Intervention de Max Brisson

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 2 décembre 2020 à 16h30
Proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion — Examen du rapport et élaboration du texte de la commission

Photo de Max BrissonMax Brisson :

Je souhaiterais d'abord remercier le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) d'avoir porté cette proposition de loi du député du Morbihan Paul Molac, ainsi que Monique de Marco, pour son rapport circonstancié et argumenté dont je partage les grandes lignes et la conclusion finale.

Cependant, j'aurais peut-être été plus dur sur la réforme du baccalauréat qui illustre parfaitement le rapport qu'entretient l'éducation nationale avec les langues régionales, qui en avaient tout simplement été oubliées ! Cet oubli résume tout. J'aurais aussi été plus dur sur l'absence de l'audiovisuel public et aurais souligné le relais assuré par les radios associatives, qui portent les langues régionales sur les ondes.

Pour le reste, j'approuve ce rapport et espère qu'il servira de support à un débat apaisé et constructif. En effet, dans les territoires où les langues régionales sont parlées, nous gardons parfois de bien mauvais souvenirs des caricatures offensantes qui sont développées à l'occasion des débats sur les langues régionales - peut-être davantage à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. J'espère en tout cas que le débat de la semaine prochaine sera digne de ces langues qui sont, pour certains de nos concitoyens, des langues maternelles. Nous sommes tous militants de la francophonie et souffrons quand l'usage du français recule ; acceptons que l'on puisse aussi souffrir lorsque l'on voit sa langue maternelle fragilisée ou menacée de disparition.

Je suis élu d'un département qui a la chance de compter deux langues dites régionales : le béarnais et la langue basque, qui est par ailleurs une langue d'Europe puisqu'elle est parlée et bénéficie d'un statut officiel au sein de la communauté autonome d'Euskadi et de la députation forale de Navarre, dans le royaume d'Espagne. En Pays basque de France, 60 % des écoles ont des sections bilingues français et basque, mais j'ai bien conscience que cette situation est exceptionnelle, tout comme l'est le consensus politique qui s'est noué au Pays basque sur ce sujet. Ainsi, un homme comme moi, élu d'un parti de tradition jacobine, a fondé et présidé l'Office public de la langue basque, qui regroupe l'État, la région, le département et les communes du Pays basque.

La République a toujours eu un rapport difficile avec les langues de France, parce qu'elles ont longtemps été le symbole de la France du cheval de trait, que leur usage paraissait archaïque et réactionnaire. Lutter contre les langues de France était aussi le moyen d'imposer la République et l'émancipation, ce que l'on peut respecter. Les hussards noirs ont mené ce combat en conscience, mais, en 1950, dans les rues de Mauléon ou de Saint-Palais où l'école publique était pourtant bien implantée, on continuait de parler parfaitement la langue basque. Il ne faut donc pas surestimer le rôle de l'école comme élément destructeur des langues de France. En fait, c'est la télévision, la modernité et l'urbanisation qui sont responsables. Avec Intervilles, Guy Lux a fait plus de mal aux langues de France que les hussards noirs de Jules Ferry !

Et nous sommes aujourd'hui dans une situation paradoxale puisque la langue est moins parlée dans la rue des villages et des villes et davantage à l'école alors qu'en 1950, c'était le contraire. Cela donne à l'école une responsabilité particulière. La transmission, familiale ou scolaire, est un pilier de ce qui en France est encore un concept inconnu : la politique linguistique.

Il serait injuste de dire que l'école ne fait rien pour les langues de France puisque c'est l'administration française qui en fait le plus, en termes de postes déployés et d'efforts budgétaires. Cependant, l'école conçoit l'apprentissage du basque, de l'occitan, du breton, du catalan ou du corse comme une discipline enseignée et non comme un élément de la politique linguistique d'un territoire qui inscrit sa langue non pas dans une vision muséographique, nostalgique ou historique, mais dans la modernité. C'est en tout cas ce que nous avons fait au Pays basque, où nous sommes partis d'une réflexion simple : la langue est le premier vecteur de l'identité, qui est un facteur d'attractivité, car les territoires sans identité sont des territoires sans projet. En Pays basque de France, nous avons pris conscience dans les années 1990 du lien existant entre identité, langue, attractivité et modernité. Ce que nous demandons, c'est que notre combat soit considéré comme un combat de modernité. Nous ne cherchons pas à protéger et à préserver la langue, mais à produire des locuteurs capables de s'exprimer, de travailler et de vivre dans nos langues ! C'est ce que l'éducation nationale ne comprend pas, et c'est là que réside le hiatus entre l'éducation nationale et les élus des territoires, qui ont pris conscience de la dimension moderne des langues, comme reflets des territoires et vecteurs de leur attractivité.

Depuis la loi Deixonne, les textes qui ont porté sur les langues régionales sont des textes fondamentaux pour l'école et les collectivités, mais les langues y ont toujours été traitées de façon mineure. À l'opposé, la loi Toubon, qui avait pour but de lutter contre l'anglomania et l'imperium de l'anglo-américain, a été largement utilisée par les préfets et les recteurs contre les langues régionales, trahissant par là même l'objectif du législateur.

La proposition de loi de Paul Molac est la bienvenue parce qu'elle rappelle à l'État un certain nombre de ses obligations en ce qu'elle prévoit un cadrage de la loi Toubon, et qu'elle sécurise la place des langues dans l'espace public. En revanche, nous avons tous été surpris par l'absence totale de référence à l'Éducation nationale. Nous avons donc fait des recherches, qui ont montré que les députés de la majorité présidentielle, certainement à l'appel du ministre de l'éducation nationale, avaient systématiquement supprimé tous les articles concernant l'enseignement ! Nous nous retrouvons donc avec une magnifique proposition de loi sur les langues régionales, qui ne dit pas un mot de l'enseignement, comme s'il pouvait y avoir une politique linguistique en faveur des langues régionales qui ne passe pas par l'enseignement !

Ma chère collègue, vous avez proposé un vote conforme, mais j'espère que nous ferons preuve d'imagination dans l'hémicycle pour déposer quelques amendements qui rappelleront au Gouvernement qu'il n'y a pas de politique linguistique qui ne s'appuie sur l'éducation. Sinon, c'est de l'enfumage !

Notre génération a une responsabilité. J'appartiens à un territoire dans lequel les jeunes qui n'ont pas reçu d'enseignement en langue basque ou en langue occitane reprochent à leurs parents de ne pas les avoir inscrits dans une école publique pour apprendre la langue de leurs grands-parents. Mais aujourd'hui, les plus jeunes générations retrouvent des taux de pratique linguistique proches de ceux des années 1960.

Enfin, tout cela n'a jamais remis en cause l'unité de la République. Et je dirais même que les territoires dans lesquels on pratique les langues régionales sont aussi des territoires où l'intégration sociale, le lien et la solidarité sont parmi les plus forts. Les membres du groupe Les Républicains suivront la position formulée par la rapporteure.

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