Intervention de Pierre Ouzoulias

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 2 décembre 2020 à 16h30
Proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion — Examen du rapport et élaboration du texte de la commission

Photo de Pierre OuzouliasPierre Ouzoulias :

Comme toute sa génération, mon grand-père parlait le limousin. Il a appris le français à l'école ; il n'avait pas le droit d'y parler une autre langue, même dans la cour de récréation. Il est ensuite monté à Paris, et en perdant l'usage du limousin, il a aussi perdu un vocabulaire précieux, ce qu'il a d'ailleurs beaucoup regretté à la fin de sa vie. L'odeur de la nature après l'orage, ou encore certains noms d'oiseaux ne trouvent pas d'équivalents en français. Républicain fervent et absolu, il concevait pourtant parfaitement qu'on puisse avoir deux cultures.

En Corrèze, il existe toujours un droit coutumier en limousin, qui n'est pas traduisible. Il réglemente notamment certains usages de la forêt. Si celui-ci disparaît, nous serons alors dans l'incapacité de trouver une transcription dans le droit français. Il s'agirait d'une grande perte culturelle. Les langues régionales font partie de l'identité d'un territoire, et de la relation complexe que les individus nouent avec celui-ci. Il est admirable que des familles étrangères au département, voire parfois à la France, utilisent ce vocabulaire pour décrire des réalités quotidiennes. Ainsi, cette identité n'exclut pas, au contraire : elle est intégrante.

Cette proposition de loi me pose plusieurs problèmes, notamment au travers de son article 2, qui fait passer les langues régionales dans le cadre étroit des trésors nationaux. Or, ces derniers sont précisément décrits comme des biens meubles et immeubles. Au-delà de mes doutes sur l'utilité d'une telle démarche, je crains qu'intégrer les langues dans ce registre n'affaiblisse la notion même de patrimoine national, alors que nous en avons absolument besoin.

À propos de l'enseignement, je partage totalement les propos de M. Max Brisson : aujourd'hui, rien n'interdit une reconnaissance plus forte des langues régionales. Il est sidérant de constater l'existence de 185 sections internationales dans les lycées, mais de ne pas pouvoir enseigner certaines disciplines en langue régionale. Faudra-t-il attendre l'instauration d'un lycée international occitan à Toulouse pour pouvoir continuer à utiliser la langue d'oc ? Il y a ici une distorsion que je ne comprends pas. Dans les Hauts-de-Seine, par exemple, l'enseignement d'une langue étrangère au lycée est considéré comme un critère d'attractivité énorme. Pourquoi une langue régionale ne le serait-elle pas ? Il y a un certain vestige jacobin qui aboutit à différencier le traitement donné à ces langues.

J'approuve aussi les propos formulés sur la loi Toubon. Celle-ci n'est absolument pas appliquée en ce qui concerne l'anglais. Le Centre national de recherche scientifique (CNRS) interdit même quasiment à ses agents de produire des articles scientifiques en français ! En revanche, elle a été utilisée contre les langues régionales, ce qui est une absurdité absolue.

L'article 9 vise à autoriser les signes diacritiques des langues régionales dans les actes d'état civil. Mais je ne vois pas ce qui l'interdit dans le droit actuel. De plus, il ne s'agit pas ici des actes de l'administration, mais de la façon dont les gens s'appellent eux-mêmes, ce qui est très différent. Dans les bureaux de vote, on a des cas où les noms sont transcrits sans aucun signe diacritique dans le registre d'état civil, alors que, sur la pièce d'identité de l'individu, ces signes apparaissent parfaitement. Leur usage est donc permis, puisque cette pièce est reconnue par l'administration. Pourtant, cela n'apparaît pas correctement sur la liste électorale. C'est une absurdité.

Nous aurions pu aller beaucoup plus loin sur ce texte. Pour un certain nombre de dispositions, on devine qu'il s'agit de forcer la main à une administration encore très rétive à appliquer les textes existants sur la protection des langues régionales. Même si je souhaite que ce texte poursuive son chemin législatif, je pense qu'une réflexion plus ample et plus aboutie sur le sujet est nécessaire.

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