Intervention de Gérald Darmanin

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 25 novembre 2020 à 8h30
Projet de loi de finances pour 2021 — Audition de M. Gérald daRmanin ministre de l'intérieur

Gérald Darmanin, ministre :

Je répondrai rapidement mais d'une façon que j'espère exhaustive aux questions posées.

Monsieur le président, vous avez évoqué les relations entre la Turquie et l'Union européenne. Le Conseil européen qui se tiendra le 11 décembre prochain fera un point sur ce sujet. En tant que ministre de l'intérieur, je peux vous dire que, tant sur la lutte antiterroriste - le protocole Cazeneuve - que sur l'immigration, nos relations avec l'État turc sont correctes. Néanmoins, nous devrons adopter une position européenne.

S'agissant des filières, les démantèlements se sont accélérés, même pendant les périodes de confinement. Nous sommes passés de 103 filières démantelées en 2013 à 286 en 2016, puis à 328 en 2019 ; 126 filières ont été démantelées entre le 1er janvier et le 30 juin 2020. Lorsque les chiffres augmentent, on ne sait pas très bien si c'est parce que les services ont été plus efficaces ou parce que le nombre de fraudeurs a augmenté. Le sujet n'est en tout cas pas délaissé.

Nous avons fait inscrire dans le pacte européen sur l'immigration et l'asile un chapitre spécifique sur la lutte contre les passeurs et les filières. Trois semaines après mon arrivée à Beauvau, j'ai mis en place, avec ma collègue Mme Patel, une action franco-anglaise pour lutter contre les passeurs dans la mer du Nord - c'était une demande importante du Président de la République. Ces passeurs, qui sont très nombreux, sont installés à Coquelles, et travaillent avec une grande « efficacité ». Ils viennent parfois de très loin. Des Bangladais arrivent au Maghreb, notamment en Tunisie ou en Algérie, avant de se retrouver en France après un passage par l'Italie : le trajet montre combien les passeurs sont imaginatifs et exploitent la misère humaine. Ces étrangers ont vécu un calvaire : ce sont évidemment les activités de passeurs que nous devons condamner en premier lieu. J'ai par ailleurs demandé à la DGSI de s'intéresser tout particulièrement à ce sujet.

Monsieur Leconte, s'agissant d'Etias, les premiers tests d'interconnexion auront sans doute lieu mi-2021, avant un déploiement généralisé en décembre 2022. Sur Eurodac - je répondrai en même temps à M. Bas -, la loi française n'autorise pas la prise obligatoire d'empreintes. On peut certes multiplier les bornes, mais tant qu'il n'y a pas d'obligation... Voilà peut-être une réforme législative qui mériterait d'être examinée par le Parlement.

Les départements qui ont le plus de mineurs dits « isolés » et qui sont ceux qui demandent aussi le plus de compensations financières à l'État, comme certains départements franciliens, n'ont pas de fichier d'appui à l'évaluation de la minorité (AEM). La prise d'empreintes n'étant pas obligatoire, celles-ci ne peuvent être intégrées dans le fichier AEM. L'idée du pacte européen sur l'immigration et l'asile, c'est de prendre les empreintes de tous les étrangers à l'entrée de l'Europe, avant de faire les demandes d'asile. Eurodac serait davantage pertinent pour ce genre de situation que les tests.

Monsieur Mohamed Soilihi, 227 places ont été prévues pour les territoires ultramarins - je n'ai pas le nombre précis pour votre département dans lequel je me rendrai bientôt avec M. Lecornu. Nous n'avons cessé depuis trois ans - j'en ai été témoin en tant que ministre des comptes publics - d'augmenter le nombre de places en hébergement d'urgence mais aussi en hébergement tout court, que ce soit pour des personnes en difficulté sociale ou pour des étrangers en attente d'une décision administrative ou judiciaire. Mme Wargon défendra ce budget devant le Sénat. Ce n'est jamais assez, mais le montant est tout de même extrêmement important. Le préfet d'Île-de-France et les préfets de région essayent de répartir au mieux les personnes. La facilité serait de laisser des camps s'installer, comme le long de l'autoroute A1 - j'ai fait démanteler ce camp dans lequel vivaient des étrangers dans des conditions extrêmement insalubres.

Madame Lherbier, la situation des étrangers en situation irrégulière en prison soulève les mêmes questions que celle des étrangers en situation régulière en prison, dont la carte de résident devrait pouvoir leur être retirée s'ils ont commis des faits graves. Une bonne coopération entre le ministère de la justice, l'administration pénitentiaire et la police est nécessaire. La communication entre les préfets et les directeurs de prison doit être améliorée, afin que les personnes sortant de prison puissent être mieux accompagnées et qu'elles passent le moins de temps en CRA avant d'être expulsées du territoire national. Il faut aussi mener un travail diplomatique pour obtenir les laissez-passer consulaires.

