J'avais aussi apprécié notre rencontre d'avril dernier, c'est pourquoi j'avais à coeur d'être avec vous ce matin.
J'avais alors fourni les premiers chiffres dont nous disposions, ils sont consolidés : pendant le premier confinement, les appels au 119 ont progressé de moitié, un tiers venant des voisins et un autre tiers des camarades des victimes de violences - j'y vois le signe que notre vigilance individuelle et collective a augmenté et j'espère que nous pourrons faire perdurer ce réflexe. Très tôt, nous avions accompagné les salariés du 119, que je salue ici, et nous avions augmenté les dotations : l'État a apporté 600 000 euros supplémentaires, sachant que le 119 est géré par un groupement d'intérêt public (GIP) qu'il partage avec les départements. Nous avions accéléré la réalisation d'un formulaire en ligne, accru la coordination avec les associations, principalement La voix de l'enfant et L'enfant bleu (association présidée par votre ancienne collègue Isabelle Debré) qui ont pris le relais sur le volet juridique. Pour mémoire, nous avons démultiplié les points de contact : le dispositif en pharmacie sur les violences conjugales a été étendu aux enfants maltraités, nous avons passé un accord avec les offices d'HLM pour des affichages dans les halls d'immeubles, nous avons mobilisé aussi le 114, numéro d'urgence pour personnes sourdes et malentendantes, accessible en permanence par SMS. Je salue l'ensemble des groupes de communication : le service public audiovisuel a été proactif pour offrir de l'espace publicitaire, en parler dans des documentaires. J'ai rencontré Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions, qui nous a accompagnés dans ces campagnes de communication. Nous avons aussi passé des partenariats avec les plateformes numériques pour atteindre les jeunes, en particulier Tik Tok ; nous avons mobilisé des personnalités sportives et du spectacle.
Nous réactivons ces mesures avec le deuxième confinement. Il est différent, vous avez raison de le dire, car les écoles sont ouvertes. Nous avons donc retrouvé nos yeux, si je puis dire, car les violences sont souvent identifiées dans le cadre scolaire. Mais attention, les violences demeurent ! Elles risquent même de s'accroître à mesure que la crise économique et sociale, qui est encore devant nous, va produire ses conséquences, notamment le chômage. On le sait, celui-ci accroît les tensions dans certains foyers, et les enfants et les femmes sont les premières victimes de cette situation. Nous devrons donc rester très vigilants.
Nous commençons à recevoir les premières études consolidées, qui doivent encore être confirmées, sur les violences subies par les enfants pendant cette première période de confinement. Mes homologues étrangers - en Italie, en Allemagne, en Finlande - constatent une augmentation des violences. À l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, pendant la période de confinement, il y a eu une baisse de l'hospitalisation des enfants de 30 % - c'était attendu du fait de la moindre activité à l'extérieur. Mais la part des enfants hospitalisés pour faits de violences a, elle, augmenté de 50 %. Donc il y a eu un phénomène d'accroissement des violences pendant cette période si particulière.
Ensuite, nous commençons à mesurer les effets psychologiques de la crise sanitaire sur nos enfants. Les tout-petits voient des professionnels masqués depuis huit mois, et cela va durer - alors qu'on sait l'importance des expressions du visage dans le développement des enfants. C'est pourquoi j'ai demandé à la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) de doter de masques transparents les professionnels de la petite enfance : nous avons financé 500 000 masques, trois par professionnel, toutes les crèches et les maisons d'assistantes maternelles sont concernées. Nous sommes attentifs à la santé mentale des plus grands, qui portent des masques à partir de six ans. Nous avons travaillé dès le mois de mai avec une équipe de l'hôpital Robert-Debré pour élaborer une grille d'indicateurs propres à repérer le mal-être des enfants, une grille que nous avons transcrite ensuite pour la diffuser aux professionnels de la petite enfance et aux parents.
Enfin, nous travaillons aussi sur la santé des adolescents : nous avons rencontré hier, avec Franck Bellivier, le délégué interministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, une douzaine de pédopsychiatres qui nous ont dit constater des modifications dans les troubles de comportements alimentaires, une anxiété plus aiguë des adolescents dans cette période si difficile, ainsi que l'accroissement du nombre de consultations pour tentatives de suicide - nous sommes très prudents sur les chiffres qu'ils nous ont communiqués, ils correspondent à de petites séries. Avec Olivier Véran, nous avons récemment rencontré l'équipe de Fil Santé Jeunes, qui nous a confirmé l'augmentation du nombre d'appels de la part d'étudiants, qui vivent difficilement le confinement. Les étudiants, qui vivent souvent éloignés de leur famille et dans de petits logements, sont particulièrement exposés.
