Intervention de Frédéric Veaux

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 1er décembre 2020 à 14h00
Audition de M. Frédéric Veaux directeur général de la police nationale

Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale :

En réponse à monsieur Daubresse, sur la manière dont on aborde l'attribution de nouvelles compétences aux polices municipales, le pire serait d'imaginer ou de mettre en oeuvre un transfert de charges. Une nouvelle fois, on ferait à l'État le reproche légitime de se décharger de ses responsabilités sur les collectivités, sans donner les ressources pour y faire face ; pour avoir été préfet, c'est un reproche que j'ai souvent entendu.

Comme vous l'avez compris dans mon propos introductif, l'objectif est d'arriver à trouver un équilibre entre ce qui relève des fonctions régaliennes de la sécurité publique, d'une part, et d'une présence de proximité, d'autre part, comme celle que nous constatons de plus en plus de la part des polices municipales. Aujourd'hui, là où elles ont été mises en place avec la volonté d'un maire de leur confier des missions au-delà du seul stationnement, les policiers municipaux sont bien sélectionnés, formés et dotés d'un matériel tout à fait performant qui, en général, pour les villes concernées, s'accompagne d'un réseau de vidéoprotection à la hauteur des objectifs poursuivis.

Il est important de concevoir ces nouvelles responsabilités confiées aux polices municipales comme étant un des éléments du continuum de sécurité - et pas le résultat d'un transfert de charges entre la police, la gendarmerie et la police municipale.

Je partage la remarque de M. Daubresse : le maire ne doit pas être sous l'autorité du procureur de la République ; il doit pouvoir, de mon point de vue, garder toute l'autorité nécessaire vis-à-vis de sa police municipale, même si la transgression des règles par les policiers municipaux l'expose à des reproches ou des poursuites de la part du procureur de la République.

C'est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à ce que des pouvoirs d'investigation soient confiés aux polices municipales. Cette présence, toujours remarquée, de la police municipale sur le terrain doit se traduire par une multiplication de constatations, de procès-verbaux qui permettent ensuite au service en charge des investigations de faire son travail. Si l'on confiait des compétences d'investigation à la police municipale, on arriverait très vite à des conflits de compétence, et sans doute que quelques-uns seraient alors tentés de vouloir encore renforcer ces pouvoirs d'investigation. Telle est ma façon d'aborder l'organisation et la répartition des rôles.

Concernant la formation des agents de la police municipale, j'avoue ne pas avoir suffisamment de recul pour en apprécier le niveau. Je constate que la police nationale contribue à former les formateurs, notamment pour tout ce qui touche à l'armement, au tir et à la cynotechnie, c'est-à-dire les brigades canines. Je suis tout à fait disposé à ce que la police nationale renforce encore ses capacités de formation à destination des polices municipales, même si, comme l'a observé M. Leroy, nous avons, en interne, un sujet de formation continue sur lequel je reviendrai plus tard.

En tant que directeur général de la police nationale, il ne m'appartient pas de juger du support législatif adéquat. Aujourd'hui, nous sommes face au développement des prises à partie des fonctionnaires de police, qui sont filmés ou photographiés dans le cadre de leurs activités professionnelles. Les photos sont parfois diffusées à des fins d'identification ou de menaces sur les réseaux sociaux, pour tenter de s'en prendre à eux ou de développer des discours de haine à leur égard. À ce titre, j'ai mis à votre disposition une extraction de documents qui circulent sur des sites internet dont on peut penser qu'ils n'ont pas une affection particulière pour les forces de l'ordre : ils montrent des photos de policiers et de gendarmes en gros plans captées à l'occasion d'interventions sur la voie publique. Celles-ci s'accompagnent d'appels à identification. Il faut donc nous donner les moyens juridiques de faire condamner les auteurs de tels agissements. Il ne s'agit pas ici d'une simple intention de nuire, mais d'actes délibérés que l'on pourrait mobiliser devant un tribunal. Les policiers et les gendarmes ont besoin de sentir que tous les supports juridiques possibles sont disponibles pour que ces comportements soient sanctionnés.

Nous sommes très demandeurs d'un régime juridique stabilisé pour l'usage de la captation d'images au moyen d'aéronefs, qu'il s'agisse de drones ou d'hélicoptères. Le système juridique auquel nous avons recours actuellement ne l'est pas, comme en témoigne la décision du Conseil d'État de mai 2020 relative à la surveillance par drones, qui a abouti à mettre fin à l'utilisation de ces derniers durant la crise sanitaire. Il n'y a pas de données chiffrés sur leur utilisation. En revanche, dans la police nationale, toutes directions confondues, 188 équipements de type drone sont disponibles, selon l'emploi qui en est fait dans certaines unités d'intervention. C'est le cas pour l'unité « recherche, assistance, intervention, dissuasion » (RAID) dans le cadre de la reconnaissance de leurs théâtres d'intervention. La police aux frontières (PAF) utilise elle aussi des drones dans le Pas-de-Calais, pour assurer la surveillance des plages contre le risque d'embarcation des migrants vers le Royaume-Uni : les distances sont importantes et l'on ne pourrait pas mobiliser des effectifs suffisants. De la même manière, à la frontière franco-italienne, les étrangers en situation irrégulière qui cherchent à pénétrer sur le territoire empruntent parfois la ligne Vintimille-Menton, mais aussi beaucoup de chemins dans l'arrière-pays qu'il est très difficile de surveiller, notamment la nuit. La police judiciaire se sert aussi de drones dans la préparation de ses interventions, pour des opérations qui ne permettent pas une approche humaine de proximité. Je pense, par exemple, à certains camps occupés par la communauté des gens du voyage qui se spécialisent dans l'attaque de fret, ou dans tout autre type de délinquance. Enfin, nous avons une utilisation très maîtrisée et modérée de ces outils par la sécurité publique, quand des manifestations de voie publique dégénèrent, et qu'il nous est nécessaire de pouvoir identifier la manière dont les forces employées vont être dirigées vers tel ou tel endroit. Il faut à la fois pouvoir piloter l'action des forces de l'ordre, mais aussi identifier et localiser ceux qui se livrent à des actes de violence, afin de nourrir les procédures judiciaires qui sont menées. Je vous confirme l'existence d'un régime juridique visant à préserver la vie privée, comme par exemple l'interdiction de filmer les entrées et les terrasses d'immeubles, avec des dispositifs de floutage. Ces derniers sont d'ailleurs parfois difficiles à mettre en oeuvre, et compliquent l'exploitation opérationnelle des images.

