Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du 19 novembre 2020 à 14h30
Loi de finances pour 2021 — Discussion générale

Olivier Dussopt :

La méthode que nous avons retenue est issue d’un rapport commun de l’Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). Nous avons prévu une évaluation des dépenses publiques – crédits budgétaires ou dépenses fiscales – au travers de six critères. La part de 10 % des dépenses ayant un effet favorable sur l’environnement est composée de dépenses cotées favorablement sur l’un au moins de ces critères et défavorablement sur aucun. À l’inverse, il y a un quantum à peu près équivalent de dépenses cotées défavorablement sur tous les critères. Ainsi, nombre de dépenses sont grises, parce que cotées favorablement sur un critère et défavorablement sur un autre.

Par ailleurs, pour être tout à fait complet sur la méthodologie, nous avons décidé que toutes les dépenses de transfert ou de salaire ne seraient pas évaluées au regard de leur effet sur l’environnement, considérant que c’était par principe neutre. Nous sommes évidemment ouverts à une évolution méthodologique sur ces points.

Il est important de le noter, nous avons procédé à cette évaluation tant sur le budget de 2021 que sur l’exercice de 2020. On constate que la part des dépenses considérées comme uniquement vertes progresse de manière extrêmement sensible, tandis que la part des dépenses considérées comme uniquement brunes décroît également de manière sensible. Or – c’est là que réside la difficulté – les dépenses considérées comme brunes relèvent pour la plupart de dépenses fiscales, notamment en matière d’accompagnement des dépenses énergétiques des ménages ou des entreprises. Nous savons d’expérience qu’il est politiquement extrêmement difficile de diminuer ces dépenses.

Deuxièmement – cela rejoindra ma remarque sur les hypothèses macroéconomiques –, je veux aborder le séquençage du plan de relance. Ce dernier représente 100 milliards d’euros. En l’occurrence, 86 milliards d’euros sont pris en charge par l’État, dont 66 milliards d’euros en crédits budgétaires, et 14 milliards d’euros sont assumés par d’autres acteurs.

Au-delà des crédits de paiement affichés, notre objectif est que ce plan soit engagé pour moitié d’ici à la fin de 2021. L’objectif sera atteint. D’une part, nous envisageons de dépenser en 2020 10 milliards d’euros au minimum, d’autant qu’un certain nombre d’amendements adoptés à l’Assemblée nationale lors de l’examen du PLFR 4 avaient pour objet d’anticiper des dépenses du fait de la consommation des crédits. D’autre part, nous avons inscrit pour 2021 22 milliards d’euros de crédits de paiement sur la mission « Plan de relance », auxquels il faut ajouter 16, 5 milliards d’euros de crédits de paiement répartis dans d’autres missions, 11 milliards d’euros, pour la part engagée du programme d’investissement d’avenir, et une part des crédits portés par les autres acteurs.

C’est un point important, parce que la rapidité de l’exécution du plan de relance sera aussi le gage de son efficacité pour soutenir l’économie, surtout au moment où la crise épidémique repart fortement.

Troisièmement, je m’élève contre l’affirmation de Claude Raynal selon laquelle la Commission européenne aurait considéré négativement la perspective de notre baisse des impôts de production. En effet, la Commission européenne a indiqué en 2019 qu’il était nécessaire, pour réduire les inégalités de fiscalité entre la France et les autres États membres, de procéder à une diminution d’au moins quatre points des impôts de production. À mes yeux, c’est cette expression de la Commission européenne qui a valeur officielle. Cela relativise donc la portée de l’argument du président de la commission des finances.

Je ne partage pas non plus l’affirmation selon laquelle cette baisse des impôts de production ne serait accompagnée, comme d’autres dépenses du plan de relance, d’aucune contrepartie.

D’abord, la plupart des dépenses du plan de relance font l’objet de contreparties. Je pense à la prime d’embauche des jeunes ou des apprentis, qui n’est versée qu’en contrepartie d’une embauche.

