Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 10 décembre 2009 à 9h10
Lutte contre la fracture numérique — Adoption définitive d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la France est aujourd'hui à la croisée des chemins : la crise doit nous inciter à repenser notre modèle de croissance et à saisir les nouvelles opportunités technologiques.

À l’évidence, le très haut débit est l’une des clés de la croissance de demain, et ce pour trois raisons.

La première est d’ordre économique. Plus on investit dans le très haut débit, plus on augmente la productivité. L’impact de cet investissement est trois fois plus important que n’importe quel autre. Les nouvelles technologies de la communication engendrent déjà plus du quart de la croissance en France.

La deuxième raison est d’ordre sociétal. Jusqu’à présent, les applications, les services et les usages ont pu tenir dans la paire de cuivre traditionnelle du téléphone commuté. La France obtient des résultats satisfaisants pour le haut débit : le taux de pénétration est relativement important puisque 19 millions de foyers y sont reliés, et notre pays est le leader mondial de la télévision par ADSL. En revanche, pour les futurs usages, la paire de cuivre ne suffira pas et des bandes passantes beaucoup plus larges seront nécessaires. Certains affirment que nous n’avons pas besoin de plusieurs dizaines, voire d’une centaine, de mégabits. Mais le seul accroissement de la bande passante déployé cette année, au niveau mondial, par les opérateurs équivaut à la totalité du réseau mondial il y a seulement deux ans ! La demande de débit est exponentielle.

La troisième raison est d’ordre environnemental. Actuellement, nos ordinateurs consomment trop d’électricité. Un certain nombre de rapports, dont le rapport Smart, nous laisse à penser que nous pourrions éviter demain 15 % des rejets mondiaux de CO2 dans l’atmosphère grâce à un usage plus intensif de ces nouvelles technologies, ce qui est considérable. Il faut le répéter, c’est une externalité positive, à laquelle Mme la secrétaire d'État sera, j’en suis certain, très sensible.

À l’avenir, l’infrastructure essentielle sera bien évidemment le très haut débit, qui doit être un atout, et non un risque ou une menace, notamment en France, où la part de la ruralité est très importante. Mes chers collègues, je tiens à le dire, nous ne devons laisser aucun territoire métropolitain ni ultra-marin sur le bord du chemin. Très souvent, nous, élus ruraux, réclamons une meilleure couverture au nom du principe de l’égalité, ou de la non-discrimination, mais nous pourrions nous appuyer également sur un argument économique. Selon une étude parue il y a quelques mois, l’accroissement de 10 % du taux de couverture d’un territoire augmente le PIB de 1, 3 %. Alors, soyons fiers de réclamer une couverture territoriale complète, qui est avantageuse non seulement pour l’aménagement du territoire, mais également pour le développement du PIB et de l’économie.

Partant du constat que le très haut débit est fondamental pour l’avenir, notre collègue Xavier Pintat, que je voudrais saluer, avait déposé cette proposition de loi, laquelle contient des pistes extrêmement intéressantes que nous avons reprises et même confortées lors de son examen en première lecture à la fin du mois de juillet dernier. Sur l’initiative de la commission de l’économie, nous avions tenu à compléter le texte en ajoutant un objectif de réduction de la fracture numérique existante, notamment en matière de TNT.

La proposition de loi a ensuite été examinée par l'Assemblée nationale, qui en a confirmé l’économie et validé la plupart de nos choix, en précisant ou complétant un certain nombre d’articles. Le texte comprend désormais deux titres, l’un sur la TNT, l’autre sur le très haut débit. Cinq articles importants, alors que la proposition de loi comportait un petit nombre d’articles, ont été validés en l’état, notamment ceux qui sont relatifs à la mutualisation de la partie terminale de la fibre dans les immeubles, à la possibilité donnée aux collectivités d’intervenir comme investisseur minoritaire dans les réseaux de très haut débit et aux modalités d’octroi du dividende numérique, essentielles en milieu rural pour s’assurer du contrôle parlementaire sur l’affectation de ces fréquences « en or ».

L'Assemblée nationale a apporté un certain nombre de clarifications, notamment en ce qui concerne la TNT. Mes chers collègues, vous vous en souvenez certainement, sur ce sujet, le Sénat avait souhaité une meilleure information, notamment des maires, et demandé au Gouvernement de réfléchir à un fonds d’équité territoriale pour aider ceux qui seraient privés d’une bonne réception hertzienne. Nous avions par ailleurs complété la disposition relative au CSA pour que ce dernier adopte des objectifs de couverture minimale au niveau départemental et national.

L'Assemblée nationale a ajouté un certain nombre d’éléments, notamment en matière d’information.

Madame la secrétaire d'État, vous avez évoqué à l’instant les commissions départementales, qui auront un rôle fondamental. Non seulement elles devront établir un diagnostic, mais elles auront également le droit et le devoir de formuler des recommandations. Elles pourront être le lieu de négociations utiles entre l’État, le GIP France Télé Numérique, le CSA bien sûr, et les collectivités.

