Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 19 novembre 2020 à 14h30
Loi de finances pour 2021 — Question préalable

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

Il nous faudra sortir du catastrophisme systématique, sans stigmatiser nos concitoyens qui seraient coupables de vivre au-dessus de leurs moyens et d’endetter leurs descendants, en toute irresponsabilité. Dans l’Antiquité, on pouvait être condamné à l’esclavage pour dette.

Il faudra bien sûr que l’État retrouve sa pleine souveraineté budgétaire, sa liberté, en imaginant d’autres moyens que le recours au marché privé pour assurer son financement. Non, l’État n’est pas le parasite proliférant au détriment de l’économie privée que l’on nous décrit si volontiers. S’il n’est pas seul à créer la croissance, il en est, du moins, l’un des paramètres essentiels.

Depuis le printemps dernier, pas moins de 460 milliards d’euros d’aides en argent public ont été mobilisés sous diverses formes. Vous avez fait le choix de n’introduire aucun principe de conditionnalité à l’égard du monde économique, au nom de l’urgence, mais l’urgence n’est pas de revenir mécaniquement au monde d’avant. Cette crise bouscule, interroge. Le Président de la République, dans son intervention du 13 avril dernier, avait eu ces mots : « Sachons […] nous réinventer » et « bâtir un autre projet. » Précédemment, il avait déclaré : « Le jour d’après […] ne sera pas un retour au jour d’avant », ou encore : « Il nous faudra … interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies. »

Nous ne retrouvons pas ces belles envolées dans le projet de loi de finances qui nous est soumis : ce budget s’inscrit dans une continuité néolibérale qui ne répondra pas aux exigences de justice sociale.

Le PLF se limite à la politique de l’offre et néglige fortement la demande. On n’y trouve rien sur les salaires, rien de significatif sur le pouvoir d’achat des ménages, si ce n’est quelques mesurettes, ici et là, sur la pauvreté. Franchement, le compte n’y est pas du tout. Une relance de l’offre dans un contexte de demande durablement anémiée, de gains de productivité inexistants, de taux historiquement faibles et de financiarisation n’a pas beaucoup de sens. Comment croire que ce budget est un budget de relance ? Les chiffres présentés sont sans ambiguïté : le volume des dépenses publiques recule sur un an.

M. Le Maire s’est aussi félicité que le Gouvernement ne crée pas d’emplois publics. Or la pandémie a mis en évidence de manière très criante les immenses besoins dans nos hôpitaux publics, par exemple. En 2021, il y aura même une légère réduction nette d’emplois publics, avec 157 postes en moins. Certes, la communication autour des 100 milliards d’euros a été abondante depuis le mois de septembre, mais l’examen minutieux des dispositions budgétaires montre qu’il faut singulièrement nuancer ce chiffre.

Quant aux 40 milliards d’euros de l’Union européenne, tout nous conduit à la plus grande prudence. Les 10 milliards d’euros de baisse des impôts de production viendront impacter fortement les budgets des collectivités bénéficiaires, alors que les collectivités ont elles aussi été en première ligne pour faire face à la pandémie ces derniers mois et restent encore, dans notre pays, un levier essentiel de la relance économique, elles qui représentent plus de 70 % de l’investissement public. Faites confiance aux territoires et appuyez-vous sur eux, au lieu de les considérer systématiquement comme une variable d’ajustement budgétaire !

Ce budget est donc un budget de continuité de la politique menée par M. Macron depuis le début de son quinquennat en 2017. Vous vous cramponnez à vos choix fondamentaux, lesquels ont des conséquences sociales graves, ainsi que nous l’avons illustré. S’installe, dans le pays, un climat qui devrait tous nous interpeller. L’inquiétude quant à l’avenir grandit et la confiance recule.

Oui, il faudrait demander un effort aux très hauts revenus. Il ne s’agit pas de punir qui que ce soit : il s’agit simplement d’essayer de construire des normes de justice acceptables pour le plus grand nombre. Au printemps, le Gouvernement disait que personne ne paierait, que l’on augmenterait l’endettement, mais qu’il n’était pas nécessaire de demander des efforts supplémentaires aux plus riches. Aujourd’hui, le discours n’est plus du tout le même : on nous dit qu’il va falloir payer cette dette.

Oui, il y a urgence à aller vers un système de plus grande justice fiscale. Ces débats ont lieu partout dans le monde. Il ne s’agit pas d’un tropisme français. Les mêmes questions se sont posées durant la campagne électorale américaine. Elles se posent au Royaume-Uni ou encore en Belgique.

Telles sont, mes chers collègues, les raisons qui nous ont amenés à déposer cette question préalable. Il nous paraît indispensable d’échanger avant d’entrer dans la mécanique du PLF. À situation exceptionnelle, décisions exceptionnelles !

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