Intervention de Christian Rodriguez

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 1er décembre 2020 à 14h00
Audition de M. Le Général d'armée christian rodriguez directeur général de la gendarmerie nationale

Christian Rodriguez :

Sur la question des pouvoirs des polices municipales, il ne faut pas oublier que le maire est officier de police judiciaire (OPJ) - en tout cas sur le papier -, et qu'un lien de fait existe déjà avec le procureur de la République. Ce qui me semble intéressant dans cette proposition de loi, c'est qu'elle va permettre de faire traiter, par les polices municipales, des petits contentieux du quotidien qui, très souvent, ne pouvaient l'être car la brigade de gendarmerie ne se trouvait pas sur place. Certes, le policier municipal est avant tout sous l'autorité du maire. Mais les ouvertures prévues par la proposition de loi, tout en permettant une meilleure efficacité, préserveront l'équilibre, ce qui me semble important.

Quant à la coordination entre la police, la gendarmerie et la police municipale, elle relève du corps préfectoral, et globalement les choses se passent bien. J'ai des échanges constants avec Frédéric Veaux et nous sommes capables de discuter de tout, d'avancer, et de trouver ensemble des solutions qui nous permettent d'être plus performants. Ainsi, au quotidien, quand une force est en tension ou qu'il se passe quelque chose d'important, les renforcements se font assez facilement sans que nous ayons besoin de remonter à la direction générale, et le préfet fait engager les forces qui sont présentes. Dans Paris, des gardes républicains patrouillent. À Versailles, des réservistes de la gendarmerie sont engagés autour du château, qui est pourtant une zone sous responsabilité de la police. Nos modalités d'action nous permettent donc d'être aussi présents que possible, là où il le faut, sans remettre en question les zones de compétence. Ces sujets sont traités au fil de l'eau et sans difficulté et, quand un problème se pose, le préfet et les deux directeurs généraux se hâtent de le régler.

Les polices municipales se trouvant sur des territoires qui dépendent de la police ou de la gendarmerie, je crois à une coordination au plus près du terrain, et je n'ai pas beaucoup d'inquiétudes à ce sujet. J'en ai d'autant moins que l'on retrouve souvent d'anciens policiers ou d'anciens gendarmes dans les polices municipales, et que bien souvent des policiers municipaux appartiennent à la réserve de la gendarmerie.

Sur la question de la gendarmerie dans les territoires, il est vrai que l'écosystème est un peu particulier. En effet, le gendarme vit dans une brigade, avec sa famille, au coeur du territoire dans lequel il travaille. Il appartient aux mêmes associations de parents d'élèves et aux mêmes clubs de foot que la population. Fils de gendarme, je connais bien cette forme de contrôle social que la population exerce sur le gendarme. Mon fils me dit d'ailleurs souvent que je dois être prudent parce que si les choses venaient à mal se passer, c'est lui qui aurait des difficultés. La police ne fonctionne pas du tout de cette manière-là. Le gendarme est bien identifié et, même si ce n'est pas simple tous les jours, c'est une vraie force.

Pour les formations des policiers municipaux, nous travaillons avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et, de manière directe ou indirecte, on assure déjà des formations et on aide localement dès lors qu'il y a des besoins. La proposition de loi évoque les brigades cynophiles et il y aura vraisemblablement transfert de compétences de la force régalienne vers les polices municipales. Cela se fera facilement et c'est déjà le cas pour les motocyclistes ou les cavaliers, par exemple. De plus, lors de leur formation initiale, il n'est pas rare que les policiers municipaux passent du temps en observation dans des brigades territoriales. Cela existe donc déjà et se renforcera à mesure que les polices municipales seront plus présentes.

Vous l'avez dit, je suis un technicien, et la question posée sur l'article 24 n'est pas tout à fait celle d'un technicien... Aujourd'hui, on peut poursuivre une personne ayant posté la photo d'un gendarme accompagnée des mots « tuez-le ». Mais si ces mots ne sont pas écrits, on ne peut pas poursuivre, même si le gendarme est livré à la vindicte populaire. La loi permettra d'éviter ce genre de faits. Je laisse le débat aux spécialistes, mais il faut vraiment s'intéresser à la protection de nos gendarmes, c'est une nécessité.

En ce qui concerne les drones, le cadre juridique actuel est incertain et en le rappelant, la décision du Conseil d'État nous conduit à nous interroger. Il est temps de clarifier les choses. Les drones ne sont utilisés que depuis peu pour assurer le maintien de l'ordre, et il s'agit de repérer, en direct, si une foule se forme afin de monter en cas de besoin un dispositif de maintien de l'ordre et de bloquer certains accès, ou de repérer des situations de violence nécessitant une intervention. Il ne s'agit donc pas d'identifier quelqu'un au milieu d'une foule ni d'enregistrer les images. Les choses seront plus faciles quand le cadre juridique sera clairement posé.