Je voudrais d’ailleurs rendre hommage au précédent président du GIP, Philippe Levrier, qui a démissionné pour des raisons personnelles, et saluer son successeur, Louis de Broissia, notre ancien collègue, qui avait porté le texte en 2007 sur la télévision du futur. Sa nomination à la tête du GIP est de nature à nous rassurer.

Toujours en ce qui concerne la réduction de la fracture numérique, l’Assemblée nationale a souhaité obtenir une meilleure couverture du territoire par la TNT. En imposant au CSA de doubler les puissances apparentes rayonnées des émetteurs, nous allons passer de l’objectif législatif de 95 % de la population couverte à un objectif réel de 96, 6 %.

Même si, en moyenne, une telle mesure ne permet d’augmenter que de 1, 6 % le taux national de couverture de la population, les départements les moins bien servis, dont je pourrais vous citer un certain nombre d’exemples, pourront gagner 4, 5 ou 6 points de taux de couverture, ce qui représenterait un progrès considérable.

Lors de la première lecture, nous avions évoqué la possibilité d’un fonds qui permettrait aux foyers non couverts par l’hertzien numérique de bénéficier d’une aide. Ce fonds est désormais inscrit dans le texte. Il vous revient de confirmer cette disposition importante. S’ils sont situés en zone d’ombre et quelles que soient les conditions de ressources, les foyers pourront recevoir une aide de 250 euros de l’État pour les moyens d’accès alternatifs, notamment satellitaires. Ainsi, 100 % de la population française sera bien en mesure de recevoir la télévision numérique avant le mois de novembre 2011.

Enfin, les collectivités pourront avoir la possibilité de financer des réémetteurs, des émetteurs secondaires, pour augmenter la couverture hertzienne numérique sur leur territoire.

L’Assemblée nationale a ajouté deux mesures.

Sur la TNT, le CSA devra remettre un rapport sur la réception dans les zones de montagne, qui peuvent poser des problèmes spécifiques, dans les trois mois suivant la promulgation de la loi.

Au sujet de la télévision mobile personnelle, il est prévu de créer une société qui permettrait véritablement de relancer la télévision mobile personnelle, dont le dossier est quelque peu embourbé depuis quelques mois.

En ce qui concerne le deuxième titre – le très haut débit –, qui était le cœur du dispositif que Xavier Pintat nous avait proposé, nous souhaitons que le Gouvernement, les opérateurs et les collectivités fassent preuve de beaucoup de pragmatisme. Nous avions toujours indiqué que notre souhait était de tirer le meilleur parti de toutes les technologies : fibre optique, hertzien – en raison du dividende numérique dans les zones les plus rurales, les plus dispersées en habitat –, et satellite.

Nous devons également faire preuve de pragmatisme pour exploiter les ouvrages de génie civil, et l’Assemblée nationale a précisé des dispositifs qui nous permettent d’utiliser tous les poteaux aériens pour minimiser les coûts. N’oublions pas que 70 % à peu près du coût de la fibre relève du génie civil.

Enfin, il faut également faire preuve de pragmatisme pour prévoir la meilleure articulation possible entre opérateurs privés et publics. Il faudra se tenir à égale distance de la subvention trop facile et de la taxation désincitative.

L'Assemblée nationale a complété et clarifié les dispositions relatives aux schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique, qui seront des outils décisifs dans les territoires.

Mes chers collègues, le cadre reste celui que nous avions fixé. Ces schémas seront établis au moins au niveau du département afin de rendre la péréquation possible, sur l’initiative des collectivités, et non du préfet, de l’État ou des opérateurs. Ils associeront l’ensemble des collectivités et des opérateurs. L’Assemblée nationale a souhaité faire respecter cette exigence en prévoyant que l’ARCEP sera prévenue, et qu’elle rendra publique l’information.

L’Assemblée nationale a précisé que le très haut débit pouvait inclure l’accès satellitaire, ce qui est une bonne mesure, et qu’il n’y aurait qu’un seul schéma directeur sur un territoire, comme nous l’avions imaginé, mais peut-être les choses vont-elles mieux en les disant.

L’article 4 relatif au Fonds d’aménagement numérique des territoires est l’autre élément fondamental du dispositif prévu par la proposition de loi.

L’Assemblée nationale a décidé que les critères d’attribution des aides seraient précisés par décret. Je souscris totalement à cette disposition. Le principe fondamental est simple : les aides attribuées par le fonds devront être destinées aux territoires qui en ont le plus besoin. Il n’est pas question que les collectivités territoriales et l’État financent par de l’argent public des projets que les opérateurs privés pourraient eux-mêmes assumer.

Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, l’objectif de péréquation des coûts et des recettes sur le périmètre de chacun des schémas directeurs concernés demeure. Ceux-ci devront englober avec un maillage départemental minimal des zones rentables, par exemple des petites villes et, bien entendu, des secteurs ruraux.

J’en viens aux critiques relatives au « fonds sans fonds ». Que n’avons-nous entendu en première lecture ! Il nous a même fallu nous battre pour le maintenir. Sachez, mes chers collègues, que le rapport de Michel Rocard et d’Alain Juppé envisage d’affecter 2 milliards d'euros à ce fonds sur les 4 milliards d'euros consacrés au développement de l’économie numérique. Ce n’est bien entendu qu’une proposition, pour l’instant.