Le Président de la République a lancé le projet « Les 1 000 premiers jours de l'enfant ». Le rapport de la commission chargée de cette réflexion, remis il y a un an, comporte de nombreuses propositions. Vous en avez déjà adopté certaines dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, tel l'allongement du congé paternité qui a suscité dans votre assemblée un large débat. Notre ambition, c'est d'élaborer des messages de santé publique à destination des parents, de donner de bons conseils sans verser dans la culpabilisation ni dans la rédaction d'un « code du bon parent ». C'est dès le premier âge que se prennent les bons réflexes sur l'importance du jeu, l'allaitement, la relation au numérique, mais aussi la violence ordinaire dans l'éducation, ou encore des phénomènes comme le syndrome du bébé secoué - dont certains parents n'ont pas conscience. Nous travaillons à ces messages avec Santé publique France. J'espère qu'ils figureront dans le carnet de santé et, par la suite, dans le carnet numérique. Nous ciblons aussi les professionnels, car nous constatons que les messages qu'ils délivrent sont parfois contradictoires.
Nous travaillons également sur la notion de parcours, pour accompagner les femmes et les couples dans leur parentalité. J'ai été surpris du nombre de femmes qui, quand on les interroge, disent éprouver de la solitude face à leur enfant et qui témoignent d'une sorte de rupture dans le suivi entre la grossesse et après la naissance. La commission Cyrulnik suggère un parcours, qui irait de la grossesse aux trois ans de l'enfant ; nous proposons une approche universelle, pour tous les couples, et des outils spécifiques en fonction des difficultés que l'on rencontre. Seulement 28 % des femmes enceintes font l'entretien prénatal précoce, au quatrième mois, nous voulons le généraliser - nous avons inscrit 10 millions d'euros dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour soutenir le réseau santé en périnatal. Ensuite, nous finançons, dans 100 maternités prioritaires, des professionnels, sages-femmes, travailleurs sociaux, pour l'accompagnement à la parentalité. Enfin, des mesures doivent améliorer l'articulation hôpital-ville, ce qui passe par le renforcement des équipes de la protection maternelle et infantile (PMI), une institution à laquelle j'attache beaucoup d'importance et que je soutiens, parce qu'elle doit jouer un rôle pivot ; le rapport Cyrulnik montre que les PMI ont perdu 100 millions d'euros en trois ans : nous allons remettre ces crédits dans la contractualisation. Nous voulons aussi encourager les visites à domicile post-partum : personne ne parle de la dépression post-partum, mais elle touche officiellement 15 % des femmes, probablement le double - ainsi que des hommes, peut-être - avec un pic entre la cinquième et la douzième semaine après l'accouchement ; nous allons donc tâcher de faire rembourser une visite à domicile à la cinquième semaine, ainsi qu'à la douzième semaine si c'est nécessaire. La visite sera effectuée par une sage-femme dans la plupart des cas, mais ce pourra être un autre professionnel, par exemple un travailleur social, si cela correspond aux besoins.
Nous travaillons, encore, aux parcours qui peuvent être fragilisés en raison de spécificités : par exemple la prématurité, le handicap de l'enfant ou d'un parent, voire des deux parents, une adoption, ou encore des questions psychiatriques. Nous sommes en retard sur la psychiatrie périnatale : des détresses psychiques ne sont pas repérées et les dégâts sont alors immédiats ; aussi le PLFSS pour 2021 prévoit-il de consacrer 5 millions d'euros à destination de dix nouvelles unités mères-enfants, attachées à des centres hospitaliers universitaires (CHU) pour que des mères puissent être hospitalisées avec leurs enfants, ainsi qu'à la constitution de vingt équipes mobiles en psychiatrie périnatale. Nous avançons sur la parentalité de personnes handicapées, avec l'extension de la prestation de compensation du handicap (PSH) pour couvrir les aides à la parentalité, effectives au 1er janvier prochain - cette initiative manifeste, officiellement et pour la première fois, qu'on peut être handicapé et parent.
Vous avez voté la création d'une dizaine de services d'accompagnement à la parentalité des personnes en situation de handicap (SAPPH) : c'est encore une façon de reconnaître qu'on peut être autiste et parent, non voyant et parent - nous levons une sorte de censure, tout en mettant à disposition des outils pour aider la parentalité.
