Intervention de Sylvie Vermeillet

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 8 décembre 2020 à 16h00
Examen du rapport

Photo de Sylvie VermeilletSylvie Vermeillet, rapporteure :

Plusieurs de nos interlocuteurs ont regretté le pilotage exclusivement sanitaire de la crise au début de l'épidémie. Nous estimons, en effet, que le ministère de l'intérieur doit être associé à la gestion de crise avant même l'activation de la cellule de crise interministérielle. À l'avenir, sa mobilisation devra être effective dès l'activation du centre de crise sanitaire en phase ascendante de l'épidémie. Le futur plan pandémie pourrait ainsi utilement prévoir la présence au sein du centre de crise sanitaire du directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC). Pourrait, en outre, être envisagée, pour toute crise sectorielle majeure, la présence au sein de la cellule de crise mise en place par le ministère compétent des hauts fonctionnaires de défense du ministère de l'intérieur et du ministère des affaires étrangères.

Face au manque de structuration et de pilotage interministériel de la crise, nous appelons également de nos voeux la mise en place d'un délégué interministériel à la préparation et à la réponse aux urgences sanitaires (Diprus), placé auprès du Premier ministre. Il serait ainsi chargé de coordonner l'élaboration d'un plan de mobilisation contre un risque pandémique, adaptable à différents contextes de crise liés à un agent pathogène et comportant un volet capacitaire et logistique. Il lui reviendra également de contribuer à la définition de la stratégie gouvernementale d'anticipation et de gestion des crises.

Afin de lui permettre d'assurer une veille continue de l'état de préparation de notre pays aux catastrophes sanitaires, le Diprus devra pouvoir s'appuyer sur le système des agences sanitaires et se voir en particulier reconnaître la possibilité de saisir Santé publique France, le HCSP et l'instance nationale d'expertise scientifique pour la production d'expertise sur les mesures à envisager afin de répondre à une urgence sanitaire.

Parce que la vigilance de notre pays doit être maintenue en permanence, le Diprus devra, en outre, rendre compte tous les ans au Parlement de la stratégie gouvernementale dans la préparation aux urgences sanitaires. Cette présentation, sur la base d'un rapport annuel du Diprus, devrait être l'occasion d'un débat dans chaque assemblée sur les orientations et les moyens de cette politique avant l'examen des crédits qui y seront consacrés en loi de finances et de financement de la sécurité sociale.

Invisible et inaudible pour la quasi-totalité des acteurs territoriaux que nous avons auditionnés, Santé publique France a fait l'objet, tout au long de nos travaux, d'un flot abondant de critiques. L'agence est ainsi apparue insuffisamment armée et préparée pour affronter une crise sanitaire d'une ampleur inédite. L'épisode de la gestion chaotique des stocks d'État de masques a mis en lumière l'absence de marge de manoeuvre de Santé publique France dans la stratégie de préparation aux urgences sanitaires, domaine dans lequel elle a souvent été reléguée par l'État au rôle de pur exécutant.

Parmi les priorités de l'action gouvernementale, la prévention des crises pandémiques n'a cessé de perdre en importance, et Santé publique France n'est pas parvenue à empêcher ce processus, comme en témoigne son incapacité à peser sur les décisions de la direction générale de la santé (DGS) relatives au niveau des stocks stratégiques de masques, décisions prises, selon toute vraisemblance, sans validation préalable du ministre de la santé.

Rappelons néanmoins que ce n'est pas l'intégration de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Éprus) au sein de Santé publique France qui est à l'origine de ce délaissement de la préparation aux urgences sanitaires dans les priorités de notre politique de santé publique, et dans les arbitrages budgétaires subséquents. L'érosion de la capacité budgétaire de notre politique d'anticipation des crises sanitaires avait commencé bien avant la création de Santé publique France, et le budget de l'Éprus avait été divisé par près de onze entre 2007 et 2015. Par conséquent, rien ne garantit que le retour à un opérateur entièrement consacré à l'anticipation des crises sanctuarisera des moyens à la hauteur des enjeux.

En matière de sécurité sanitaire, qu'il y ait ou non un opérateur responsable, les orientations stratégiques et les choix budgétaires relèveront toujours de la responsabilité du Gouvernement, et plus particulièrement du ministère de la santé. Des auditions de Xavier Bertrand et d'Édouard Philippe ressort le sentiment que les opérateurs de sécurité sanitaire ont bien souvent servi d'instruments à l'externalisation budgétaire de certaines tâches jusqu'alors assumées en interne par le ministère, notamment pour échapper aux plafonds d'emplois ministériels. La crise de la covid-19 n'a fait que mettre en lumière les travers de ce phénomène d'« agenciarisation » consistant pour l'État à confier des tâches à un opérateur, qui ne dispose en réalité d'aucune marge de manoeuvre décisionnelle. Certains responsables ministériels ont été tentés de faire reposer sur Santé publique France la responsabilité de l'état des stocks stratégiques, alors même que le niveau de ces stocks était conforme aux demandes formulées par le ministère de tutelle lui-même.

Dans ces conditions, plutôt que de revenir au schéma d'un opérateur unique responsable de la préparation aux crises, nous proposons de clarifier la répartition des responsabilités entre Santé publique France et la tutelle de l'État. En effet, celle-ci s'est révélée insuffisamment stratégique, et s'est exercée dans un rapport presque « infantilisant » entre la direction générale de la santé et l'agence, dans la définition des modalités d'acquisition des stocks de masques.

Par conséquent, nous plaidons pour que chaque programmation pluriannuelle visant à définir les cibles de stocks stratégiques de produits de santé et d'équipements de protection individuelle (EPI) soit, après avis du Diprus, systématiquement validée et signée par le ministre. En contrepartie, nous souhaitons que Santé publique France se voie reconnaître des marges de manoeuvre opérationnelles dans la réalisation des commandes nécessaires pour atteindre les cibles fixées, ce qui nécessitera une autonomie renforcée de son conseil d'administration.

Santé publique France devra également capitaliser sur l'expérience tirée de la crise de la covid-19 pour élaborer un schéma d'organisation interne de crise, susceptible d'être déployé le plus en amont possible, dès l'identification d'un risque ou d'un rebond épidémique. Ce schéma identifierait les fonctions essentielles à mobiliser dans la gestion de la crise et évaluerait les renforts nécessaires, notamment en sollicitant un vivier d'experts pour exercer différentes fonctions cruciales, en particulier dans les domaines du sourcing et de la logistique, ou encore de la modélisation épidémiologique.

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