Mes chers collègues, à la demande de mon groupe, nous examinerons le 10 décembre prochain une proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion.
Vous avez été plusieurs à participer aux auditions préparatoires que j'ai organisées, et je tiens à vous en remercier. J'ai acquis au cours de ces entretiens une première conviction : la question de la promotion des langues régionales dépasse les clivages politiques.
Une langue régionale est une langue historiquement parlée sur une partie du territoire national, depuis plus longtemps que le français. Elle se distingue des langues non territoriales, qui sont issues de l'immigration et utilisées par des citoyens français depuis plusieurs générations.
La délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) dénombre une vingtaine de langues régionales en France métropolitaine, et plus d'une cinquantaine dans les territoires d'outre-mer. Ainsi la France est-elle le pays européen connaissant la plus grande diversité linguistique. Bien évidemment, l'utilisation et la vitalité de ces langues varient.
Il est très difficile d'estimer le nombre de locuteurs et la dernière enquête nationale date du recensement de 1999. L'Insee avait alors estimé à 5,5 millions le nombre de personnes parlant avec leurs parents dans une langue régionale. Pour sa part, la DGLFLF estime à 4,9 millions le nombre actuel de locuteurs des principales langues régionales. Cependant, cette donnée chiffrée a deux limites. Tout d'abord, certaines langues ne sont pas comptabilisées. De plus, la question se pose de savoir ce qu'est un locuteur, et quelle maîtrise de la langue il faut posséder pour que le terme s'applique.
Lors des auditions, j'ai constaté que les informations relatives aux langues régionales restaient parcellaires. Des associations et certaines collectivités territoriales comme la région Bretagne ont pris l'initiative de lancer des études sur le nombre de locuteurs. Toutefois, il nous manque une enquête nationale sur la pratique et la transmission de ces langues. La dernière date de vingt ans, soit une génération, et il me semblerait intéressant que les pouvoirs publics se saisissent de cette question et lancent une nouvelle étude nationale. Cette demande ne relève pas du domaine de la loi, mais notre débat en séance publique sera l'occasion d'appeler le Gouvernement à agir en ce sens.
Cependant, malgré le manque de données précises, l'ensemble des personnes auditionnées s'accordent à dire que la pratique des langues régionales recule. Si les langues ultramarines résistent plutôt bien, tout comme le breton et le basque, d'autres connaissent une forte diminution de leur usage. Lors de son audition, le président de l'Institut de la langue régionale flamande nous a indiqué que, en l'espace de vingt ans, le nombre de locuteurs avait été divisé par deux, passant de 90 000 à 45 000 environ, par manque de soutien politique. Et cette langue régionale a la chance d'être transfrontalière et de bénéficier du dynamisme linguistique présent en Belgique. Il faut imaginer la situation des langues régionales qui ne sont pratiquement plus transmises dans le cercle familial, ne peuvent s'appuyer sur un vivier linguistique transfrontalier, et ne bénéficient d'aucun volontarisme politique pour les promouvoir et les défendre !
J'en viens au cadre constitutionnel de l'utilisation et de la promotion des langues régionales. Le Conseil constitutionnel s'est saisi de cette question à l'occasion des débats sur la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, et plusieurs décisions sont venues ensuite réaffirmer sa position, sur laquelle je souhaite revenir. D'abord, l'usage du français s'impose aux personnes de droit public et aux personnes de droit privé exerçant une mission de service public. De plus, les particuliers ne peuvent se prévaloir d'une langue autre que le français dans leurs relations avec les administrations et les services publics, et ne peuvent être contraints à utiliser une autre langue que le français. Toutefois, et c'est un point sur lequel je reviendrai, le Conseil constitutionnel précise explicitement que l'article 2 de la Constitution n'interdit pas l'usage de traduction.
Vous le savez, la Constitution s'est enrichie en 2008 de l'article 75-1, qui affirme que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Nous pouvons légitimement nous interroger sur les conséquences de ce nouvel article : la jurisprudence du Conseil constitutionnel, antérieure à 2008, est-elle toujours d'actualité ? À la lecture des travaux préparatoires du projet de loi constitutionnelle de 2008, il me semble que c'est le cas. En effet, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, les deux rapporteurs du projet de loi ont indiqué que l'insertion des langues régionales dans la Constitution n'avait pas pour conséquence d'introduire de nouveaux droits pour ces langues. Bien sûr, le Conseil constitutionnel est souverain, et un revirement de jurisprudence constitutionnelle est toujours possible.
Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Il s'agit d'un patrimoine immatériel et leur valorisation, comme leur promotion, passe par leur utilisation et leur transmission. À ce sujet, je souhaite d'abord évoquer rapidement la présence des langues régionales dans les médias. Selon la loi, France Télévisions doit contribuer à la connaissance et au rayonnement des territoires et des langues régionales. En 2018, 385 heures de programmes en langue régionale ou bilingue ont été diffusées sur les chaînes métropolitaines de France Télévisions, et près de 1 800 heures sur les antennes ultramarines. Par ailleurs, quatre stations locales de France Bleu diffusent dans des langues régionales, et des programmes sont proposés dans ces langues au sein du réseau France Bleu. Au total, ce sont 5 000 heures de programmes diffusées sur les antennes du réseau France Bleu.