Pour le moment, il n'y a pas de système de caméras embarquées pour les véhicules de police. Quand c'est le cas, il s'agit plutôt d'un « bricolage interne », qui n'est pas encadré. Mais nous avons affaire à de plus en plus de refus d'obtempérer. Dans ce cadre, il est difficile d'assurer à la fois la conduite en toute sécurité, mais aussi la prise en note des éléments utiles ensuite aux investigations, tout en permettant, en cas d'accident ou de mise en cause de la police, d'établir que la police a respecté les règles dans le cadre de son intervention. Comme pour les caméras-piétons, la police est donc très favorable à la généralisation des caméras embarquées. Nous n'avons pas peur de montrer ce que nous faisons. Plus on le montrera, plus on pourra justifier le bon accomplissement de nos missions, et mieux ce sera pour tout le monde.

La question de la formation des policiers a été posée hier soir par le ministre de l'intérieur qui se demandait si, au fond, c'était bien la faute des policiers. En effet, il s'agit d'abord de la responsabilité du directeur général, et sans doute, comme cela a été présenté hier soir, des ministres. À chaque fois qu'un policier est blessé ou tué, ou que des événements comme ceux de la semaine dernière se produisent, c'est pour moi un échec en tant que directeur général. Il est de ma responsabilité de faire en sorte que toutes les opérations de police se passent bien, et que les policiers rentrent chez eux en bonne santé physique et psychologique, mais aussi sécurisés juridiquement.

Pour cela, les policiers doivent être sélectionnés, mais aussi formés de manière suffisante et tout au long de leur vie professionnelle. On peut débattre sur la manière dont la formation initiale des gardiens de la paix est organisée. Au départ, celle-ci était de deux ans, dont douze mois de formation théorique et douze mois de stage. Depuis cette année, ces derniers ne suivent plus que huit mois de formation théorique et seize mois de stage. Le débat existe entre spécialistes pour savoir si la durée de la formation est un préalable indispensable à la qualité de celle-ci. Je n'ai pas d'idée arrêtée sur le sujet, néanmoins je constate que nous avons aujourd'hui énormément de moyens à notre disposition pour aller au-delà de la formation en présentiel. Certaines techniques d'intervention ne peuvent pas s'apprendre autrement que sur un tatami ou dans un espace sportif. L'apprentissage des tirs nécessite un centre de tir, quoiqu'aujourd'hui la réalité augmentée permette de simuler beaucoup de situations. Mais la crise sanitaire nous a démontré que nous pouvions délivrer un maximum d'enseignement à distance. Le ministère de l'intérieur et la police nationale ont d'ailleurs pu faire l'expérience de ces nouveaux modes de fonctionnement et du retard à rattraper en la matière.

Ainsi, il ne s'agit pas forcément d'un problème de durée de formation, mais plutôt de contenu et de qualité de celle-ci. Pour améliorer cette situation, il faut recruter et former des formateurs, qui puissent être disponibles tout au long de la vie professionnelle. C'est sans doute sur ce point que la police nationale a une marge de progression importante. D'abord, parce que les policiers ne sont pas toujours enclins à s'astreindre à la formation continue. Par exemple, dans le cadre de l'utilisation des armes, environ 65 % des policiers effectuent leurs trois tirs réglementaires dans l'année. Ces tirs réglementaires sont importants en cas d'accident de tir, car ils font l'objet d'une vérification par l'IGPN si elle est saisie. Les neuf heures de formation continue proposées, qui peuvent avoir trait aux gestes techniques d'intervention ou encore à la déontologie, sont en proportion très faibles, et mériteraient d'être réévaluées. Le ministre de l'intérieur y est d'ailleurs très attentif, et fera sans doute des annonces dans ce sens. Ensuite, depuis 2015, les services de police ont connu des années « extraordinaires » dans le mauvais sens du terme : d'abord, avec les attentats et leurs effets sur l'engagement des forces de l'ordre, puis avec la séquence des « gilets jaunes », les effectifs mobilisés n'étant parfois pas tous formés aux techniques du maintien de l'ordre. La formation continue en a sans doute fait les frais. Ainsi, nous ne pouvons pas être exigeants vis-à-vis des policiers sans nous-mêmes respecter nos engagements en termes de formation continue. Ce à quoi nous nous attellerons dans les jours et semaines à venir.

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