Intervention de Clément Beaune

Réunion du 19 novembre 2020 à 14h30
Loi de finances pour 2021 — Article 31 et participation de la france au budget de l'union européenne

Clément Beaune  :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’essaierai d’apporter un certain nombre de réponses aussi précises que possible aux interrogations que vous avez légitimement soulevées. J’ai toutefois noté un assez large consensus en faveur des grandes avancées et des principales orientations de ce cadre financier pluriannuel et, plus largement, du paquet budgétaire, qui inclut un plan de relance inédit.

Permettez-moi de revenir sur l’ambition générale qui caractérise ce cadre budgétaire. Il y a un budget pour sept années, de 2021 à 2027. Il comporte – j’y reviendrai pour le cas de la France – un certain nombre d’augmentations des crédits alloués à des politiques absolument fondamentales. Si l’on y ajoute le plan de relance de 750 milliards d’euros, dont près de 400 milliards d’euros de subventions directes, le montant total de cet ensemble budgétaire s’élève à 1 800 milliards d’euros.

Le plan de relance sera concentré sur le début de la programmation budgétaire. C’est donc un doublement du budget annuel de l’Union européenne qui est proposé pour les trois prochaines années.

Je n’entrerai pas dans une querelle sémantique, mais j’estime que ce n’est pas galvauder les termes que de parler de « pas historique » ou d’« avancée inédite ». Dans un contexte de crise sanitaire et économique tout aussi inédit, c’est une réponse à la hauteur, une réponse de solidarité. Elle était nécessaire.

Je souhaite toutefois vous répondre d’ores et déjà sur certains points, monsieur Allizard. On peut faire le choix d’une optique budgétaire nationale. Vous l’avez vous-même dépassée.

Vous avez indiqué que nous emprunterions à des taux moins élevés si nous le faisions à l’échelon français. Cela peut se discuter, car les taux des premières émissions de l’Union européenne sont de plus en plus bas. Les emprunts de l’Union européenne faisant référence sur le marché, ils entraînent nos propres émissions de dette vers des niveaux de nouveau historiquement bas.

De plus, ces émissions créent une solidarité européenne dont nous bénéficierons, non seulement parce que la France est le troisième bénéficiaire de ce plan, mais aussi parce qu’il permet une relance économique chez nos voisins directs, ceux vers lesquels nous exportons et avec lesquels nous commerçons. Cela n’aurait été possible ni au même rythme ni avec la même ampleur sans le plan de relance européen.

Ce dont nous parlons n’est pas simplement une dette, une mesure technique ou même un simple montant. C’est une étape de solidarité européenne qui était probablement impensable voilà quelques semaines. À l’instar de M. Fernique, je pense qu’on peut saluer le chemin parcouru ; beaucoup d’orateurs l’ont fait.

Ce budget est aussi le résultat de l’étape historique que constitue l’accord du 21 juillet entre les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement. Comme beaucoup l’ont également rappelé, une négociation s’en est suivie – c’est légitime et démocratiquement fondé –, en particulier avec le Parlement européen. Elle a abouti voilà exactement huit jours à un accord entre les institutions européennes – je reviendrai sur le blocage actuel – et permis d’augmenter le cadre financier pour les sept prochaines années de 16 milliards d’euros supplémentaires, afin de financer des politiques considérées comme prioritaires par la France, ainsi, sans doute, que sur l’ensemble des travées de cet hémicycle.

Ainsi, plus de 3 milliards d’euros supplémentaires sont alloués à un nouveau programme d’urgence et de réponse sanitaire européenne, les crédits du programme Erasmus + sont renforcés à hauteur de 70 % dans les sept années à venir, tandis que ceux de la recherche et de l’innovation sont en hausse de plus de 40 %. Même en période de crise, on voit rarement de telles augmentations budgétaires.