Le problème se pose quand le juge de l'application des peines (JAP) libère une personne avant le terme normal de sa peine, remises de peine comprises. Les préfets m'indiquent qu'il arrive parfois qu'une personne soit libérée quelques jours avant la date prévue. Sans remettre en cause le jugement du JAP, il faudrait prévoir une décision en amont pour que l'autorité administrative puisse mieux s'organiser - cela ne relève pas du législateur.

Monsieur Bas, je peux partager un certain nombre de vos propos : c'est le cas sur l'état civil manifestement défaillant. Sur « l'attractivité relative » de la France, je la partage en partie, mais la réforme de l'AME a permis de modifier quelque peu la donne. La communauté de destin est un facteur d'explication : quand on parle français, on a tendance à aller là où l'on parle français ; si un membre de la famille habite ici, on a tendance à le rejoindre. Par ailleurs, certains patrons embauchent des personnes moins bien payées que celles qui ont des papiers : il existe aussi une responsabilité capitalistique dans notre pays, la faute n'est pas seulement imputable à la législation ou à l'État français.

Je suis moins d'accord avec vous sur les regroupements familiaux. J'ai été maire d'une commune qui connaît une immigration importante. Je signais moi-même les attestations d'accueil demandées par les familles. Le maire délivre ce document sur la base de la superficie du logement, mais aussi sur les ressources de la famille. La superficie ne veut pas dire grand-chose : il est toujours possible de louer un logement pour la personne que l'on accueille. La capacité financière est un meilleur critère. Je refusais souvent de délivrer ces attestations. Les difficultés ne peuvent pas toujours être mises sur le dos de l'État. J'invite les maires de France à s'intéresser aux documents qu'ils signent, même si c'est parfois fastidieux et compliqué. Quand on reçoit les familles, on se rend compte si leur demande est « du chiqué » ou pas. Il faudrait revoir la procédure ou intéresser davantage les agents des communes à ces formalités. En tout cas, cette difficulté ne relève pas du domaine législatif.

Je n'ai pas l'impression que le test covid soit totalement dirimant. J'ai été choqué que le gouvernement tunisien demande un test covid pour les personnes expulsées, mais pas pour les touristes français. J'ai fait remarquer que cette situation me paraissait inégale : je m'en excuse auprès des touristes français, car un test covid est désormais demandé pour entrer dans ce pays !

Pour que le test covid soit obligatoire, il faudrait qu'une loi sanitaire le prévoie. Or je constate qu'il n'y a pas eu même un amendement sénatorial pour le demander. Obliger une personne à subir de force un acte médical ne peut se faire que dans des conditions extrêmement encadrées par le juge constitutionnel.

En ce qui concerne les personnes radicalisées, le processus peut sembler long. Mais les États souhaitent savoir si ce sont bien leurs citoyens : les inscrits au FSPR n'ont pas toujours un passeport dans la poche. Par ailleurs, ces personnes doivent pouvoir faire un recours : c'est nécessaire, car l'administration, qu'elle soit française ou étrangère, peut se tromper.

Nous exigeons la même chose s'agissant de nos citoyens qui ne sont pas en France et qui sont soupçonnés de radicalisation - par exemple, des personnes qui sont en Syrie ou en Turquie et qui doivent revenir en France. Nous demandons s'il s'agit bien de Français. Ces vérifications peuvent nécessiter un certain temps. Il ne s'agit pas de renvoyer dans un pays des individus qui ne seraient pas des nationaux de cet État.

L'important, c'est que, lorsque la justice s'est prononcée, les personnes puissent effectivement être expulsées, ce qui est de plus en plus le cas.

Madame Goulet, le sujet principal est non pas de donner des moyens supplémentaires à la PAF, mais d'assurer une unité de commandement de la police.

Un commissaire à Calais qui doit faire face à un problème migratoire important ne commande pas les forces supplémentaires mises à sa disposition par le ministre de l'intérieur, puisqu'il dirige la sécurité publique - il s'agit alors d'un problème de frontière et d'immigration. On a donc la PAF d'un côté, le commissaire de la sécurité publique de l'autre, sans unité de commandement. D'autant qu'il y a également la police judiciaire, et des CRS ou des gardes mobiles pour « tenir » la frontière. Au final, il y a quatre autorités de police qui ne sont pas commandées, si ce n'est par le préfet en poste à Arras, lequel ne se rend pas tous les jours à Calais.

Le Livre blanc recommande qu'il y ait une direction unique de la police sur un territoire départemental. J'ai proposé que, dans le Pas-de-Calais, les Pyrénées-Orientales et en Savoie, nous puissions avoir une direction unique. Le directeur départemental de la sécurité publique dans le Pas-de-Calais pourrait commander l'ensemble des effectifs de police. Il est quelquefois difficile pour les services de se communiquer des informations, d'effectuer des patrouilles ou des interventions en commun. Cela peut faire partie des expérimentations du Livre blanc qui nous permettront d'être plus efficaces et de donner davantage de moyens à la police aux frontières.

J'en viens à la mission « Sécurités », qui comprend quatre programmes : « Police nationale », « Gendarmerie nationale », « Sécurité civile » et « Sécurité et éducation routières ». Le budget connaît une augmentation de 645 millions d'euros, dont 190 millions pour le « titre 2 », c'est-à-dire pour la masse salariale, 455 millions pour le « hors titre 2 », c'est-à-dire pour le matériel.