Ensuite, un ensemble de mesures ont été adoptées par l’Assemblée nationale. La malice me pousse à le souligner que, pour l’égalité femmes-hommes, pour l’engagement et la traçabilité des efforts des entreprises dans le domaine de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ainsi que pour le dialogue social et la consultation, ces mesures sont finalement bien plus importantes pour compenser la réduction de 10 milliards d’euros des impôts de production que celles qui avaient été prévues pour faire face à la diminution de la masse salariale liée au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), à hauteur de 20 milliards d’euros. Je suis donc convaincu que nous serons d’accord pour constater un progrès en la matière et pour affirmer que notre pari, si c’en est un, n’est finalement pas plus hasardeux que celui qui avait été fait fin 2013, avec l’institution du CICE, dispositif dont nous savons qu’il a aidé les entreprises à traverser la crise.

Dernier point sur la question des impôts de production, même si les nombreux amendements à ce sujet permettront d’y revenir, la compensation pour les collectivités sera intégrale et nous veillerons à son caractère dynamique. Ainsi que M. Bilhac l’a indiqué, les élus se demandent avec inquiétude si l’engagement de l’État sera tenu. Je comprends d’autant plus cette inquiétude que je l’ai moi-même connue et que les expériences précédentes peuvent la nourrir.

Remontons un peu dans le temps. Lorsque la part « salaires » de la taxe professionnelle a été supprimée, elle a d’abord été compensée en 2000 par un dégrèvement, puis, l’année suivante, par une allocation de compensation, qui a été versée l’année d’après au titre des variables d’ajustement. Je pourrais également évoquer la suppression de ce qu’il restait de la taxe professionnelle. Quinze ans après, nous voyons combien le fonds national de garantie individuelle des ressources est particulièrement difficile à faire évoluer et condamnable en raison de son caractère fixe, qui peut nourrir des inégalités ou en créer d’autres. Tout cela a rendu les choses extrêmement compliquées…

J’ai la faiblesse de le penser, le modèle de compensation que nous proposons est plus viable, plus simple et plus pérenne. Le fait de compenser par une fraction de TVA ou par un prélèvement sur recettes avec une indexation sur les valeurs locatives a le mérite à la fois de la simplicité et du dynamisme.

Quatrièmement – je me permets de faire une incise –, j’ai toujours un peu de mal avec le fait de qualifier les 20 % de ménages qui paient encore la taxe d’habitation à 100 % de « ménages les plus favorisés », voire « les plus riches ». Nous parlons de célibataires qui gagnent plus de 2 500 euros par mois et qui déclarent un revenu fiscal de référence de 27 000 euros par an ou de couples qui déclarent un revenu fiscal de référence de 42 000 euros par an. C’est évidemment plus que le salaire minimum, mais je ne crois pas que l’on puisse considérer qu’un tel revenu rend riche. En tout cas, un certain nombre de définitions de ce que signifie « être riche » plaçaient la barre à des niveaux plus élevés, dans les années précédentes. À 27 000 euros de revenu fiscal de référence, on ne parlait pas de ménage riche. Cela dénote simplement le fait que la réalité de la répartition des richesses et des revenus est souvent bien différente de la perception que l’on peut en avoir.

Cinquièmement, je veux évoquer la question des collectivités. Là aussi, le débat sera certainement nourri – c’est très légitime, surtout au Sénat –, et nous aurons l’occasion d’y revenir.

Néanmoins, je veux souligner que l’engagement du maintien des dotations est tenu pour la quatrième année de suite, à l’échelle globale – cela n’a jamais empêché, nous l’avons toujours dit, les variations individuelles –, et que cela s’accompagne du maintien de la croissance des dotations de péréquation. C’est un élément de stabilité à valoriser et un facteur de certitude pour les élus locaux.

Ce PLF comporte aussi un certain nombre de dispositions importantes pour les élus, en particulier des zones rurales. Je pense notamment, au-delà des dotations de fonctionnement, au maintien des dotations d’investissement, avec la possibilité, prévue tant dans le PLFR 4 que dans le PLF pour 2021, de reconduire sur l’exercice 2021 les crédits non engagés en 2020, dans des proportions extrêmement importantes.

