Intervention de Pascal Allizard

Réunion du 19 novembre 2020 à 14h30
Loi de finances pour 2021 — Article 31 et participation de la france au budget de l'union européenne

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la participation française au budget de l’Union européenne pour 2021 constitue à bien des égards un révélateur.

Elle est un révélateur de crise, puisque sa forte augmentation est en grande partie un stigmate budgétaire du Brexit, mais aussi des conséquences de la crise sanitaire, au niveau tant des recettes que des dépenses. À situation exceptionnelle, moyens exceptionnels.

Cette participation est aussi un révélateur de cohésion puisque face à ces épreuves, les États membres avaient dans un premier temps fait le choix de maintenir le niveau global de leur ambition budgétaire commune, avant, dans un second temps, de mettre en œuvre de manière conjointe un plan de relance économique à tout point de vue inédit.

Le groupe Les Républicains salue cette capacité des Européens à faire bloc malgré leurs divergences et, parfois, leurs querelles. En conséquence, il votera en faveur de l’article 31 qui nous est soumis aujourd’hui. C’est dit !

Toutefois, ce quitus ne vaut pas satisfecit. En effet, le ressaut de la contribution française, qui atteint cette année un niveau record pour s’établir à 26, 9 milliards d’euros, révèle un dernier élément beaucoup moins positif : l’habileté de certains États membres dans la négociation du cadre financier pluriannuel.

Ainsi, les pays dits « frugaux » ont su tirer les marrons du feu budgétaire : ils ont non seulement conservé leurs rabais, mais sont parfois même parvenus à les augmenter. La France, d’une certaine façon affaiblie politiquement et économiquement, n’a pas été en mesure d’y faire obstacle. Elle paie peut-être aussi ses déficits du passé et l’image d’un pays qui n’a pas su ou pas voulu mener les réformes structurelles importantes.

La France, dans sa grande générosité, sera le premier financeur en faveur de pays bénéficiant d’un revenu par habitant supérieur au nôtre ; c’est tout de même paradoxal ! Je regrette que la frugalité de ces pays ne contribuant pas autant à la sécurité collective et à la lutte contre le terrorisme les ait conduits notamment à réduire les crédits du Fonds européen de défense et les ambitions européennes spatiales. Ce n’était pourtant pas le moment de le faire, eu égard à la compétition stratégique mondiale et en pleine pandémie.

La disparition du « chèque » britannique représentait une opportunité peut-être unique de mettre un terme définitif au système opaque et injuste des rabais. Mais, pour s’assurer d’un accord sur le plan de relance, le Gouvernement a accepté la pérennisation et même l’amplification de celui-ci.

Vous conviendrez que la potion est un peu amère, monsieur le secrétaire d’État. Je crains fort qu’après une telle occasion manquée, ce renoncement ne nous contraigne à l’avaler encore longtemps, y compris même après 2027.

Ce revers budgétaire pour notre pays – car c’en est un – au regard des positions qu’il a défendues dans la négociation illustre par ailleurs une réalité objective qu’en tant que parlementaires, nous ne pouvons pas ignorer : l’envolée en 2021 de la contribution française n’est en rien conjoncturelle.

Je ne méconnais rien des bénéfices économiques tout à fait considérables que nous procure notre appartenance au marché unique et à la zone euro, ainsi que notre participation aux politiques communes de l’Union. Mais les faits sont têtus : la France versera en moyenne 28 milliards d’euros par an durant les sept prochaines années, contre 20 milliards d’euros entre 2014 et 2020. C’est considérable !

Sans être un obsédé du juste retour, on ne peut pas ignorer que, dans ces conditions, notre solde net ne pourra que se dégrader fortement. Cette préoccupation m’amène à m’interroger sur les modalités de financement du plan de relance préparé par les chefs d’État et de gouvernement.

Nous ne sommes pas nécessairement opposés au principe de l’emprunt européen – cela s’est déjà pratiqué dans le passé, certes pour des volumes plus modestes –, mais la communication du Gouvernement sur le sujet se limite à annoncer que le plan européen financera notre plan de relance national à hauteur de 40 %. C’est un peu court en termes de pédagogie, monsieur le secrétaire d’État. Si la France devrait recevoir approximativement 40 milliards d’euros, qu’elle aurait d’ailleurs pu emprunter elle-même sur les marchés, et à des taux peut-être légèrement plus intéressants, rien n’est vraiment expliqué sur la manière dont cet argent sera remboursé.