Je souhaite indiquer ce que la France a « obtenu ». Veuillez m’excuser d’utiliser ce terme ; je sais que beaucoup d’entre vous, comme moi, ont souhaité dépasser la logique du juste retour. Toutefois, il me paraît nécessaire de clarifier un certain nombre de points, de nombreuses interrogations – c’est bien normal – ayant été formulées quant à nos intérêts budgétaires.

La politique agricole commune (PAC), qui est notre principal « retour » sur le budget européen, était menacée d’un recul inédit de 15 milliards d’euros, dans la proposition initiale de la Commission européenne. Nous en avons relevé le montant, de sorte que les crédits seront probablement en légère augmentation ou, du moins, stabilisés de manière certaine sur les paiements directs, qui constituent le fameux premier pilier de la politique agricole. C’est une réussite qui n’est pas négligeable. La PAC, qui apporte un revenu essentiel à nos agriculteurs, est donc sécurisée pour cette année.

En outre, les crédits attribués à nos régions d’outre-mer ont augmenté de 5 % sur la prochaine programmation pluriannuelle.

Et j’ai déjà évoqué les hausses de crédits en faveur du programme Erasmus + et de la recherche.

Même s’il y a des déceptions, elles sont à relativiser. Certes, monsieur Allizard, le Fonds européen de défense st moins important que ce que la Commission européenne proposait et que ce que la France aurait souhaité. Cependant, c’est une première étape vers une mutualisation des efforts financiers en matière de défense.

Dans la négociation budgétaire, nous n’avons jamais perdu de vue – c’était notre responsabilité et, en premier lieu, celle du Président de la République – l’intérêt de la France et notre ambition européenne.

Certes, ce budget porte un ressaut de dépenses important ; c’est l’objet de nos discussions sur l’article 31. Pour l’année 2021, cette hausse s’explique à 80 % par la double crise du Brexit, qui est malheureusement durable, et de la covid, que j’espère moins longue.

Sur la période 2021-2027, l’augmentation budgétaire restera importante, liée à la montée en puissance de certaines politiques prioritaires et à la facture du Brexit. Lorsqu’un pays contributeur quitte l’Union européenne, cela a un coût pour les autres, à moins de renier nos ambitions européennes. Or nous n’avons voulu rogner ni sur la politique de cohésion ni sur la politique agricole commune.

Nous partageons tous le même constat sur les rabais, qui, par la logique même qu’ils incarnent, sont en soi un échec européen. Ils ont d’abord été introduits en 1984 pour le Royaume-Uni, puis élargis à cinq autres pays, de manière relativement œcuménique sur le plan politique, à l’époque de la cohabitation, lors de la négociation du cadre financier budgétaire qui a commencé en l’an 2000. Je le regrette.

La négociation historique que nous avons menée a non seulement permis certaines augmentations de crédits, mais elle a surtout été l’occasion de franchir l’étape de la solidarité par la dette commune. Le combat pour mettre fin aux rabais continue. Leur facture globale diminue, puisque nous n’aurons plus à assumer le rabais britannique ; c’est l’une des – rares – bonnes nouvelles liées au Brexit.

Vos questions sur le blocage en cours et sur la matérialisation du plan de relance européen sont légitimes. Ce soutien viendra abonder, et même en partie rembourser – le mot ne m’effraie pas – le plan de relance national, largement financé par ces crédits européens dans le PLF pour 2021.

Ces 40 milliards d’euros arriveront, je l’espère, le plus vite possible en 2021. Je maintiens qu’ils ne ralentiront pas d’un seul jour la mise en œuvre complète de notre plan de relance pour son montant intégral de 100 milliards d’euros. C’est essentiel pour nos entreprises, nos concitoyens et nos territoires.

Pour autant, remboursement ne signifie pas soutien secondaire ou superflu : sans cette garantie de 40 milliards d’euros, nous n’aurions pas pu porter le plan de relance national au même niveau d’ambition et de soutien économique. L’aide européenne est donc une composante essentielle et intrinsèque de l’effort national de relance.