J'en viens à présent à l'école et à l'enseignement des langues régionales. Aujourd'hui, à part pour quelques langues, la transmission ne se fait plus dans le cercle familial, mais à l'école, qui a donc un rôle important à jouer. Depuis 1951, il est possible d'enseigner les langues régionales à l'école publique et si des progrès sont certainement nécessaires, cette possibilité existe.
Au moyen de plusieurs décisions, le Conseil constitutionnel a défini le cadre dans lequel doit se dérouler cet enseignement. Tout d'abord, celui-ci ne peut revêtir un caractère obligatoire ni pour les élèves ni pour les enseignants. De plus, il ne doit pas avoir pour objet de soustraire les élèves aux droits et obligations applicables à tout usager du service public de l'Éducation. Enfin, l'usage d'une langue autre que le français ne peut être imposé aux élèves, ni dans la vie de l'établissement ni dans les disciplines autres que celles de la langue considérée, et l'enseignement dit immersif est donc interdit dans les écoles publiques. Il existe toutefois une exception à cette interdiction : l'expérimentation, qui doit faire l'objet d'une approbation de la part du directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen). L'expérimentation est conduite pendant une période de cinq ans et doit faire l'objet d'une évaluation. Certaines écoles publiques se sont saisies de ce cadre expérimental pour proposer un enseignement plus intensif des langues régionales, rencontrant plus ou moins de difficultés de la part du rectorat.
De manière générale, il existe un dispositif d'apprentissage des langues régionales de la maternelle à la terminale. À l'école maternelle, les enfants peuvent bénéficier d'une sensibilisation et d'une initiation et puis, à l'école primaire, la langue régionale peut être enseignée pendant l'horaire consacré aux langues vivantes étrangères. Des classes bilingues français et langue régionale peuvent également être créées. Dans ce cadre, la pratique de la langue peut aller jusqu'à la parité hebdomadaire horaire dans l'usage de la langue régionale et du français. Toutefois, aucune discipline autre que les cours de langue ne peut être exclusivement enseignée en langue régionale. Au collège, les élèves peuvent choisir une langue régionale comme deuxième langue et au lycée, la langue régionale peut faire l'objet d'un enseignement au titre de la deuxième, voire de la troisième langue vivante. Du CP à la terminale, ce sont donc un peu plus de 118 000 élèves qui étudient une langue régionale.
J'en viens à présent aux conclusions. Les difficultés ne sont pas dues à un cadre législatif insuffisant, même s'il pourrait être renforcé dans les limites fixées par le Conseil constitutionnel. Elles le sont davantage à une sous-exploitation des possibilités offertes par les textes, par méconnaissance, manque de moyens ou de volonté politique, et à des freins infra-législatifs. Je veux ici vous donner deux exemples.
Premièrement, comme l'a rappelé Laurent Nuñez devant notre assemblée en janvier dernier, les officiers de l'état civil sont autorisés à délivrer, à la demande des intéressés, des livrets de famille ainsi que des copies intégrales et extraits d'actes de l'état civil bilingues ou traduits dans une langue régionale. À titre personnel, je l'ai découvert en préparant ce rapport.
Deuxièmement, je souhaiterais évoquer la réforme du baccalauréat, qui illustre bien les difficultés infra-législatives pouvant être rencontrées. En effet, les nouvelles modalités de comptage des points rendent les langues régionales moins attractives pour certains élèves. Auparavant, seuls les points au-dessus de la moyenne comptaient tandis qu'aujourd'hui les options langues régionales sont comptabilisées dans la moyenne des bulletins scolaires de la première et de la terminale, et peuvent ainsi faire baisser la note du contrôle continu. À l'inverse, une bonne moyenne sera noyée parmi les autres matières du contrôle continu, qui ne compte que pour 10 % de la note finale.
Il existe pourtant un moyen simple pour le ministère de l'éducation nationale d'envoyer un signal en faveur des langues régionales : leur appliquer le même régime qu'au latin et au grec ancien. En effet, ces deux langues sont les seules qui continuent à bénéficier de la bonification pour les points au-dessus de la moyenne. Le grec ancien et le latin sont ainsi comptabilisés deux fois : dans les 10 % du contrôle continu, et dans les points au-dessus de la moyenne qui sont bonifiés d'un coefficient trois avant d'être ajoutés au total des points reçus par l'élève.
Malgré ces réserves, je vous propose d'adopter le texte conforme. Des dispositifs législatifs plus ambitieux pourraient mieux assurer la promotion des langues régionales, mais il n'est pas certain qu'ils puissent faire consensus à l'Assemblée nationale, ni même au sein de notre assemblée. Par ailleurs, depuis la loi Deixonne, une soixantaine de propositions de loi relatives aux langues régionales ont été déposées. Aucune n'a été adoptée ni même, bien souvent, inscrite à l'ordre du jour de l'autre assemblée. L'adoption conforme de ce texte permettrait de clore la navette parlementaire et offrirait un symbole de l'engagement du Parlement en faveur des langues régionales.