La question de la confiance des Français à l'égard de la police est revenue de manière sous-jacente dans plusieurs de vos questions. Elle est aussi très présente dans les médias. Je ne partage pas votre expression selon laquelle on aurait besoin de « réconcilier » les Français avec la police. En dépit des difficultés auxquelles nous sommes confrontés, le sentiment qui s'exprime à l'égard de la police reste positif, de manière très largement majoritaire, même s'il n'est pas au niveau que l'on a pu connaître en 2015, à l'époque des attentats. Les personnels que je rencontre, notamment dans les territoires les plus exposés à la délinquance et aux violences, et où ils s'interrogent parfois sur le sens de leur mission et sur l'utilité de ce qu'ils font, éprouvent, à juste titre, le sentiment d'une rupture assez forte entre une partie de la population et, finalement, non seulement la police, mais aussi toutes celles et ceux qui veulent vivre en paix dans notre belle démocratie.
Une partie de la population a fait le choix de vivre en marge, dans la délinquance, en essayant d'exploiter toutes les failles possibles pour faire du trafic de stupéfiants, et est ainsi irréconciliable avec la police. Je n'ai pas l'ambition de tenter de les reconquérir. Pour le reste, les Françaises et les Français, dans leur écrasante majorité, sont d'abord soucieux de leur sécurité. Ils sont parfois conduits à s'interroger par ce qu'ils voient à la télévision ou dans les journaux, mais ils soutiennent toujours, je pense, la police dans son action.
Nous demandons régulièrement à l'institut Ipsos, un organisme indépendant dont tout le monde connaît le sérieux, de réaliser des enquêtes de satisfaction sur les rapports qu'entretiennent les Français avec leur police. Il s'en dégage que le sentiment de confiance à l'égard de la police est d'autant plus fort que l'on a été usager du service public de la police : 90 % des Françaises et des Français qui ont déjà eu besoin de faire appel à la police sont satisfaits ; ceux qui la critiquent ou qui s'en plaignent sont ceux qui se tiennent toujours à l'écart de la police. Si l'on reprend le même sondage, en 2017, 86 % des Français considéraient que la police travaillait bien ; ils sont 80 % en 2019. Cela me laisse confiant sur l'état de la relation entre la police et la population. Ce lien n'est pas forcément celui que l'on retrouve dans les grandes manifestations ou qui est parfois exprimé dans les médias. Doit-on pour autant s'en satisfaire ? Non, évidemment, mais il faut être lucide sur l'état des rapports entre la société et les institutions. Si la police est le réceptacle de nombreuses critiques aujourd'hui, bien d'autres institutions le sont également ; l'autorité des élus est contestée, tout comme celle des enseignants et même les personnes des services des urgences dans les hôpitaux sont contestées par des gens qui ne supportent plus rien.
À la différence de la gendarmerie qui dispose d'un potentiel de 30 000 gendarmes dans la réserve civile, nous avons simplement 6 000 réservistes dans la police, qui sont souvent d'anciens policiers ou d'anciens adjoints de sécurité, mais peu de personnes issues de la société civile. Or je pense qu'outre leur soutien, ces réservistes pourraient nous apporter davantage d'ouverture à la société civile et renforcer le lien entre la police et la population. De même, alors que les réservistes de la gendarmerie sont armés, ceux de la police ne le sont pas, ce qui est un handicap pour conduire des missions sur le terrain. Il faudrait trouver une solution législative à cet égard.
Les policiers n'ont pas peur du contrôle ni du recours à l'image ; ils souhaitent simplement ne pas avoir à subir les images de ceux qui viennent se coller contre eux avec un smartphone en espérant les voir disjoncter face à l'accumulation des provocations ou des projectiles qu'ils reçoivent. Mais il est nécessaire que les policiers disposent d'un matériel qui fonctionne. La police est équipée de plus de 10 700 caméras-piétons, mais le matériel n'est pas opérationnel : manque d'autonomie de la batterie, difficultés d'accrochage, difficulté à rentrer le numéro d'identification RIO (référentiel des identités et de l'organisation), etc. Le Président de la République a indiqué qu'il souhaitait voir la police et la gendarmerie dotées de 30 000 caméras-piétons au 1er juillet 2021 ; le ministre de l'intérieur a réaffirmé cet engagement. En tout cas, quand le matériel est complètement défectueux, il est compréhensible que l'on ne s'en serve pas et que l'on n'ait pas forcément la disponibilité des images lorsqu'on le souhaiterait. C'est la raison pour laquelle un nouveau marché public a été lancé pour obtenir du matériel performant, robuste, et capable, si la loi évolue, de nous donner accès à d'autres fonctionnalités, comme le renvoi à distance afin que des policiers, en difficulté sur le terrain, puissent transmettre les images à la salle de commandement pour que celle-ci envoie des renforts ou leur donne des instructions. Les budgets sont donc prévus pour cela, les marchés lancés et les engagements du Président de la République et du ministre de l'intérieur seront tenus. Cela sera aussi un instrument important du contrôle de l'activité des policiers. Ceux-ci n'ont pas peur de ce qu'ils font. On connaît la place de l'image dans les confrontations avec des manifestants violents. C'est une dimension nouvelle qui s'ajoute à la violence physique.
