ce moment le Conseil de l'Union européenne. Nous souhaitons que ce « paquet asile » repose sur deux jambes.
Premièrement, l'examen de toutes les demandes d'asile doit être fait dans un cadre européen. Je rappelle que si l'Italie connaît l'essentiel de l'immigration d'asile, c'est bien en France qu'il y a le plus de demandes. La majorité des migrants viennent en France, soit parce qu'ils veulent se rendre en Grande-Bretagne, soit parce qu'ils ont une communion de travail, d'esprit, de famille et de langue avec notre pays - je pense aux pays du Maghreb et à ceux de l'Afrique subsaharienne.
Nous demandons donc que les demandes d'asile soient étudiées dans les pays d'arrivée. Que ces pays - l'Italie, Malte, la Grèce, l'Espagne - disposent d'endroits pour accueillir les migrants et que leur demande - ils ne pourront en faire qu'une dans l'Union européenne - soit étudiée en quelques semaines. Nous proposons, bien sûr, de participer au financement des centres d'asile, nous pouvons même imaginer détacher des agents publics pour aller étudier les demandes d'asile. Mais nous devons, à tout prix, retenir les migrants dans le pays d'arrivée. Il s'agit d'une idée révolutionnaire, qui gêne bien évidemment les pays d'entrée.
Deuxièmement, nous devons être solidaires avec ces pays. La France est très bien placée pour en parler, car nous avons toujours joué cette solidarité, contrairement à d'autres pays, qui donnent des leçons ici et là. Une solidarité notamment dans la répartition du nombre de personnes qui arriveraient sur le territoire européen, un nombre qui pourrait augmenter, une fois la crise sanitaire terminée.
Cette contrepartie est importante, car si les pays européens ne sont pas solidaires des pays d'entrée des migrants, ce sont les Turcs qui protégeront les frontières, comme ils le font déjà à Malte.
Enfin, vous avez demandé quelle était la priorité de notre politique migratoire. La priorité des priorités, notamment pendant la pandémie, est de pouvoir expulser du territoire national tous les étrangers en situation irrégulière fichés islamistes radicaux. Avant les derniers attentats, 231 étrangers en situation irrégulière fichés au FSPRT ont été expulsés. De plus, 51 d'entre eux sont actuellement en centre de rétention administrative (CRA), 57 ont été expulsés depuis ma conférence de presse, 29 sont assignés à résidence. Plus de la moitié sont donc hors d'état de nuire ou expulsés du territoire national.
Nous devons continuer à ficher les islamistes radicaux, mais, parmi les difficultés que nous rencontrons, figure évidemment la possibilité d'avoir une discussion avec les pays avec lesquels nous n'avons pas de relations diplomatiques, tels que la Syrie ou la Libye. Nous parlons cependant là d'une part infime de personnes que nous ne pouvons pas expulser. Nous avons toutefois réussi à expulser, il y a deux jours, trois Afghans fichés au FSPRT, ce qui n'avait jamais été fait. Nous avons également réussi, malgré la pandémie et la complexité du pays, à négocier un laissez-passer consulaire avec le Gouvernement afghan.
Seconde priorité : j'ai donné une instruction très claire aux préfets, pour appliquer les lois de la République. Tout étranger qui trouble gravement l'ordre public doit se voir retirer sa carte de résident et être expulsé du territoire national.
Depuis cette instruction du 29 septembre, que je tiens à votre disposition, sur 1 200 renouvellements de cartes de résident en Seine-Saint-Denis, 130 ont été retirées ou non renouvelées. Je ferai un point avec la ministre, l'application de cette circulaire devant être précise.
Bien sûr, être étranger en situation irrégulière en France, ce n'est pas bien. Mais entre deux personnes que nous devons expulser, dans des conditions parfois compliquées, je préfère que nous nous concentrions sur celles qui ne respectent pas les lois de la République et qui commettent des actes troublant l'ordre public.
S'agissant des demandes d'asile, 20 % sont déposées par des personnes en provenance de pays sûrs. Mais, dans certains de ces pays, par exemple, l'orientation sexuelle est condamnable, et leurs demandes méritent d'être examinées. Nous estimons d'ailleurs qu'elles devraient être étudiées plus rapidement.
Lors des demandes d'asile, des rendez-vous individuels sont fixés à chaque personne, pour notamment lui expliquer ses droits. Or, les interprètes ne sont pas toujours disponibles. Nous sommes donc convenus, avec la ministre, que la présentation de ces droits se fera de manière collective, afin d'assurer la présence d'un interprète.
S'agissant de la CNDA, j'ai évoqué la question avec le vice-président du Conseil d'État : le problème, ce sont les trois juges. Vous le savez, c'est parfois plus compliqué que lorsqu'il n'y en a qu'un seul. Vous avez raison, 50 % du contentieux du droit public devant les tribunaux administratifs concernent les droits des étrangers. Les juges eux-mêmes sont très frustrés de ne devoir pratiquer que du droit des étrangers, mais aussi de ne pas voir leurs décisions appliquées, notamment les OQTF. Nous avons proposé au Conseil d'État de travailler avec la CNDA sur la possibilité d'un juge unique et sur l'amélioration des procédures, notamment pour qu'elles soient plus rapides.
Il est vrai que les chiffres ne sont pas satisfaisants, mais, sur 135 000 demandes d'asile, plus de 100 000 sont refusées chaque année, et nous naturalisons 25 000 demandeurs de moins que sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, qui n'est pas réputé pour son laxisme. Nous devons donc améliorer le processus administratif pour mieux le coordonner avec l'autorité judiciaire et être plus concrets dans nos décisions, même si la solution est évidemment européenne.