Je vous remercie de me donner l'opportunité de vous exposer les attentes de la police nationale dans la mise en oeuvre des politiques de sécurité, qui non seulement mobilisent aujourd'hui les forces de sécurité intérieure, mais doivent également impliquer davantage les polices municipales et les acteurs de la sécurité privée. La police nationale est convaincue de l'importance de ce continuum de sécurité et de la nécessité de tisser localement un partenariat étroit avec les élus et les citoyens.
Les policiers municipaux sont des acteurs incontournables de la sécurité du quotidien. Ils assurent, sur la voie publique, une présence complémentaire de celle des policiers nationaux, et à ce titre, ils sont d'ailleurs souvent confrontés aux mêmes risques - je voudrais ainsi avoir une pensée particulière pour la policière municipale victime d'un attentat terroriste. Par exemple, au cours de cette année 2020, les polices municipales ont joué un rôle déterminant, aux côtés des policiers et des gendarmes, pour garantir le respect des mesures liées à l'état d'urgence sanitaire et dresser des contraventions.
Dans le cadre des orientations données par les maires et des conventions de coordination signées par l'État avec les polices municipales, des patrouilles mixtes ou des opérations conjointes sont régulièrement organisées. Il existe même, de plus en plus, des locaux contigus entre la police nationale et la police municipale, proposant des accueils communs. Quant aux centres de supervision urbains (CSU), ils s'avèrent des lieux d'échanges opérationnels très précieux entre nos forces.
Le partage d'informations est essentiel pour la mise en oeuvre des dispositifs de sécurité. Dans certaines grandes villes, par exemple, des protocoles ont été signés afin d'associer officiellement la police municipale au plan national de lutte contre les stupéfiants, avec l'envoi des informations des policiers municipaux à la cellule du renseignement opérationnel sur les stupéfiants. Les polices municipales participent également aux 949 groupes de partenariat opérationnel (GPO) créés dans le cadre de la police de sécurité du quotidien. Ces dispositifs de proximité, comme vous le savez, parviennent à régler de nombreux problèmes très concrets ayant trait à la sécurité.
Au titre des progrès réalisés au cours de ces dernières années, il convient de souligner l'interopérabilité permettant, depuis 2015, aux policiers municipaux d'être accueillis sur les réseaux de radiocommunication des forces de sécurité intérieure, grâce à des conférences dédiées. Enfin, depuis le 1er juillet 2019, a été généralisé l'accès des policiers municipaux à deux fichiers de police : le système d'immatriculation des véhicules (SIV) et le système national des permis de conduire (SNPC).
Nous pouvons aller encore plus loin dans l'accès aux fichiers, à condition que les informations communiquées correspondent strictement aux nouvelles prérogatives des polices municipales. Par ailleurs, je suis favorable à l'extension des pouvoirs confiés aux policiers municipaux, avec cependant quelques limites qui me paraissent essentielles : ils ne doivent pas participer aux opérations de maintien de l'ordre ni réaliser des investigations. En matière judiciaire, cela signifie que, s'ils peuvent constater davantage d'infractions, cela doit se limiter aux faits dont la matérialisation ne nécessite aucun acte d'enquête. L'objectif n'est pas, en effet, de créer une police concurrente des forces de sécurité intérieure, avec des compétences croisées, mais plutôt de mieux répartir les tâches entre policiers et gendarmes, d'une part, et policiers municipaux, d'autre part, le but étant de mobiliser prioritairement les premiers sur les missions relevant du régalien.
Dans ce cadre, l'expérimentation de trois ans dans des communes volontaires disposant d'au moins 20 agents de police municipale, après une formation à laquelle la police nationale pourra continuer d'apporter son expertise, sera sans doute appréciée dans les commissariats.
Les activités de la sécurité privée sont en plein développement. La professionnalisation de ces acteurs économiques doit retenir toute notre attention, notamment dans la perspective de l'organisation de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des jeux Olympiques et Paralympiques en 2024. Cette croissance doit s'accompagner de garanties prises en compte dans le texte soumis, telles que la limitation de la sous-traitance, le renforcement des conditions d'entrée dans la profession et le contrôle.
