Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la question de l’accès de tous au numérique, sur laquelle l’examen en deuxième lecture de la proposition de loi relative à la lutte contre la fracture numérique nous conduit à revenir aujourd'hui, est fondamentale.
L’histoire de cette proposition de loi a été marquée par de nombreux rebondissements. Sur les six articles que comprenait le texte initial, quatre ont été supprimés et deux ont été vidés de leur sens. Un titre entier a été inséré à la demande du Gouvernement, visant à « faciliter la transition vers la télévision numérique ». En effet, le passage à la télévision numérique doit être achevé au 30 novembre 2011, ce qui suscite de nombreuses inquiétudes de la part des élus sur la qualité de réception, notamment dans les territoires ruraux ou de montagne.
Le passage au numérique en libérant un certain nombre de fréquences hertziennes aurait dû se faire avec le souci de garantir l’accès pour tous à cette technologie. Or, force est de constater que l’objectif de 100 % n’est pas de mise. La loi du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur a fixé le seuil de couverture nationale par la TNT à 95 % de la population, alors que l’analogique permet aujourd’hui de couvrir plus de 98 % de la population.
Le 12 juillet 2007, le CSA a précisé cette règle en ajoutant un critère territorial : la TNT doit couvrir 91 % de la population de chaque département. Aujourd’hui, il est proposé que le CSA fixe simplement un taux de couverture minimale de la population. Cela constitue selon nous un recul considérable.
Parallèlement, madame la secrétaire d’État, vous mettez en place pour ceux qui sont situés dans les zones d’ombre de la réception hertzienne une aide de 96 millions d’euros destinée à financer l’achat de paraboles afin de leur permettre d’accéder à la télévision numérique.
Vous avez également indiqué qu’il sera demandé aux chaînes de télévision de participer à cet effort, or rien n’est prévu pour l’instant. De plus, s’il ne s’agit que d’une aide à l’acquisition, rien n’est dit sur la maintenance, qui restera à la charge des usagers. C’est donc une double peine qui est infligée aux oubliés du numérique !
Il est pourtant reconnu aujourd’hui que le passage au numérique conduira, malgré le doublement de la puissance des émetteurs, à une moins bonne couverture. Selon les auteurs des estimations, le nombre de personnes qui n’auront pas accès à la télévision numérique se situera dans une fourchette comprise entre un demi-million et un peu plus d’un million de personnes.
Parallèlement, le passage au numérique va constituer pour les chaînes de télévision un effet d’aubaine, car il leur permettra de faire des économies considérables. Ainsi la diffusion en numérique coûtera-t-elle dix fois moins cher à TF1 que la diffusion en analogique, notamment du fait de la suppression de 2 074 pylônes sur les 3 400 existants.
En outre, les collectivités locales pourront intervenir pour installer des émetteurs supplémentaires. Cependant, là encore, aucune aide n’est prévue pour la maintenance.
Alors que la couverture totale du territoire par la télévision numérique aurait dû faire l’objet d’un consensus, vous avez préféré faire prévaloir les intérêts des chaînes privées. Cette proposition de loi entérine donc un recul en matière de réception de la télévision sur l’ensemble du territoire alors que les évolutions technologiques – elles permettent de consommer six fois moins de fréquences – auraient pu permettre, à l’inverse, d’élargir le taux de couverture. On continue donc à nous répondre rentabilité quand nous parlons intérêt général.
J’en viens au second volet de cette proposition de loi : l’accès au très haut débit. Là encore, les solutions préconisées sont plus que contestables.
Pour répondre de manière adaptée au défi de l’accès au très haut débit pour tous, vous préconisez le découpage du territoire national en trois espaces distincts : un espace prétendument rentable, où la concurrence libre et non faussée pourra s’intensifier, un espace entre deux, où une mutualisation serait instaurée entre le public et le privé, enfin, un espace clairement non rentable, où seule l’intervention publique pourra permettre de financer l’accès au très haut débit.
Nous ne souscrivons pas à cette vision qui, de fait, crée une rupture d’égalité. Un mécanisme de privatisation des profits et de socialisation des pertes est instauré.
Dans les territoires les plus fragiles, les collectivités locales seront une fois encore lourdement sollicitées. Le texte initial créait deux nouvelles structures.
En premier lieu, des schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique devaient permettre de répertorier les réseaux existants et de définir des objectifs clairs en termes de couverture, adossés à un échéancier de travaux. Vous avez fait le choix de réduire au minimum cet outil, qui n’aura plus qu’une simple valeur indicative.
En second lieu, un Fonds d’aménagement numérique des territoires, abondé par les opérateurs, est institué pour financer les travaux définis par les schémas directeurs. Alors qu’un tel dispositif de péréquation nationale par la création d’un fonds de compensation existe dans tous les secteurs du service public ouverts à la concurrence, vous avez privé ce fonds des financements adéquats, estimant qu’il ne fallait pas dissuader les opérateurs privés d’investir.
Le rapporteur de ce texte à l’Assemblée nationale a même qualifié de « dangereuse » la possibilité de taxer les opérateurs privés. Les seuls financements alloués aux infrastructures numériques dans les zones 2 et 3 sont aujourd’hui les 2 milliards d’euros que vous venez d’évoquer, madame la secrétaire d’État, alors que le coût des investissements nécessaires à l’installation d’un réseau en fibre optique sur l’ensemble du territoire est estimé à plus de 40 milliards d’euros.
Pour notre part, nous estimons qu’il est urgent de plébisciter un service universel de haut débit, appuyé sur un pôle public des télécommunications capable de réaliser les investissements nécessaires, afin de permettre le fibrage de l’ensemble du territoire.
L’accès au numérique pour l’ensemble de nos concitoyens est une révolution – M. le rapporteur l’a à juste titre souligné - tant elle bouleverse nos usages dans l’acquisition des savoirs, dans le droit à l’information et à la communication, mais également parce que les nouvelles pratiques liées à cette technologie posent clairement la question de la gratuité.
Vous nous dites que vous préférez la notion de « montée en débit » à celle de « service universel ». Vous êtes, selon nous, une nouvelle fois à côté des enjeux.
Le processus de libéralisation des télécommunications a été enclenché en 1993 par l’Union européenne. Celui-ci a conduit, comme le montre l’expérience aujourd’hui, à une baisse de qualité des services, à la mise en place d’ententes entre les opérateurs privés pour le partage des bénéfices et, surtout, à l’abandon sur le bord du chemin de territoires jugés non rentables économiquement parlant.
La crise que nous traversons aujourd’hui est un aveu de l’obsolescence de ce modèle, qui a conduit aux multiples fractures dont souffre notre pays, fractures sociales, scolaires, postales, énergétiques, ou encore numériques.
Parce que la loi n’opère que de simples bricolages en refusant toute notion de service public, parce qu’elle accentue le désengagement de l’État quant à ses responsabilités en termes de cohésion sociale et territoriale, nous ne pourrons vraisemblablement pas l’adopter.