Les congés sont un levier important. Nous avons doublé la durée du congé paternité, tout en en rendant une partie obligatoire. J'y tenais beaucoup : nous en avons débattu. Nous allons engager une réflexion sur une réforme plus globale des congés parentaux, c'est un sujet structurant sur lequel nous devons prendre, me semble-t-il, un peu de temps. Actuellement, le congé parental est trop long, mal rémunéré, il est pris surtout par les femmes, du fait d'un arbitrage économique dans le foyer. Des pays du nord de l'Europe sont en avance sur ce point, regardons leurs évaluations.
Le congé parental a des impacts en général importants sur les modes d'accueil, la relation entre les parents et les enfants. Nous devons donc y réfléchir attentivement avant de prendre une option sur laquelle il sera difficile de revenir. Nous allons missionner des personnalités pour constituer un groupe de travail, et il me semble qu'il faut y inclure des responsables d'entreprise, car le champ de la parentalité en entreprise est quasiment vierge alors que c'est un enjeu majeur. En tant qu'ancien chef d'entreprise, je suis convaincu que la parentalité heureuse est un facteur de compétitivité, alors que l'angoisse dans la parentalité produit des effets délétères au travail. Je ferai, dans deux semaines, des annonces sur les mesures prévues par l'article 36 de la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (Asap), en particulier pour les assistantes maternelles, la médecine du travail, la qualité d'accueil du jeune enfant - ces mesures sont très attendues par les professionnels du secteur.
Autre sujet de très grande préoccupation sur lequel nous progressons : la prostitution des mineurs. J'ai présenté un plan de lutte contre les violences faites aux enfants, j'aurais aimé prendre l'initiative d'un plan spécifique contre la prostitution des mineurs, mais j'ai réalisé qu'un travail devait être conduit avec les administrations et les associations pour être en mesure de formuler des propositions bien articulées. La prostitution des mineurs augmente, elle touche environ 10 000 adolescents, elle est multiforme et on la saisit mal parce qu'elle revêt des modalités que l'on ne connaît pas encore très bien. Nous avons pris du retard en la matière et devons travailler ensemble : j'ai installé en septembre dernier un groupe de travail présidé par Catherine Champrenault, procureur général de Paris, qui a déjà travaillé sur le sujet. J'ai demandé à cette task force d'élaborer des propositions de politique publique ; ce travail devrait aboutir en mars prochain. En général, nous réalisons mal ce qui se passe, avec l'accès des jeunes à la pornographie, le fait par exemple que des jeunes filles ne se considèrent pas comme des victimes et qui regardent comme banal le fait de faire une fellation dans les toilettes du collège. Nous devons prendre conscience des conséquences de la banalisation du sexe, de l'ampleur de la pédo-criminalité, de l'effet « Zahia »... Le film Mignonnes en donne une idée, par petites touches, et nous rappelle ce que, sans nous réclamer d'un retour à l'ordre moral, nous avons à faire pour protéger les jeunes.
Enfin, j'ai annoncé au début de l'été la création d'une commission indépendante sur les violences sexuelles, comme il en existe en Irlande, en Nouvelle-Zélande et en Australie, et comparable à ce que fait l'Église avec la commission Sauvé. J'étais ému de voir que la question de l'inceste était en Une du journal Le Monde il y a trois jours, avec trois pages sur l'inceste dans un grand quotidien. Cela contribue à casser le dernier tabou qui est celui de l'inceste dans notre pays.
L'association Face à l'inceste, à l'occasion du 20 novembre, a fait une étude sur un panel assez important qui montre que l'inceste concernerait six millions de nos concitoyens (la donnée était plutôt de quatre millions jusqu'à présent) et qu'un tiers des Français connaissent une victime. Je n'avais aucun doute sur la réalité du phénomène. C'est le dernier tabou à faire exploser ! Cette commission indépendante aura pour objectif de libérer la parole, de recueillir la parole et pour vocation de mieux appréhender l'ampleur du phénomène et les mécanismes à l'oeuvre. Cette commission sera centrée sur l'inceste et les violences au sein des familles mais concernera aussi la question des violences sexuelles en institutions, qui sont sous la responsabilité de l'État. Nous lui demanderons de formuler des recommandations, car il faut agir : rien n'est pire que de libérer une parole pour n'en rien faire ensuite...