Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jamais le Parlement n’aura dû examiner une loi de finances dans un tel climat d’incertitudes sanitaire, économique, budgétaire, mais je ne vous en fais pas le reproche, monsieur le ministre. Êtes-vous trop optimiste ou ne l’êtes-vous pas assez sur le niveau de nos recettes et le poids des dépenses induites directement par cette crise ? Le débat ne se situe pas réellement là.
Bien évidemment, cela ne signifie pas que le niveau du déficit budgétaire et de la dette publique nous soit soudainement devenu indifférent. Si l’on ajoute aux 223 milliards d’euros en 2020 du PLFR 4 les 153 milliards d’euros de ce projet de PLF et les déficits cumulés des administrations de sécurité sociale, des autres administrations centrales et des administrations publiques locales (APUL), la dette publique atteindra 2 800 milliards d’euros à la fin de 2021, alors que nous n’avons franchi la barre des 2 000 milliards qu’il y a seulement six petites années.
Jusqu’à présent, grâce à la baisse des taux devenus même négatifs, à la politique de la BCE et à la gestion de France Trésor l’emballement de notre dette a été indolore, mais 2020 sera la dernière année où son coût diminuera alors même que le stock enfle : ce sera terminé !
Il est donc temps, monsieur le ministre, de mettre en place une stratégie de désendettement, qui passera probablement par le cantonnement de la dette dite « covid » et l’affectation d’une ressource pérenne à son remboursement. Il faut le faire, et vite, mais en ayant conscience que cela devra s’accompagner de réformes structurelles. Car cantonner la dette, ce n’est pas la faire disparaître. Encore faudra-t-il qu’ensuite nous ne fassions pas comme avec la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), c’est-à-dire que nous remplissions la barque dès qu’elle est en passe de se vider !
Pour l’heure, quatre questions nous sont posées, et je ne doute pas qu’elles structureront nos débats.
Faut-il, dès 2021, alourdir la fiscalité des particuliers ou des entreprises pour dégager des moyens supplémentaires, comme certains le demandent ? Ce n’est pas le choix du Gouvernement, et je pense qu’il a raison.
Les mesures de soutien à nos entreprises en difficulté sont-elles bien ciblées et suffisantes ? Je crois que le débat n’a pas été clos par le PLFR 4. Même question pour les mesures de relance de ce PLF – j’y reviendrai.
Enfin, dernière question, et pas la moindre, les aides aux Français les plus touchés par cette crise empêcheront-elles un basculement massif et durable des plus précaires dans la pauvreté ? Malheureusement, la tendance est inquiétante. Que ferons-nous ?
Ce projet de loi de finances concrétise d’abord le plan de relance annoncé depuis mars par le Gouvernement, mais qui a tardé à être mis en œuvre. Pourtant, en cette période de grande incertitude, ce dont les acteurs ont le plus besoin, publics ou privés, particuliers ou entreprises, c’est bien que nous leur donnions un maximum de visibilité. Les mois perdus, combinés aux effets du reconfinement, risquent de rendre inatteignable l’objectif, affiché par Bruno Le Maire il y a quelques semaines seulement, d’un effacement des effets de cette crise sur notre PIB dès 2022.
Pour espérer tenir cet objectif ambitieux, il nous faudrait réunir plusieurs conditions. Tout d’abord, il faudrait préserver notre potentiel de croissance et donc soutenir massivement nos entreprises, grandes ou petites. De gros efforts ont été réalisés en ce sens, nul ne peut le nier, mais chacun voit bien venir le moment où, malgré les reports de charges, le fonds de soutien, le PGE et le dispositif de chômage partiel, beaucoup de PME ne tiendront pas en cas de prolongement du reconfinement ou si un troisième confinement s’avérait nécessaire, dans l’attente d’un vaccin.