Cela s’explique par la sous-consommation liée à la période de crise et par les engagements que nous avons pris ; je pense notamment à la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) de 1 milliard d’euros, adoptée dans le PLFR 3, déjà engagée à 40 % et qui sera engagée à 100 % grâce au principe de reconductibilité. Cela tient aussi à un amendement du Gouvernement, adopté à l’Assemblée nationale, qui visait à permettre la prorogation de tous les régimes zonés pendant deux ans. Là aussi, c’est de nature à rassurer l’ensemble des élus locaux, en particulier dans les zones rurales.

Je confirme que le Gouvernement présentera un amendement au PLF pour 2021 tendant à garantir aux communes de moins de 5 000 habitants la compensation de la perte de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) en 2021, puisque ces communes perçoivent ces droits avec un décalage d’un exercice.

Il y a donc un véritable engagement du Gouvernement. Je ne peux pas vous laisser dire que l’État ne serait pas aux côtés des collectivités. Ainsi que j’ai eu l’occasion de le dire, dans d’autres contextes, à M. Delahaye, le budget de l’État finance des priorités du Gouvernement. Cela se traduit par une augmentation des crédits des ministères, à plus forte raison dans le contexte d’un plan de relance et d’une réponse à la crise, et par une stabilité, ou presque, pour les collectivités locales.

Effectivement, l’État fait le choix de financer ses priorités et de garantir le maintien des dotations qu’il verse aux collectivités locales. Reprocher au Gouvernement d’augmenter les crédits des ministères plutôt que les dotations aux collectivités n’est pas compatible – je le dis comme je le pense – avec la revendication permanente d’autonomie fiscale, sous-jacente à bon nombre d’interventions que j’ai entendues. J’ai eu suffisamment l’occasion de m’exprimer sur la question de l’autonomie fiscale et de son absence de reconnaissance par la jurisprudence constitutionnelle, qui – M. Delcros l’a rappelé – ouvre un débat plus général sur le mode de financement des collectivités.

Par ailleurs, s’il y a parfois eu, je l’indiquais, un concours d’adjectifs, qui ne valent pas démonstration, il y a également eu un concours de jeux de mots, dans lequel le sénateur Bascher s’est illustré. À l’entendre énoncer la règle des « trois fois onze », j’avais l’impression d’entendre la règle des « trois fois D » : dénoncer les déficits et la dette tout en voulant augmenter les dépenses ! Ce n’est pas le sens de l’exercice budgétaire ou de la préparation d’une loi de finances qui serait tout à fait comptable. C’est sûrement une façon de revendiquer les « 3 D », mais pas tout à fait dans le sens de ce que le Gouvernement et, je le crois, le Sénat espèrent.

Je conclurai par deux remarques rapides.

La première concerne la question de la trajectoire de finances publiques. Dans quelques instants, je présenterai un amendement ayant pour objet d’actualiser l’article liminaire en fonction des évolutions macroéconomiques.

Avant la crise, le Gouvernement avait tenu la plupart de ses engagements en la matière. Le poids des prélèvements obligatoires était passé de 45, 1 % à 44 % du PIB et celui de la dépense publique de 55, 5 % à 54 % du PIB. Nous avons tenu les engagements de baisses d’impôts et de diminution du poids de la dépense publique par rapport à la richesse nationale, indicateur beaucoup plus pertinent que les valeurs faciales figurant dans les documents budgétaires.

Nous aurons collectivement à affronter la question de la dette. Cette situation procède à la fois de la dette liée au covid, que l’on peut cantonner – c’est le travail de réflexion que nous devons conduire –, et de l’héritage de vingt ans ou trente ans d’accumulation de déficits, tendance que nous avons tous observée.

En défense de sa motion, M. Bocquet parlait du caractère souverain ou non d’une dette. Si l’on suit votre raisonnement, monsieur le sénateur, nous ne sommes plus souverains depuis 1974, année où ont été inaugurés les déficits chroniques et le recours à l’endettement auprès de fonds souverains.

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