Les caméras embarquées posent le même genre de difficulté. Officiellement, nous n'en avons pas mais parfois des gendarmes installent une caméra dans leur véhicule pour se protéger. Ainsi, quand ils sont poursuivis pour des violences et que le magistrat demande des explications, ils présentent les images. Comme a dû le dire Frédéric Veaux, c'est un peu du bricolage, même si les tribunaux acceptent ces vidéos et s'en servent pour asseoir leurs décisions. Là aussi, la réglementation doit être clarifiée.

Sur les caméras-piétons, le modèle précédent posait question quant à son système d'accrochage, la durée de ses batteries qu'il fallait changer régulièrement, et l'insertion du code. Tout était un peu compliqué. Le modèle dont nous allons nous doter a été testé par le service des technologies et systèmes d'information de la sécurité intérieure, ne présente plus ni problème de batterie ni problème d'accroche, et il est plus ergonomique que les anciens. Par ailleurs, la proposition de loi prévoit des usages particuliers, ce qui permettra d'avoir des caméras plus performantes. En ce qui concerne les fabricants, je connais une marque venant d'un pays asiatique et une autre venant d'un pays situé à l'ouest de l'Atlantique. Il en existe sans doute d'autres, et l'appel d'offres permettra à tous de proposer un projet.

Au sujet du Livre blanc, j'évoquerai d'abord la question de la répartition entre zones de police et zones de gendarmerie, qui repose sur un article du code général des collectivités territoriales (CGCT), qui pourtant ne recouvre pas exactement ce sujet. En effet, le CGCT précise ce qui est en zone de police d'État. Or, la gendarmerie est une police d'État et, par excès de langage, nous avons considéré que « zone de police d'État » signifiait « zone de police nationale ». L'article s'intéresse aux pouvoirs du maire et à ceux du préfet, selon la zone, notamment en termes de police administrative. L'approche en fonction de la population et du type de délinquance - les deux critères étant cumulatifs - s'appuie donc sur un article qui ne prévoit pas la répartition des zones de compétence entre gendarmerie et police, et repose donc sur une ambiguïté. Ces dernières années, nous avons souhaité trouvé quelque chose de plus adapté et de moins ambigu. Cependant, changer le CGCT reviendrait à faire dire au texte une chose qu'il ne dit pas et, en l'absence d'autre texte sur lequel s'appuyer, nous sommes dans une logique un peu compliquée.

Le facteur de décision doit être la performance générale du dispositif. Des réflexions vont dans ce sens dans le cadre du Livre blanc, et c'est ce que le ministre a dit lorsqu'il l'a présenté à des parlementaires. Nous devons donc nous demander si, sur un territoire donné, nous serions plus performants en agrégeant des communes et en ayant des zones de compétence plus larges, qu'elles soient celles de la gendarmerie ou celles de la police. La performance et le gain pour la population doivent seuls nous guider dans nos réflexions. Il ne s'agit pas de mettre d'accord police et gendarmerie sur un effectif de population ; la sécurité de la population est bien trop importante pour cela. Notre devoir à nous, policiers et gendarmes, est de nous entendre et d'être parfaitement efficaces ensemble. On s'y emploie et globalement de nombreux progrès sont faits, notamment en termes de mutualisation et de coordination. Pour ces raisons, le pragmatisme doit l'emporter sur le dogmatisme, et l'on doit mener des études d'impact pour savoir ce que l'on apporte à la population. Il s'agit aussi de savoir comment les choses se passent dans les communes qui ont connu le transfert de zones de compétence en 2012. J'ai ainsi rencontré quelques maires des communes passées chez nous mais ce n'est pas encore suffisant. La gendarmerie est présente dans 20 des 22 métropoles du pays et dans 16 de ces 20 métropoles, la gendarmerie est majoritaire en termes de territoire couvert, dont la densité urbaine varie. Je ne dis pas qu'il ne faut rien faire, mais nous devons nous poser ces questions et le sujet est compliqué. Les élus doivent aussi être au coeur de la réflexion.

La question de la fusion entre police et gendarmerie pourrait se poser un jour ; j'ai mon idée sur cette question mais je la garderai pour moi... J'ai répondu plus tôt sur la façon de mieux coordonner l'ensemble des forces, notamment les polices municipales et la force régalienne présente localement.

Améliorer l'ancrage territorial est vraiment la priorité. On a beaucoup d'idées, et on est en train de travailler sur la possibilité de faire tout le travail de la brigade territoriale en mobilité. On va l'expérimenter l'année prochaine et ce que je souhaite, c'est que les gendarmes n'attendent plus les usagers dans la brigade. Cela sera peut-être plus difficile à mettre en oeuvre dans les Alpes-Maritimes ou le Var, dans ces départements où l'activité est très importante mais, dans une bonne partie de nos territoires, on peut tout faire en mobilité. Le gendarme a son NEO, tablette ou ordinateur, et qu'on soit à la mairie ou sur le marché, on peut prendre rendez-vous avec lui pour un dépôt de plainte ou toute autre démarche. Le système lui envoie ensuite une notification pour lui rappeler son rendez-vous, qui peut avoir lieu chez l'usager, à la mairie, à la Poste ou n'importe où. La brigade restera en place et les gendarmes continueront d'y vivre, mais c'est le gendarme qui ira vers l'usager. Au début, il aura une imprimante portable et, dans un deuxième temps, on enverra la procédure signée par courrier électronique. Si la personne n'a pas internet, le gendarme pourra imprimer le papier ou le déposer à la faveur d'une prochaine patrouille. Il s'agit de rénover la proximité, et de la rendre plus riche.

