D'abord, la magistrature n'est pas un pouvoir, c'est une autorité, sauf à adopter une approche très anglo-saxonne, qui ne correspond pas à notre tradition républicaine. Être un contre-pouvoir n'est donc pas inscrit dans les gènes du CSM. Certes, un pouvoir de nomination, un pouvoir disciplinaire, c'est toujours une sorte de contre-pouvoir, et tout simplement de pouvoir. Mais contre qui ? Pas contre les magistrats. Toute personne qui exerce l'autorité doit être comptable de l'autorité qu'elle exerce, que ce soit dans les urnes, devant une commission de déontologie ou au tribunal. C'est encore plus vrai pour des personnes qui exercent un pouvoir souvent solitaire, et où leur responsabilité, au sens juridique du terme, est - heureusement - très rarement recherchée. Il me paraîtrait malencontreux qu'on élargisse les possibilités de saisine au sens de la responsabilité juridique, sauf fautes très graves. Les affaires qui ont éclaté après Outreau ont montré que l'institution pouvait paraître assez bienveillante à l'égard de fautes commises... C'est au CSM d'exercer pleinement son rôle. On ne doit donc pas renforcer son caractère endogène, d'autant qu'on est arrivé à un équilibre qui semble assez satisfaisant. Les conclusions de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale que j'ai déjà citée sont formulées avec beaucoup de retenue sur cette question.
Cette autorité de contrôle et de sanction est-elle suffisamment exercée ? Les chiffres parlent mal de cette question : 340 saisines, sur des millions de décisions rendues par 8 500 magistrats... Par comparaison, les saisines du Conseil de l'ordre des avocats de Paris, qui concernent 30 000 avocats, sont d'environ 3 000 par an. Mais il existe deux fois plus de raisons de se plaindre de son avocat : outre la question des résultats, il y a celle des honoraires - question qui ne se pose pas à l'égard des magistrats ! En fait, sur les 3 000 saisines par an, deux bons tiers portent sur des questions d'honoraires. Il en reste donc un millier, à comparer aux 340 du CSM. Et le rapport annuel fait état de 70 ou 80 sanctions disciplinaires en cinq ans, qui vont du blâme à la révocation.
Il est clair que quelque chose ne tourne pas rond. Il est tout aussi clair qu'on ne peut pas ouvrir les vannes à n'importe quel type de comportements de quérulents, qui viennent contester le jugement qui a été rendu... Pour autant, il y a une réflexion technique à mener pour maintenir l'indépendance, car être sous le coup d'une forme d'instruction est intolérable pour quelqu'un qui exerce la justice, sans fermer totalement la porte - l'irrecevabilité est tout de même conçue larga manu... La commission de filtrage est composée de quatre personnes, deux magistrats et deux personnalités extérieures, ce qui ne facilite pas la prise de décision, même si je ne dis pas que, systématiquement, les magistrats sont contre et les personnes extérieures, pour. En tous cas, ces chiffres donnent l'impression désastreuse que l'institution se protège.
La déontologie doit être intégrée dans les comportements sanctionnés par le CSM. Mais il y a peut-être des façons de « faire descendre » davantage sur le terrain une forme de contrôle déontologique. Souvent, l'on reproche moins aux magistrats des manquements très importants, qui de toute façon ne passeraient pas, que des attitudes quotidiennes. C'est un peu la même chose qu'avec son médecin traitant ou avec l'hôpital : on se plaint de l'hôpital non pas parce qu'on a été mal soigné, mais parce qu'on a été mal reçu, avec trop peu d'humanité, etc. Voilà une préoccupation qu'on pourrait faire redescendre au niveau des chefs de cour. J'ai été étonné que, dans le comité de déontologie créé en 2016, la remontée d'informations ne soit fondée que sur des avis, assez généraux, et de manière plutôt déconnectée du CSM, même si celui-ci a validé le code déontologique.
D'ailleurs, le parcours des plaintes est assez étrange, puisqu'il passe par le chef de cour, puis par un certain nombre de canaux ; quand le magistrat s'exprime, il le fait au travers du chef de cour ; une copie est donnée au ministère... Le circuit n'est pas des plus évidents ! Pourquoi ne pas ouvrir la possibilité d'une voie de saisine directe du CSM ? Quand j'ai fait mon service militaire, l'une des premières décisions du ministre Hernu était qu'on pouvait lui écrire directement, sans passer par les différents étages de la hiérarchie. Il n'a pas été inondé de demandes de simples soldats... Là aussi, on a l'impression que la machine veut contrôler à tous les niveaux, comme s'il y avait des risques de dérapages. De même, les magistrats ne peuvent pas eux-mêmes se plaindre du comportement d'un autre magistrat ou d'un chef de cour. Il faut que cela passe par des voies extrêmement étonnantes, avant d'arriver au CSM... Tout cela ne reflète pas une volonté de transparence absolue.
Certes, ces questions déontologiques doivent rester dans un cercle restreint, parce qu'il y a des choses qu'on ne peut pas dire, et je ne prêche pas non plus une transparence complète. Une simplification, en tous cas, me paraît nécessaire. D'ailleurs, les moyens d'investigation du CSM sont inexistants. La commission d'enquête de l'Assemblée nationale y avait songé. De tels moyens sont absolument nécessaires, non tant pour enquêter soi-même que pour enquêter de manière indépendante. En tant que médiateur, j'ai appris qu'il fallait voir les problèmes à la base. Au CSM, on voit les choses au travers des filtres de l'institution. Il est bon d'aller discuter avec des magistrats, surtout quand on vient de l'extérieur, pour apprécier le ressenti et percevoir ce qui ne passe pas au travers de tous ces filtres.