Intervention de Sophie Taillé-Polian

Réunion du 19 novembre 2020 à 14h30
Loi de finances pour 2021 — Discussion générale

Photo de Sophie Taillé-PolianSophie Taillé-Polian :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 13 avril dernier, en plein cœur de la première vague, le Président de la République promettait une véritable « refondation » de notre système.

Au-delà des quatre plans d’urgence adoptés ici même depuis le début de la crise, le budget pour 2021 aurait dû être le moment clé de cette refondation, et ce d’autant plus qu’il s’agit du dernier budget en plein exercice du président Macron.

Une refondation… Et qu’observons-nous ? Une structure de budget inchangée par rapport à l’année dernière, assortie d’un plan de relance dont la majeure partie des crédits réellement opérationnels en 2021 ira à la réduction massive et sans contrepartie des impôts des entreprises. Tout sauf une refondation : une continuité, dangereuse.

Où est la refondation quand on assiste à la poursuite de la baisse continue et massive de la fiscalité des entreprises ? Cette politique fiscale est une incessante course à la diminution des impôts des entreprises qui revient à faire reposer le poids de la dépense publique sur les ménages.

Inefficace, elle exempte encore et toujours plus les grandes entreprises pourtant bien moins contributrices que les petites et moyennes entreprises et que les toutes petites entreprises dans notre pays. Et vous profitez de la crise pour aller encore plus loin.

Nous reconnaissons bien là la « stratégie du choc », lorsque la sidération et la peur provoquées par la crise permettent de faire passer des mesures structurelles pour des mesures conjoncturelles.

Voici ce que disait Guy Sorman en 1984, en observant, ravi, la politique de Ronald Reagan : « Le déficit engendré par la baisse des impôts apparaît comme un formidable moyen de pression pour contraindre l’État à rétrécir. » Quarante ans après, c’est ce que vous faites en faisant passer la baisse de 10 milliards d’euros par an d’impôts de production pour une mesure de relance.

Mais derrière cette relance, par ailleurs surestimée, avec la baisse des recettes, c’est la bonne vieille méthode néolibérale : la création organisée de déficits qui servira, plus tard, à légitimer des mesures draconiennes afin de réduire à peau de chagrin les mécanismes de solidarité et d’ouvrir de nouveaux marchés à la sphère privée. C’est ainsi qu’il faut comprendre les propos de Bruno Le Maire dans les médias : la réforme des retraites permettra de payer la dette due à la covid. Nous ne l’acceptons pas !

Nous n’acceptons pas ce logiciel libéral qui vise à toujours agiter cette dette sans prendre en considération la seule qui vaille aujourd’hui. Et c’est le Conseil d’État qui nous l’a rappelé avec fracas, ce matin : la dette écologique ne pourra pas se régler à coups de réformes des retraites ou de l’assurance chômage.

Nous pouvons calculer tous les ans l’écart croissant entre l’accord de Paris, dont vous vous réclamez, et la réalité de l’action du Gouvernement. Je tiens à saluer l’action entreprise par Damien Carême, alors maire de Grande-Synthe, qui avait saisi le Conseil d’État pour « inaction climatique ». Cette dette s’accumule et nous ne pourrons négocier avec les banques pour la rembourser.

Où est la refondation en matière de justice sociale ? Toujours le 13 avril dernier, le Président de la République rappelait, citant les révolutionnaires de 1789, que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Nous nous attendions alors à une diminution de la fiscalité des ménages après les demandes répétées et incessantes des Françaises et des Français pour rétablir les impôts des plus riches. Mais non ! On a surtout relevé, en guise de refondation, un entêtement à refuser toute forme de participation des plus riches à la crise.

Avec obstination, ce gouvernement protège les riches. En ce domaine, il faut souligner combien votre bilan est excellent. Une étude de la banque UBS de juillet 2020 nous apprend que la France est classée au deuxième rang des pays pour l’augmentation du patrimoine des plus riches. Belle réussite !

Mais les mots ont un sens, monsieur le ministre. La République, invoquée tous les matins, n’est pas un glaive avec lequel on menace les citoyens. C’est d’abord un idéal de vivre ensemble où personne n’est laissé sur le carreau et qui devrait trouver une traduction concrète dans notre système d’imposition : vous aviez là l’occasion de lutter contre le séparatisme fiscal qui fait ravage dans notre pays. Ce séparatisme des riches qui conduit la France à battre le record européen de versement des dividendes aux actionnaires dans une période de crise sanitaire où, nous le voyons tous dans nos territoires, la pauvreté explose.