Dans le Limousin et en Corse, on mène une autre expérimentation. Des gendarmes partent pendant trois jours dans un camping-car à la rencontre des populations, dans des territoires sans brigade, dans lesquels on ne voit jamais de gendarmes, parce qu'il ne s'y passe pas grand-chose. Cependant, la population a envie de les voir et sont rassurés par leur présence. Le maire prend rendez-vous et les gendarmes viennent dans leur camping-car sur lequel on lit : « Notre engagement, votre sécurité », ils se garent à la mairie, dorment la nuit à l'hôtel s'il le faut, et passent la journée avec la population. Cela se fera sans toucher aux 3 100 brigades, hormis celles qui vont tomber en ruine, que l'on pourra supprimer mais pour les reconstruire. Nous devons explorer d'autres modèles de proximité tout en maintenant le maillage, qui est vital pour les territoires.

Sur l'échelon intercommunal, il est vrai qu'il réduit le nombre d'interlocuteurs mais ce n'est pas à moi d'en juger. À un moment, nous avons pensé faire correspondre les brigades avec l'intercommunalité mais tout devient alors compliqué et on peut perdre en cohérence. Ce que je souhaite, c'est que chaque maire soit bien connecté à la brigade et puis, si à un moment les intercommunalités fluctuent, on peut recréer des connexions. Évidemment, il faudra que l'on travaille avec vous sur ces sujets-là.

En ce qui concerne la question du renseignement territorial, 15 % de ses effectifs sont des gendarmes. La capacité de synthèse est plus développée dans la police nationale que chez nous, qui sommes les champions des capteurs puisque nous couvrons 95 % du territoire. Nous avons besoin d'une sous-direction qui traite le renseignement parce qu'un chef doit avoir des informations pour bien manoeuvrer, ne pas être aveugle et pouvoir commander au quotidien. Le renseignement territorial, qui reste assez spécifique, doit bénéficier de toutes nos informations. Il y a environ 300 gendarmes au renseignement territorial, les tuyaux sont en place, et les choses se passent très bien. Quand on a un besoin d'un élément, on demande au service central du renseignement territorial et cela fonctionne bien, même si certains grincheux considèrent que c'était mieux avant.

Sur le sujet des relations avec la population, il faut effectivement sortir de la défiance. Sebastian Roché, un chercheur que j'apprécie particulièrement, disait il y a peu que la légitimité de l'action des forces de sécurité était directement liée au lien de confiance existant avec la population. C'est indispensable. On a essayé d'y travailler pendant le confinement avec notre opération « #répondreprésents », en nous rendant auprès des personnes vulnérables, en apportant des médicaments à des personnes âgées qui n'avaient pas de pharmacie à proximité, en téléphonant aux personnes âgées dans les villages, en aidant les maires à distribuer des masques, en apportant leurs cours à des enfants qui n'avaient pas internet ; on a fait autre chose que notre travail quotidien parce que tout le monde était en grande difficulté et cela nous a permis de regagner ce lien de confiance, qui s'était distendu avec le temps. Je suis d'accord avec vous, ce sujet doit être notre première priorité et si vous avez des idées, je suis preneur !

En ce qui concerne l'expérimentation de nos dispositifs pour présenter, expliquer et associer les maires sur la question de la sécurité dans les territoires, je pense qu'elle sera concluante. Nous avons choisi l'expérimentation pour ne pas avoir à imposer le changement en interne. Chacun finira par se rendre compte que c'est une bonne chose, même les gendarmes dans les brigades. Les commandants se diront que leurs relations avec les maires s'améliorent, y compris sur des sujets qui peuvent être délicats. Dès qu'ils seront du même côté de la table et qu'ils travailleront ensemble à apporter la meilleure réponse, ils seront convaincus par le dispositif et alors tout le monde le réclamera. Quand ce sera le cas, on généralisera sûrement, et le plus tôt sera le mieux.

J'ignorais que le dispositif « Réagir » avait disparu et on va le remettre en place. C'est un bon sujet d'échange avec les élus. Merci, monsieur le sénateur d'avoir soulevé ce point.

Enfin, au sujet du FSPRT, c'est l'éternel sujet de la question de l'association des élus. La proposition de loi prévoit d'ailleurs une obligation de renseigner les élus sur certains points. Les maires sont informés de certains sujets mais sur d'autres, le principe de confidentialité reste important. Il y a par exemple des éléments que j'ignore, notamment sur une population qui peut être chez nous. Il faut trouver les bons équilibres et ce n'est pas facile. Je pense avoir répondu à toutes vos questions.

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