Monsieur le président, je suis très honoré d'être aujourd'hui parmi vous grâce à l'intermédiaire de moyens de communication modernes.
Je voudrais remercier la France pour l'accueil qu'elle réserve aux Vénézuéliens, très apprécié dans le contexte actuel de la pandémie, auquel s'ajoute la situation humanitaire difficile que nous traversons.
Hier, une commission des Nations unies a indiqué que 9,1 millions de Vénézuéliens se trouvaient actuellement en situation de vulnérabilité dans le pays, soit un tiers de notre population. Plus de 5 millions de réfugiés se trouvent également dans différents pays latino-américains.
Dans ce contexte, j'occupe actuellement, comme vous l'avez dit, le mandat de président en charge de mettre en place un processus électoral, en application de l'article 233 de notre Constitution, après l'usurpation du pouvoir par Maduro au cours des dernières élections de 2018, lors desquelles il a reçu 68 % des suffrages.
Depuis lors, notre plus grande préoccupation est que les Vénézuéliens s'expriment légitimement malgré la pandémie et la situation d'urgence que nous traversons, et que nous puissions tenir des élections parlementaires libres et justes, afin de choisir librement les représentants de notre pays. Mon rôle est de mener à bien cette élection.
Un fait qui s'est produit la semaine dernière au Venezuela reflète bien le contexte actuel dans lequel évolue notre pays : les vingt-neuf passagers d'une embarcation, dont seize enfants, ont vécu un véritable calvaire, comme l'a indiqué le journal Le Monde. Ils avaient émigré vers Trinité-et-Tobago dans des embarcations très précaires en raison de la situation qui règne dans le pays. Ces enfants n'ont jamais pu manger à leur faim, aller à l'école, apprendre, grandir, développer leurs talents en tant qu'êtres humains. La situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui est une négation de la dignité humaine. Il faut être vraiment désespéré pour prendre une petite embarcation et y entasser sa famille, ses enfants affamés, pour essayer de trouver une autre solution. Malheureusement, ces enfants ont été renvoyés de Trinidad-et-Tobago et ont dû rentrer au pays, certains ayant même été arrêtés. Cet exemple illustre le drame vécu actuellement par 5 millions de Vénézuéliens. Des enfants fuient également à pied vers Lima et d'autres pays latino-américains, fuyant les pénuries et les persécutions. Aujourd'hui, le Venezuela est malheureusement en guerre. Le PIB s'est contracté de 75 % au cours des dernières années. L'hyperinflation qui a dépassé le million en pourcentage au cours des trois dernières années.
Moi-même j'ai dû faire la queue à 6h00 ce matin pour essayer de mettre un peu d'essence dans ma voiture. Le pétrole ne peut plus être produit comme auparavant. Or il s'agit de la principale ressource de notre pays.
Diosdado Cabello, numéro deux du parti de Maduro, a appelé aux élections en disant que les Vénézuéliens qui n'iraient pas voter ne mangeraient pas. Ces élections sont une arme contre la population.
Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, l'a bien souligné : le programme alimentaire mondial ne peut pénétrer au Venezuela, le régime l'ayant interdit. Ce dernier utilise la nourriture comme une arme pour contenir la population, au lieu d'aider les 9 millions d'habitants en situation de pauvreté.
La population n'arrive même pas à couvrir 15 % de ses besoins alimentaires. Le plus grand réseau de distribution alimentaire est actuellement assuré par le gouvernement, par le biais d'une aide alimentaire sans laquelle les Vénézuéliens sont menacés de ne pouvoir manger.
Le contexte que nous traversons s'est aggravé avec la pandémie de Covid-19. Le conflit entre Nicolas Maduro et moi perdure, et nous cherchons à le résoudre par le biais d'une nouvelle élection libre. Nous luttons pour vivre dignement et faire respecter les droits de l'homme.
Un enseignant gagne aujourd'hui 2 dollars par mois, une infirmière 2,5 dollars. C'est un grand défi pour nous, dans le contexte international, de faire face au coronavirus dans ces conditions. Si la situation continue, nous pensons passer de 5 millions de réfugiés à 6 millions l'année prochaine.
Un consensus s'est dégagé pour que la communauté internationale vienne en aide à notre pays afin que celui-ci retrouve la démocratie, consensus auquel a adhéré l'Organisation des États américains (OEA).
Nous sommes passés d'exportateurs à importateurs de pétrole et faisons venir du pétrole d'Iran. Il existe également un trafic d'armes et du blanchiment d'argent au sud du Venezuela : c'est avec cet argent que le régime de Maduro paye le pétrole qu'il importe d'Iran.
La situation est très déplorable dans le sud de pays, qui protège en quelque sorte le régime de Maduro, dont le gouvernement a détruit le poumon naturel du monde, l'Amazonie vénézuélienne. Maduro a vendu plus de 10 milliards d'or appartenant au Venezuela. Des mercenaires russes protègent l'exploitation de l'or vénézuélien dans le sud du pays. Une exploitation qui a de graves conséquences au plan environnemental, dans une région située à quelques kilomètres seulement de la Guyane.