La maladie du ministère de l'intérieur, c'est l'augmentation continue des crédits de masse salariale et la diminution continue des crédits de matériel. Pour la masse salariale, il s'agissait soit d'augmentations d'effectifs - c'était rarement le cas -, soit de mesures catégorielles au fur à mesure des crises - les gendarmes voulant obtenir les mêmes résultats que ceux négociés par la police, ce qui provoquait une sorte « d'échelle de perroquet ».

S'agissant du matériel, vous témoignez régulièrement de l'état des commissariats ou des gendarmeries dans vos territoires ; les armes sont parfois anciennes, les moyens matériels et numériques ne sont pas toujours convenables, les réseaux de radio sont très vieux, les voitures ont 250 000 kilomètres au compteur...

J'ai souhaité à mon arrivée au ministère de l'intérieur rééquilibrer la situation : c'est la première fois que l'effet ciseau est inversé, avec 455 millions d'euros pour le matériel et 190 millions pour le personnel.

Les effectifs sont en augmentation. Le plan du Président de la République de création de 10 000 postes est toujours en vigueur. Ainsi, 1 500 postes seront créés dans la police, dont l'essentiel pour la sécurité publique, ce qui n'était pas le cas l'année dernière ; le nombre de gendarmes augmentera de 500. En parallèle, l'administration centrale se réduit : je propose la suppression de 542 postes, notamment pour ne supprimer aucun poste dans le corps préfectoral l'année prochaine - ce sera la première fois en quinze ans ! Depuis douze ans, les préfectures ont en effet perdu 25 % de leurs effectifs.

Sur la masse salariale, je voudrais souligner les mesures qui permettent de récompenser des agents et de réparer les injustices, sans procéder à une augmentation généralisée des traitements. Un geste important a été fait en direction des « nuiteux », ces policiers payés 90 centimes en plus de l'heure lorsqu'ils travaillaient la nuit. Une mesure saluée par les organisations syndicales et les policiers eux-mêmes.

La carrière des gardiens de la paix a été refondue afin que l'avancement des agents sur le terrain soit accéléré. Des moyens sont affectés à la réforme de l'investigation des officiers de police judiciaire (OPJ). En effet, 3 000 OPJ ne traitent pas de questions judiciaires, alors que nous manquons d'officiers sur le terrain, ce qui limite les enquêtes, singulièrement dans les grandes villes et la plaque parisienne.

Nous souhaitons donner un statut - ce n'est pas le cas aujourd'hui - à la police technique et scientifique. Ce sont des policiers comme les autres, et je leur dois ce statut.

Nous poursuivons le paiement des heures supplémentaires décidé par mon prédécesseur, et nous revalorisons de 6 % ces heures supplémentaires pour les policiers. Nous appliquons les mesures relatives à la rémunération des militaires aux gendarmes, qui sont certes sous l'autorité du ministère de l'intérieur mais avec un statut militaire.

En ce qui concerne le matériel, nous changerons un quart des véhicules en deux ans : alors qu'un véhicule est normalement remplacé tous les neuf ans, ce sera tous les quatre ans. Nous allons donc quasiment doubler les crédits pour les véhicules. Les premières livraisons de voitures, de marque française, dans les brigades de gendarmerie en témoignent.

L'action sociale connaît une hausse sans précédent de 18 %. Le ministère de l'intérieur est un parent pauvre de l'action sociale.

Nous procéderons l'année prochaine à la généralisation des caméras-piétons décidée par le Président de la République.

Les crédits immobiliers sont très importants. Vous avez bien voulu voter 26 millions d'euros de crédits rien que dans le projet de loi de finances rectificative, ce qui a permis l'engagement de 5 000 petites opérations de rénovation que j'appelle « poignées de porte ». Je vous ai communiqué la liste des travaux qui seront réalisés d'ici au 31 décembre dans les commissariats et brigades de gendarmerie.

Pour la sécurité civile, les crédits augmentent de plus de 8 %, avec notamment des achats d'hélicoptères et un meilleur entretien de la flotte aéroportée de la sécurité civile, ainsi que le financement d'un système d'alerte et d'information des populations, décidé à la suite de l'incendie de Lubrizol.

Enfin, sur la sécurité routière, nous espérons une résorption des délais d'attente pour passer l'examen du permis de conduire. Le Président de la République a annoncé que les auto-écoles rouvriront complètement à partir de samedi prochain - vous avez été nombreux à nous solliciter sur ce point.

Une expérimentation sur les voitures-radars sera lancée dans quatre nouvelles régions : les Hauts-de-France, le Grand Est, la Nouvelle-Aquitaine et la Bourgogne-Franche-Comté. Je proposerai au Sénat un amendement sur la proposition de loi relative à la sécurité globale pour que les maires puissent installer, sans l'avis de la préfecture, des radars dans leur commune. Il s'agissait d'une demande très forte des élus locaux.

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