Pour paraphraser – une fois n’est pas coutume – le Président de la République, il n’y a pas d’« argent magique ». Si la valse des milliards d’euros mobilisés ces derniers mois peut nous donner l’impression inverse, les sommes empruntées devront bien être remboursées, n’en déplaise à certains, certes pas directement par les États membres pour ce qui est du volet « subventions » de 390 milliards d’euros de la facilité pour la reprise et la résilience, mais par le budget de l’Union.

Sans pouvoir préjuger des taux de croissance de chaque État membre dans les trente ans à venir, la part de la France dans le budget européen laisse entrevoir une participation au remboursement des emprunts bien supérieure aux 40 milliards d’euros reçus. Les estimations oscillent le plus souvent entre 60 milliards d’euros et 70 milliards d’euros – l’orateur précédent a avancé le chiffre de 75 milliards d’euros – soit, bon an mal an, plus 2 milliards d’euros supplémentaires tous les ans à la charge de notre pays.

J’en viens à la question des ressources propres. L’accord politique global conclu entre le Conseil et le Parlement européen la semaine dernière contient une feuille de route détaillant l’introduction progressive d’ici à 2026 d’un panier de nouvelles ressources, dont certaines apparaissent de bon sens stratégique.

Cet accord les prévoit, mais il ne les crée pas. Or les expériences de la taxe sur les transactions financières ou encore de l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés nous enseignent qu’en matière de fiscalité européenne, il y a généralement fort loin de la coupe aux lèvres. Rien ne garantit donc à 100 % que les engagements d’aujourd’hui déboucheront bien sur les ressources de demain.

En tout état de cause, si ces nouvelles ressources propres devaient effectivement voir le jour, elles contribueraient à faire basculer le mode de financement de l’Union vers un tout autre modèle. Pour certains, il s’agit d’un retour aux sources du mode de financement originel de l’Union, à la différence toutefois que les taxes communes proposées aujourd’hui financeraient non seulement des politiques concertées de relance, mais aussi, ce qui est plus nouveau, l’émission d’une dette commune.

Si nous ne sommes pas, comme cela a pu être avancé un peu hâtivement après l’accord du 21 juillet, dans un « moment hamiltonien », force est de le constater, il s’agit tout de même d’un pas supplémentaire en direction d’un fédéralisme budgétaire qui ne dit pas son nom. Une telle évolution ne pourrait légitimement être gravée dans le marbre à la seule faveur de la riposte à la crise que nous devons affronter actuellement. Elle nécessite au contraire un débat large, approfondi et éclairé sur la nature de l’Europe que nous voulons pour l’avenir. Or, pour l’instant, monsieur le secrétaire d’État, il ne me paraît pas que la question ait été présentée en ces termes aux Français.

Enfin, il m’apparaît essentiel que les sommes mobilisées bénéficient à la croissance et à la compétitivité des pays de l’Union au travers de l’utilisation avisée des fonds octroyés, mais aussi du financement de réformes fondamentales qui devront assurer que l’argent emprunté par les Européens et gagé sur les finances des Européens bénéficie bien aux Européens et ne contribue pas seulement à alimenter l’économie de nos concurrents. Rien n’est moins sûr…

Je pense par exemple à la révision de nos règles de concurrence, au renforcement de notre exigence commerciale à tout niveau, au développement d’une politique industrielle et numérique offensive. Alors que les États-Unis, la Chine et d’autres pays s’affirment comme puissances, en Europe, ce mot fait encore un peu peur. Monsieur le secrétaire d’État, il ne faudrait pas que nous nous fassions reléguer à terme au rôle de simple espace de libre-échange et de terminus des flux migratoires. Ce n’est pas l’Europe que nous voulons.

Certaines réformes sont annoncées ; d’autres sont lancées. Mais aucune n’est pour l’instant concrétisée. Monsieur le secrétaire d’État, il faut aller vite, car, pour assurer son avenir, l’Europe ne peut se contenter d’emprunter. Elle doit aussi et avant tout se réformer et s’affirmer dans la cohésion face à des États puissances et à des entreprises mondialisées, qui, eux, ne font plus de politesse et avancent de concert. C’est un Européen convaincu qui vous le dit, monsieur le secrétaire d’État.

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