La proposition de loi contient également des dispositions très attendues par les forces de l'ordre dans le domaine de la captation d'images, imposant un cadre juridique solide et respectueux des libertés publiques. Ces dispositions permettraient aux policiers de travailler dans une totale sécurité juridique, avec les moyens techniques les plus modernes et selon des modalités qui correspondent à leurs besoins opérationnels - je pense, en premier lieu, aux caméras-piétons qui pourraient renvoyer les images en temps réel vers les centres de commandement, mais aussi vers d'autres policiers sur la voie publique.
Dans ce registre, il me paraît également indispensable que les policiers puissent eux-mêmes consulter les images - avec la garantie, bien sûr, de ne pas les altérer -, par exemple pour relever le numéro d'une plaque d'immatriculation leur ayant échappé pendant l'action.
De même, le cadre juridique proposé pour l'usage des drones est conforme à nos besoins opérationnels, par exemple pour apporter un appui aux personnels au sol dans le cadre d'une manifestation, constater des infractions ou réguler des flux de transports. Dans ce champ de la captation d'images, des garanties parfaitement justifiées sont prévues : pas de modification des images, pas de captation des lieux privés, durée limitée de conservation ; outre l'engagement à les respecter strictement, de nombreux dispositifs techniques peuvent nous y aider.
Depuis les attentats de 2015, les policiers sont autorisés, s'ils en font la demande, à porter leurs armes hors service. En effet, l'article R. 434-19 du code de la sécurité intérieure (CSI) prévoit que, lorsque les circonstances le demandent, le policier ou le gendarme, même sans être en service, puisse intervenir de sa propre initiative, avec les moyens dont il dispose, notamment pour porter assistance aux personnes en danger ; l'actualité nous rappelle régulièrement la pertinence de cette mesure. Or, il est malheureusement arrivé que des policiers se voient interdire l'accès à un stade ou une salle de spectacle en raison du port de leur arme de service ; il est donc nécessaire de pouvoir remédier à cette difficulté.
La protection des policiers est un sujet qui, je le crois, nous soucie tous. Nous avons encore en mémoire l'assassinat barbare de deux fonctionnaires de police - Jessica Schneider et Jean-Baptiste Salvaing -, chez eux à Magnanville, le 13 juin 2016. Cette affaire a profondément marqué les policiers ; un couple assassiné, à son domicile, uniquement parce qu'ils étaient policiers. Les exemples sont malheureusement de plus en plus nombreux d'agressions physiques et verbales à l'encontre des policiers, principalement dans l'accomplissement de leur mission, mais aussi dans le cadre privé, en raison de leur qualité, et pire parfois, à l'encontre de leur famille. La chose qui m'a le plus frappé depuis ma prise de fonctions le 3 février dernier, c'est le niveau de violence et le nombre d'agressions touchant les policiers, y compris dans des territoires que nous pourrions croire préservés - dernier exemple en date, le week-end dernier, à Cahors.
Les policiers aspirent légitimement à ce que leur sécurité soit assurée, leur anonymat garanti et leur famille protégée des conséquences de leur activité professionnelle. Leur attente est donc forte en ce domaine, sans pour autant réclamer ou imaginer que la liberté d'informer soit, de quelque façon, remise en cause.
Je souhaite également évoquer la contribution très intéressante du Livre blanc sur la sécurité intérieure, rendu public par le ministre de l'intérieur le 14 novembre dernier. Ces travaux se sont appuyés sur une large concertation en interne, au ministère de l'intérieur, mais aussi auprès des acteurs du continuum de sécurité, d'élus et de représentants de la société civile. Même si les quelque 200 propositions de ce Livre blanc n'ont peut-être pas toutes vocation à être appliquées, ce document est une source d'inspiration, avec des recommandations très complètes et concrètes, par exemple sur le continuum de sécurité ou l'organisation de la police nationale.
S'agissant des polices municipales et de la sécurité privée, les préconisations sont en phase avec le contenu de la proposition de loi pour une sécurité globale. Certaines propositions ont, d'ores et déjà, donné lieu à une mise en oeuvre, comme le développement de la politique de sécurité du quotidien, le schéma national du maintien de l'ordre, annoncé en septembre 2020, et le plan national de lutte contre les stupéfiants confiant le rôle de chef de file au nouvel office spécialisé - l'Office anti-stupéfiants (Ofast).