Pour moi, comme pour vous, j’en suis sûr, madame la secrétaire d'État, ce n’est pas une ligne d’arrivée, c’est un bon point de départ. L’amorçage de ce fonds nous permettra de commencer les opérations le temps que les schémas directeurs, d’ici à quelques années, soient opérationnels. Reste qu’il faudra sans doute prévoir des ressources complémentaires plus pérennes. Mais ne nous plaignons pas ! Grâce à ces 2 milliards d'euros au minimum, le fonds sera enfin abondé, et nous l’avions suffisamment réclamé en première lecture.

L’article 4 relatif au droit d’accès aux tranchées et aux appuis aériens pour la pose de fibres optiques, qui avait été introduit par le Sénat, a vu sa rédaction utilement améliorée par l’Assemblée nationale.

L’article 4 est l’une des rares dispositions vraiment nouvelles au sein du titre II. Il vise à rétablir un équilibre sur les modalités de financement des opérations d’enfouissement des lignes.

Dans le cas des lignes téléphoniques, les collectivités financent souvent la réalisation souterraine de fourreaux et de chambres de tirage, dont la propriété revient ensuite à l’opérateur historique. Il s’agit donc de prévoir que celui qui paiera la réalisation des installations en deviendra ensuite propriétaire. Cela me paraît aller de soi. De plus, la collectivité pourra, en ce cas, favoriser l’ouverture de ces infrastructures à d’autres opérateurs.

Enfin, l’article 8 contient également une mesure nouvelle, qui est de bon sens : le client qui résilie son abonnement auprès d’un fournisseur d’accès pourra continuer, pendant six mois et à titre gratuit, à consulter son courrier électronique par l’intermédiaire de son ancienne adresse e-mail.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale a demandé de nombreux rapports, dont l’intérêt est variable, concernant notamment le fossé numérique – sujet intéressant – ou la possibilité de mettre en place une tarification de l’accès à internet en fonction du débit réel dont bénéficient les abonnés.

Les députés ont également regroupé en un seul rapport deux rapports dont nous avions été à l’initiative, l’un sur la résorption des lignes multiplexées et l’autre sur l’état des technologies permettant d’augmenter le débit disponible dans les territoires. À cet égard, madame la secrétaire d'État, il faudra faire en sorte que les collectivités en milieu rural puissent accompagner la montée en débit plutôt que de n’avoir le choix qu’entre 100 mégabits par seconde dans dix ans ou 512 kilobits par seconde aujourd'hui. Des objectifs intermédiaires de 20, 30, 40 ou 50 mégabits doivent pouvoir être compatibles avec les aides et les schémas directeurs.

Nos collègues députés ont en outre souhaité un rapport sur la neutralité des réseaux de communications électroniques. Cette question peut encore paraître théorique, mais elle est fondamentale aux États-Unis.

Enfin, un rapport décrira le stockage des données à caractère personnel par les prestataires techniques de communications électroniques sur le thème très important du droit à la vie privée sur internet, qui fait d’ailleurs l’objet d’une proposition de loi de nos collègues Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier.

Mes chers collègues, les orientations du Sénat n’ont pas été remises en cause par l’Assemblée nationale. Elles ont au contraire été consolidées par l’ajout de dispositions pertinentes. De plus, la rédaction de la proposition de loi a été améliorée.

Fort de ce constat, la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire souhaite que ce texte puisse être adopté sans modification.

Pour conclure, je veux vous rappeler rapidement pourquoi la commission est favorable à ce texte, modifié par l’Assemblée nationale.

Le titre II relatif au très haut débit, qui est le cœur de la proposition de loi, n’a pratiquement pas été retouché. L’Assemblée nationale a apporté quelques clarifications, mais très peu d’ajouts. Il reste, dans son inspiration et dans son écriture, tel que nous l’avions adopté en première lecture.

Le titre Ier concernant la TNT a été, en revanche, beaucoup plus remanié par les députés. Néanmoins, les modifications apportées sont positives et s’inscrivent dans la perspective que nous avions indiquée au Gouvernement dès le mois de juillet, qui est d’apporter la télévision numérique à 100 % des Français. Cet objectif, qui nous tient à cœur, a été révisé à la hausse avec le doublement de la puissance des émetteurs. En outre, ceux qui se trouveraient dans des zones blanches pourraient bénéficier d’une aide de 250 euros afin de s’équiper en moyens alternatifs de réception.

Comme Nathalie Kosciusko-Morizet vient de l’indiquer, nous quittons la phase d’expérimentation. Après le succès des opérations de Coulommiers, de Kaysersberg et, il y a un mois, du Cotentin, nous allons attaquer le basculement des grandes plaques régionales, d’abord l’Alsace dans deux mois, puis la Basse-Normandie.

Nous ne pouvons plus attendre. Adoptons ces dispositions qui vont dans le bon sens, notamment en augmentant encore les exigences que nous avions formulées en première lecture.

Voilà les raisons pour lesquelles il faut souscrire au souhait de la commission de l’économie, à savoir adopter ce texte sans modification.

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