Il nous faut donc, dès maintenant, réfléchir à cette hypothèse et agir. Nous devons dire à tous ces chefs d’entreprise, artisans et commerçants, qui ne savent pas s’ils pourront passer la fin de l’année, ce que le Gouvernement entend faire pour eux.
Il nous faut ensuite un plan de relance massif et ciblé sur les secteurs susceptibles de redémarrer rapidement, malgré la crise sanitaire. Nous le savons, notre pays est pénalisé par la structure même de son économie, où des secteurs comme le tourisme et l’aéronautique pèsent lourd. Ceux-ci ne retrouveront pas leur niveau d’avant la crise avant plusieurs années. Nous devons donc, d’un côté, soutenir plus longtemps et plus fortement ceux qui devront attendre la reprise et, de l’autre, investir massivement dans les secteurs où la demande intérieure est le principal moteur.
C’est le cas du logement, monsieur le ministre, point que je développerai à présent. Car la construction neuve est bien l’angle mort de ce plan de relance, comme elle est en réalité l’angle mort de votre politique depuis 2017. Pourtant, les besoins sont immenses : au-dessous de 500 000 logements neufs par an, nous ne répondons pas aux besoins, et le décalage entre l’offre et la demande qui s’accroît fait continuellement monter les prix, aggravant par là même la crise.
Or qu’avez-vous fait depuis trois ans ? Vous n’avez regardé le logement que comme une source d’économies : économies sur les aides personnelles mises à la charge des bailleurs sociaux avec la réduction de loyer de solidarité (RLS), disparition des aides à la pierre dans le budget de l’État, suppression de l’APL accession, économies sur les aides fiscales avec le resserrement du prêt à taux zéro (PTZ) et du Pinel. Ajoutez à cette liste le resserrement du crédit bancaire et vous avez l’explication de ce qui est en train de se passer !
Le Gouvernement a aussi prélevé 500 millions d’euros dans les caisses d’Action Logement l’an dernier, il prélèvera 1 milliard d’euros cette année et il souhaite même revenir sur la compensation du relèvement à cinquante salariés du seuil de contribution à la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC).
Comme si tout cela ne suffisait pas, il a également demandé un rapport sur la gouvernance d’Action Logement à l’Inspection générale des finances (IGF), qui préconise de mettre fin à la gestion paritaire, de transformer la PEEC en cotisations et d’adosser le patrimoine d’Action Logement à un autre acteur. Lequel ? Le rapport ne le précise pas, mais un tel patrimoine devrait aiguiser les appétits, n’en doutons pas !
Monsieur le ministre, j’évoquais le besoin de visibilité des acteurs économiques. Quand dissiperez-vous le brouillard qui entoure également les acteurs du logement ? Entendons-nous bien. Rechercher la plus grande efficacité de la dépense publique : nous sommes d’accord. Trouver des économies : ce pays va devoir le faire. Mais la question est bien de savoir où et avec quelles conséquences !
Depuis trois ans, vous nous répétez que vos réformes permettront un « Élan » nouveau pour la construction, selon le titre de la dernière loi. Résultat : en 2020, on financera moins de 100 000 logements sociaux et, pour la première fois, tous types de logements confondus, le nombre des autorisations de construire accordées sera inférieur au nombre des mises en chantier. Les courbes se sont croisées : le pire est devant nous !
Reconnaissez au moins que vous vous êtes trompé et changez de stratégie ! Si la mode est au Grenelle, il en faut un sur le logement, auquel il faudra associer étroitement les élus locaux. Car tout se tient et la disparition de la taxe d’habitation, comme la non-compensation des exonérations de taxe sur le foncier bâti, constitue également un frein à la construction. Il faut desserrer ce frein si nous voulons relancer le secteur.
« Quand le bâtiment va, tout va ! » disait-on dans l’ancien monde. Souvenez-vous-en, monsieur le ministre, particulièrement en cette période de crise et acceptez, dès ce PLF, un certain nombre des amendements que nous allons vous proposer sur le sujet.