Ces crédits arriveront, je l’espère, dès le premier semestre 2021. Il y a aujourd’hui un blocage, qui est lié à la question de l’État de droit. Comme je l’ai dit hier devant la Haute Assemblée, nous ne renoncerons pas à cette ambition de principe, qui incarne nos valeurs européennes.

Les discussions sont en cours avec les deux pays concernés. À cet égard, je souhaite nuancer ce que plusieurs orateurs ont indiqué à propos de la Slovénie. Dans un courrier peu responsable, les autorités slovènes ont apporté une compréhension ou un soutien aux gouvernements hongrois et polonais sans partager exactement la même position. Nous sommes prêts à demander des clarifications techniques à la Commission européenne, afin d’expliquer en détail ce mécanisme de l’État de droit et d’éviter ainsi tout fantasme ou toute interprétation excessive. Mais nous ne renoncerons pas sur le contenu.

Le moment politique est effectivement difficile. Il faut en assumer la tension. Cependant, et je pense que vous partagerez certainement tous cette conviction européenne, nous ne pourrions pas renoncer à un mécanisme que tous les chefs d’État et de gouvernement ont accepté le 21 juillet dernier.

Le principe des ressources propres a également été approuvé pour la première fois le 21 juillet dernier : c’est historique. Cependant, je le dis avec transparence et honnêteté, il reste des étapes à franchir pour créer ces ressources propres, catégorie par catégorie. Je ne reviendrai pas sur toutes celles que vous avez mentionnées, mais parmi les plus prometteuses figurent la taxe sur le numérique et celle sur le prix du carbone aux frontières européennes, qui est tout à la fois un gage d’abondement du budget européen et d’équité dans la concurrence internationale.

Dans un esprit constructif, le Parlement européen a souhaité renforcer durant la négociation son exigence en matière de ressources propres. Il a demandé à la Commission européenne de s’engager à présenter, avant la fin du premier semestre 2021, la liste et les propositions législatives précises sur ces ressources. Il a également demandé au législateur européen de s’engager à statuer sur le sujet avant la fin de l’année 2022.

J’espère que nous pourrons continuer à mener ce combat ensemble. Des étapes majeures ont déjà été franchies. Chacun comprend désormais l’intérêt qu’il y a à disposer de ressources propres, qui sont aussi des ressources justes, car elles font contribuer des acteurs qui bénéficient des avantages de l’Europe sans y contribuer. Cela vaut pour les deux taxes que j’ai citées, mais aussi pour celle sur les transactions financières.

Il n’y a pas de finances publiques magiques, vous l’avez rappelé, mais il y a en revanche des iniquités ou des injustices fiscales à réparer. L’Europe progresse sur ce chemin. J’espère que nous pourrons en discuter dès l’an prochain pour franchir une nouvelle étape sur la mise en œuvre de ces ressources.

Monsieur Gattolin, pour faire écho à votre rêve – ou à votre cauchemar ? –, le rapport que vous souhaitez existe : c’est le jaune budgétaire. Il peut être enrichi. Je partage avec vous l’idée que nous n’illustrons pas assez ce que l’on appelait autrefois « les coûts de la non-Europe » ; nous n’insistons pas assez sur l’ensemble des bénéfices liés à l’appartenance au marché et au projet politique européens.

À cet égard, je ne citerai qu’un seul chiffre budgétaire : entre 1999, avant l’introduction de l’euro, et aujourd’hui, la charge de notre dette est restée stable ; à l’issue de la crise, le poids de notre dette dans le PIB a doublé. Nul besoin de grands calculs : la charge de la dette est de 37 milliards d’euros dans le PLF pour 2021 ; nous la doublerions si nous n’étions pas dans l’euro et dans l’Union européenne. Ce seul chiffre suffit à illustrer l’absurdité de la logique de juste retour, au-delà d’une Europe de la solidarité, d’une Europe de l’ambition et de la puissance que vous avez également appelée de vos vœux.

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