De nombreux travaux restent à mener concernant la police nationale, dont l'organisation, parfois qualifiée de « tuyaux d'orgue », nuit à son efficience et à l'émergence d'une stratégie globale. Le ministre de l'intérieur a souhaité l'expérimentation, au début de l'année 2021, de trois directions unifiées de la police nationale dans les départements du Pas-de-Calais, des Pyrénées-Orientales et de la Savoie. Depuis un an, trois directions territoriales de la police nationale (DTPN) sont expérimentées en outre-mer, et les premiers résultats sont très encourageants.
Dans le prolongement du Livre blanc sur la sécurité intérieure, le ministre de l'intérieur nous a demandé, avec le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), de réfléchir à une meilleure articulation de nos services sur le territoire. Rien n'est encore défini précisément. Ce travail doit s'appuyer sur une évaluation des redéploiements antérieurs, dont les derniers ont été réalisés en 2014.
Avant de répondre à vos questions, je ne peux pas ne pas faire référence aux derniers événements qui ont atteint la police nationale, sans les évoquer cependant, puisque des enquêtes judiciaires sont en cours. Je vous le dis avec beaucoup de force et de conviction - celles d'un homme entré dans la police en 1982, qui a donc la faiblesse de penser qu'il connaît bien cette institution et les hommes et les femmes qui s'y dévouent : la police n'est pas violente, alors même qu'elle est confrontée à la violence comme aucune autre structure dans notre pays. La police n'est pas violente et n'est pas raciste. En vous disant cela, je ne suis pas dans le déni ni dans la langue de bois ; je vous livre ce que je vois et ce que j'entends. Je croise quotidiennement les regards de policiers qui sont le reflet et l'expression de notre société, comme peu d'institutions peuvent en faire état ; des hommes et des femmes courageux, professionnels et volontaires, qui répondent toujours présents dans les moments les plus difficiles.
Dans ce métier compliqué, conduisant beaucoup de policiers sur la voie publique, vous pouvez partir en patrouille et vous retrouvez à intervenir sur une action très violente. J'ai en mémoire l'exemple de l'assassinat monstrueux de Samuel Paty à Conflans, où des effectifs de la sécurité publique de cette circonscription étaient en patrouille et qui, en quelques minutes, malgré le caractère épouvantable de cette scène de crime, ont réagi et pu neutraliser l'auteur de cet assassinat, dans les conditions les plus professionnelles.
Vous avez beau avoir été sélectionné, formé, équipé, encadré, arrive le moment de la décision du geste que vous allez devoir prendre en un quart de seconde ; c'est ce qui rend ce métier passionnant, mais aussi exigeant et exposé. Dans ce contexte, certains - heureusement très peu nombreux, mais malheureusement encore trop nombreux - s'égarent en commettant des actes contraires à la loi et/ou au code de déontologie. La police nationale les sanctionne sévèrement à la suite d'enquêtes conduites par l'inspection générale de la police nationale (IGPN) - bouc émissaire un peu trop facile dans ces circonstances - et par les groupes spécialisés en charge des affaires disciplinaires relevant des directions actives.
Face à ces situations, j'ai une double exigence : tirer toutes les conséquences de ces actes, sanctionner les comportements contraires à nos lois, à nos valeurs et au pacte républicain ; et adapter nos méthodes et nos pratiques. Je vous le redis avec force : la violence et le racisme n'ont pas leur place dans la police.
Je vous le dis avec confiance, car j'ai beaucoup d'estime, de considération et de reconnaissance pour les policiers que j'ai le privilège de diriger : vous pouvez aussi leur faire confiance. La tâche de la police nationale est rude, vaste, dans un univers qui se complexifie, et tous ceux qui ne veulent pas respecter nos règles savent saisir les opportunités. Nous avons donc besoin de l'aide de tous, dans cette dynamique du continuum de sécurité où chacun trouvera sa place sans empiéter sur les compétences de l'autre.