Vous avez évoqué des changements de management, de techniques, la pression créée par la politique du chiffre sur l'attitude des policiers sur le terrain. Le ministre a été clair : il n'y a pas de politique du chiffre au ministère de l'intérieur pour la police nationale. Mais on a aussi besoin de données pour s'assurer de la mise en oeuvre des politiques publiques déterminées par le ministre : le niveau de saisie des produits stupéfiants, les endroits où sont les trafiquants, etc. On essaie de ne pas solliciter les services pour éviter de faire du reporting au-delà de ce qui est nécessaire. Le service statistique ministériel de la sécurité intérieure nous fournit des données qui nous aident à faire des choix de politiques publiques, d'investissements ou d'affectations des ressources humaines, en fonction des besoins.
Notre objectif est bien de contribuer à avoir une relation saine avec la population. Je souhaite préciser toutefois que je n'ai pas évoqué l'affaire de Magnanville comme un moyen de justifier l'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale ou de pénaliser la diffusion de photos de policiers sur internet. Je l'ai simplement évoqué en référence à ce que les policiers ont perçu comme un basculement décisif dans la manière dont on pouvait s'en prendre à eux : ils ont découvert avec stupeur et sidération cet acte criminel à l'encontre de ce couple, en présence de leurs enfants. Chacun sait lorsqu'il s'engage dans la police qu'il y a des risques et est prêt à les assumer, mais de là à être pris pour cible simplement parce que l'on est policier, jusqu'à son domicile, voilà un élément qui marque l'état d'esprit général des policiers. Mais, encore une fois, qu'il n'y ait pas de malentendu, cela n'est certainement pas un argument pour justifier l'article 24.
La question de la formation continue est une vraie question à laquelle nous devons nous atteler. Pour cela, nous devons disposer de moniteurs formés. Nous devons faire en sorte que les heures de formation auxquelles les policiers ont droit soient vraiment organisées et suivies, au même titre que la formation au tir.
Vous avez aussi évoqué la présence de chefs dans la rue. En l'occurrence, si l'on pense aux événements qui se sont produits ces derniers jours, on constate qu'il y avait un encadrement sur le terrain ; celui-ci peut donc aussi parfois défaillir. Il n'en demeure pas moins que l'on doit faire en sorte d'assurer, en toutes circonstances et en tous lieux, la présence de chefs sur le terrain qui assument la responsabilité des actions qui sont conduites.
En ce qui concerne le divorce entre la police et la population, je ne cherche pas à tenir des propos convenus, mais je pense que la situation n'est pas aussi dégradée que l'on peut l'entendre dire dans certains espaces médias.
L'IGPN a fait la preuve de son efficacité. Il s'agit d'un service qui bénéficie de la confiance de l'autorité judiciaire, comme l'a rappelé le ministre de l'intérieur hier soir. La police est une maison où l'on souhaite être irréprochables. Les infractions qui peuvent être commises et qui peuvent parfois nous déshonorer nous gênent énormément dans notre action au quotidien. C'est pourquoi nous devons être sévères mais justes lorsque nous avons à sanctionner, parce que l'exigence à notre égard est forte, et nous serons d'autant plus justes que nous serons sévères. L'IGPN fait un travail remarquable, dans des conditions extrêmement difficiles. Dans tous les cas, le directeur général de la police nationale a besoin d'avoir à ses côtés un service d'inspection à qui il puisse confier des enquêtes disciplinaires ou des missions d'audit. Si la possibilité de recourir à l'IGPN devait lui être retirée, comme on l'entend parfois dans certaines réflexions, je serais certainement obligé de recréer un service équivalent pour faire la police au sein de ma propre maison et ne pas dépendre d'une structure extérieure. J'apporte donc mon soutien à l'IGPN. On ne peut résumer ce qui s'est passé place de la République ou dans le 17e arrondissement à la question de l'IGPN : quand il y a le feu, on ne dit pas que c'est le problème des pompiers !
J'ai créé auprès de moi un poste de chef de la mission outre-mer pour mieux prendre en compte ces territoires. J'ai souvent été en relation en visioconférence avec M. Cavier, le directeur territorial de la police à Mayotte. La question des mineurs isolés est très prégnante dans ce département : ils arrivent en nombre, sont souvent livrés à eux-mêmes et commettent de nombreuses infractions ou troubles à l'ordre public. Il y a beaucoup de violences urbaines, des affrontements entre bandes, parfois très violents et meurtriers. Le chef de la mission outre-mer a été nommé le 2 novembre et sa première mission aura lieu à Mayotte, où il est arrivé ce matin. Nous sommes donc attentifs à ce que la direction territoriale de la police dispose de tous les moyens disponibles, notamment pour le contrôle aux frontières : avec des moyens nautiques, un centre de rétention administrative et des procéduriers, la police doit être en mesure de traiter la question des étrangers en situation irrégulière et de les raccompagner aux Comores. Vous pouvez donc être assurés de notre engagement sur ce territoire, ainsi d'ailleurs que sur tous les territoires ultramarins. Nous ferons un bilan de l'évolution de la situation à Mayotte, en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, afin d'étendre, éventuellement, les directions territoriales de la police nationale aux autres territoires ultramarins, mais cette décision appartient au ministre de l'intérieur.
Monsieur Marc, j'ai répondu sur les caméras-piétons. Comme je l'ai dit, nous ne sommes pas satisfaits du matériel, une disposition législative semblerait utile.