Nous voudrions que cette région puisse se concentrer sur la lutte contre le changement climatique et la protection de la forêt, car elle fait l'objet d'une surexploitation de la part du gouvernement Maduro. C'est également un lieu où l'on s'attaque aux populations autochtones. Michelle Bachelet évoque clairement cette situation.
Dans ce contexte, les élections du 6 décembre prochain nous préoccupent. Certains médias ont affirmé que je participais à ce processus, alors que ce n'est pas le cas. Je suis actuellement poursuivi, et aucun parti politique ne peut en réalité participer à ces élections. Nous n'avons plus le droit de nous présenter. C'est pourquoi nous parlons de boycott.
Depuis le début 2018, l'Union européenne, l'OEA et l'ONU ont indiqué que le processus n'était pas démocratique. C'est pourquoi nous souhaitons que le Sénat français et le monde démocratique nous accompagnent et exigent des élections qui nous permettent de sortir de la crise que nous traversons, non seulement humanitaire, mais aussi démocratique. C'est la première fois que l'Amérique latine se trouve dans cette situation. L'ONU a même parlé de crime contre l'humanité au sujet de Maduro.
On sait que la torture sévit dans notre pays. Je veux relater ce qui est arrivé à l'un de mes collaborateurs à l'Assemblée nationale. Il a été séquestré, frappé, la tête couverte d'un sac. Comme il ne voulait pas livrer les informations demandées, ses bourreaux ont menacé de torturer son fils de huit ans en lui mettant un sac sur la tête. Il dit avoir été sur le point de céder à ce moment-là, mais il s'est convaincu qu'ils n'avaient pas séquestré son fils et accroché à cette idée, il en a tiré de la force pour supporter les coups. C'est par cette méthode du sac sur la tête qu'ont été assassinés Fernando Alban, conseiller de la ville de Caracas, responsable politique de l'opposition et proche du chancelier Julio Borges, ou mon ami Edmundo Rada, conseiller municipal de Sucre, l'une des villes les plus populaires d'Amérique latine.
Je veux par ces exemples démontrer que les droits de l'homme ne sont absolument pas respectés au Venezuela. La population qui lutte pour sa dignité est poursuivie, torturée, assassinée. Malgré tout, nous demeurons fermes et défendons nos idées. Nous remercions la France pour son aide et son accompagnement. Il est important que l'enquête détermine s'il y a violation des droits de l'homme et crimes contre l'humanité de la part de Maduro.
Nous allons bien entendu continuer le combat. En 2021, nous souhaitons pouvoir réunir les conditions pour réaliser des élections présidentielles démocratiques. Il nous faut rallier tous les secteurs pour lutter contre la parodie d'élections qui a eu lieu.
C'est un acte criminel qui n'est pas digne d'un système démocratique, sans parler des séquestrations d'opposants. Il existe en effet des prisonniers politiques, et nous avons besoin de l'aide de la communauté internationale pour mettre en place la transition. Cela viendra du Venezuela, mais il faut que nous ayons des interlocuteurs légitimes vis-à-vis du monde, afin que chacun se rende compte de l'urgence humanitaire que connaît le Venezuela, et que nous mettions en place la relève grâce aux prochaines élections.
C'est le processus dans lequel on doit s'engager, mais nous savons que ce n'est pas suffisant. Il faut mobiliser les Vénézuéliens pour trouver la solution et faire en sorte que les droits de l'homme soient de nouveau respectés au Venezuela.
Nous sommes en relation avec des pays comme la Norvège, dont la population a pacifiquement manifesté dans la rue en faveur du Venezuela.
La consultation que nous réclamons est destinée à offrir une alternative au Venezuela. Selon l'article 70 de notre Constitution relatif aux mécanismes de participation, nous devons mobiliser la diaspora, ces 5 millions de Vénézuéliens qui veulent revenir dans leur pays. Ils n'ont malheureusement pas encore pu le faire, et n'ont même pas droit à une identité dans les pays où ils se trouvent. Nous voulons les accueillir à nouveau, et nous avons besoin pour ce faire de nos voisins d'Amérique latine.
Il est très difficile de s'adresser à interlocuteurs légitimes lorsque le pouvoir a été gagné comme il l'a été. Nous refusons le régime et souhaitons entreprendre une consultation populaire avec l'appui de la population. Nous allons donc utiliser l'article 333 de la Constitution pour organiser ce suffrage, qui comportera également des élections municipales.
La mobilisation intérieure et des appuis internationaux sont nécessaires, parmi lesquels celui des pays européens, afin de faire valoir les droits de l'homme et la dignité humaine au Venezuela. Tout ceci va nous permettre de trouver une solution à un conflit très complexe. En demeurant unis, on pourra résoudre cette situation.
Nous savons que la France jouit d'une très grande expérience diplomatique, et nous voudrions bénéficier de celle-ci pour trouver un moyen pour défendre les droits de l'homme dans le cadre constitutionnel au sein d'un mouvement non-violent.
Je vous remercie de m'avoir écouté et, à travers moi, d'avoir entendu les Vénézuéliens.