Où est la refondation quand vous refusez d’agir avec l’ambition nécessaire pour répondre au péril climatique ? Certes, le plan de relance prévoit des financements pour la rénovation des bâtiments et quelques autres projets vertueux, mais cela ne suffit pas à cacher que les lourdes exemptions fiscales accordées au monde économique ne sont conditionnées à aucune exigence de transition vers un modèle économique respectueux de l’environnement.

Le Conseil d’analyse économique, rattaché à Matignon, montrait dans une note de juillet dernier que les trois premiers secteurs les plus favorisés par la baisse des impôts de production sont respectivement les producteurs d’électricité et de gaz, les industries extractives et la finance.

Comment des entreprises dont l’activité est responsable d’écocides, de l’épuisement de la biodiversité, nous le savons, peuvent-elles encore aujourd’hui faire le plein de subventions publiques et de crédits d’impôt ?

Par ailleurs, quand on regarde le budget de manière fouillée, votre politique montre son vrai visage : vous dotez la relance de l’économie verte de crédits nouveaux, mais vous fragilisez tous les instruments, à commencer par le ministère de l’environnement avec 770 postes en moins, qui doivent mettre en œuvre ces politiques.

Où est la refondation quand vous livrez à elles-mêmes les collectivités territoriales chargées de résoudre tous les problèmes des citoyens ?

Le 13 avril dernier encore, le Président de la République disait aussi : « Au plus près du terrain, beaucoup de solutions ont été trouvées. Nous devrons nous en souvenir. » Force est de constater que le compte n’y est pas : les collectivités territoriales, qui mettent aussi en œuvre des solutions de court et de long terme auprès des populations les plus fragilisées – on le voit à l’échelle du département avec la question du RSA, mais aussi à celle des communes –, n’ont pas les moyens de faire face à la crise. Votre budget ne répond pas à cette problématique.

Et pourtant, oui, nous avons besoin d’une refondation ! Pour cela, il aurait fallu un budget assorti d’une profonde réforme fiscale. Il aurait fallu un budget apportant un soutien bien plus important à l’économie sociale et solidaire, cette grande oubliée des plans de relance. Vous aviez l’occasion d’agir massivement pour cette économie au service des hommes et de la planète et vous ne faites que parer au plus urgent.

Plutôt que de regarder, impuissants, les usines fermer, il faudrait un élan pour aider à la reprise par les salariés de leurs entreprises qui ferment, abandonnées par des actionnaires sans scrupules, pour la relocalisation et la fin de l’économie financiarisée.

La refondation supposerait de prendre la mesure des transitions à venir. Vous prévoyez, par exemple, une aide aux entreprises pour leur transition numérique. Très bien, nous sommes d’accord, mais comment pouvez-vous ignorer les rapports et les études qui se multiplient et qui démontrent tous les jours un peu plus que les gains de productivité induits par la robotisation vont pousser à la disparition de très nombreux emplois peu qualifiés ?

Les aides destinées à la numérisation des entreprises envisagées dans ce PLF ne sont pas accompagnées d’une vision ambitieuse pour permettre à la productivité ainsi dégagée de participer au financement de la protection sociale. Les mesures de formation ne seront pas non plus à la hauteur.

À l’heure où les logiciels et les robots remplacent progressivement la force des bras et le calcul mental, il faudrait parler « taxe robots », il faudrait mettre en place des taxes GAFA plus largement encore sur les multinationales que sur les entreprises numériques, il faudrait aussi parler réduction du temps de travail, revenu universel d’existence… Nous sommes dans une période où les transitions arrivent et la refondation n’est pas là.

Ce budget ne refonde rien, alors que la situation que nous connaissons est en train d’aggraver toutes les crises que nous traversons.

Monsieur le ministre, on n’invoque pas la République impunément, même si ce gouvernement le fait sans arrêt. Votre politique ne fait que la rendre plus abstraite, plus lointaine, parfois même plus hostile pour les Françaises et les Français qu’elle laisse sur le côté du chemin.

Votre absence de vision d’avenir sur l’après-crise est dangereuse. Tout au long de l’examen de ce texte, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires essaiera de montrer les autres voies possibles. La refondation doit venir, nous sommes toutes et tous mobilisés pour essayer d’en chercher le chemin. Nous en proposerons un avec l’écologie comme projet et l’égalité comme boussole.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion