Intervention de Cédric O

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 2 décembre 2020 à 16h00
Proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en france — Audition de m. cédric o secrétaire d'état chargé de la transition numérique et des communications électroniques

Cédric O, secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques :

Il arrive au Gouvernement - la présidente de la commission des affaires économiques le sait bien - de travailler avec la chambre haute. Nous nous sommes beaucoup vus ces derniers temps et nous avons notamment réussi à avancer sur la question de la cybersécurité. Certes, nous avons connu un petit problème de temporalité concernant la régulation économique, mais cela avance puisque deux textes extrêmement importants doivent être présentés la semaine prochaine au niveau européen.

Je tiens tout d'abord à saluer le travail mené par Patrick Chaize et les rapporteurs sur ces sujets importants. Que va-t-on faire, in fine, de cette proposition de loi ? Cela va dépendre du contenu. Je ne suis pas fermé à ce que l'on puisse avancer sur un certain nombre de points intéressants.

Je voudrais insister sur un élément déterminant, que vous avez rappelé à plusieurs reprises : la transition environnementale ne s'effectuera pas sans transition numérique. Nous avons besoin de beaucoup plus de numérisation et d'innovations pour réussir la transition environnementale. C'est mathématique : de plus en plus de gens consomment sur cette planète, compte tenu notamment du rattrapage extrêmement rapide de certains pays en développement très peuplés ; si nous voulons faire en sorte de maîtriser notre consommation, il faut être plus efficace, et pour être plus efficace, il faut innover ; or, dans l'ensemble des secteurs les plus polluants - le bâtiment, les transports, la logistique, l'agriculture - la question numérique est absolument centrale. Nous avons besoin de connecter beaucoup plus d'objets pour être plus efficaces, c'est-à-dire pour faire autant, voire plus, en consommant moins.

Ceci est également vrai pour l'énergie elle-même : il n'y aura pas de smart grid et de réseaux distribués, avec des cellules de production photovoltaïques ou éoliennes, sans une numérisation massive, une utilisation également massive de l'intelligence artificielle et un développement de la connexion des objets, y compris via la 5G. Il faut avoir cela à l'esprit au moment de réguler le numérique.

J'ai eu l'occasion, il y a quelques semaines, avec la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, de présenter une feuille de route sur la question de la transition environnementale du numérique qui rejoint, pour beaucoup, les préoccupations évoquées dans la proposition de loi. Le premier point concerne l'objectivation des données chiffrées, encore très lacunaires aujourd'hui. Quand on dit que l'impact environnemental numérique représente 4 à 10 % de la consommation totale, vous conviendrez que 4 ou 10 %, ce n'est pas exactement la même chose. Une objectivation de l'impact environnemental du numérique est donc nécessaire, y compris pour mesurer son impact positif.

Le deuxième élément porte sur la nécessité d'investir dans l'outil numérique pour favoriser la transition environnementale. À cette fin, dans le cadre du plan de relance, nous consacrerons un fonds de 300 millions aux entreprises innovant dans le domaine du numérique environnemental. Enfin, demeure la question de la maîtrise du numérique, qui nous occupe aujourd'hui et sur laquelle je vais revenir plus en détail.

Comme vous avez eu l'occasion de le souligner, un certain nombre d'éléments viennent compléter la loi AGEC. Pour rappel, nous débattons beaucoup de la consommation des données, de l'utilisation des réseaux, de l'utilisation déraisonnée de ces réseaux dans les ascenseurs, mais le vrai sujet concerne les équipements eux-mêmes, c'est-à-dire les téléphones, les ordinateurs ou les équipements électroniques, qui représentent 80 % de l'impact environnemental du numérique. Les Français changent de téléphone, en fonction des chiffres, tous les deux à cinq ans ; tant que nous n'aurons pas réussi à allonger cette durée de vie, les consommations de bande passante ne seront que la partie émergée de l'iceberg.

De manière générale, nous rejoignons les objectifs de la proposition de loi. À certains endroits, celle-ci adopte une approche normative, tandis que nous privilégions une approche incitative. On observe également des différences de calendrier - je pense notamment aux articles 16 et 23, sur lesquels des études sont en cours. Pour d'autres articles, les textes sont en cours d'élaboration, notamment la transposition des directives européennes 2019/770 et 2019/771, relatives respectivement aux contrats de fourniture de contenus et de services numériques et aux contrats de vente de biens. Sur un certain nombre de sujets, comme la question du lancement automatique des vidéos, la concertation s'avère nécessaire pour aboutir à quelque chose d'effectif.

Certains sujets relèvent du niveau européen, notamment la TVA applicable aux produits reconditionnés.

Sur deux sujets, j'aurais des réserves plus importantes : la question de l'interdiction des offres de téléphonie illimitée, qui pose un certain nombre de questions concernant l'inclusion numérique ou encore la liberté d'entreprendre, et le reporting sur les stratégies marketing liées à l'économie de l'attention, dont je doute de la faisabilité opérationnelle, sachant que, par ailleurs, cela introduirait un traitement différencié entre, d'une part, les contenus de services de communication au public en ligne et, d'autre part, les contenus publicitaires.

Se pose également la question des modèles d'affaires : doit-on aborder ce sujet par l'économie de l'attention ou par une régulation économique ? Le fond de ces problèmes, y compris celui de la haine en ligne, renvoie souvent à des questions de concurrence et à l'empreinte de ces très grandes plateformes.

Concernant l'article 2 et la question de la formation, je suis favorable à une généralisation des modules relatifs à l'écoconception des services numériques plutôt qu'à l'établissement de conditions à l'obtention du diplôme. Il n'existe pas de définition normative du contenu des diplômes d'ingénieurs ou de techniciens, mais une labellisation des formations. Les mesures relatives à l'écoconception des services numériques sont très faibles aujourd'hui. Quand on est formé au développement, on est peu sensibilisé à « l'écologie du code » ; il est nécessaire d'avancer sur ce sujet-là.

Sur le rapatriement des articles 18, 19 et 20 dans l'article général sur l'écoconception, il nous semble préférable de prévoir la création de référentiels. Au niveau européen, la directive écoconception, qui doit faire l'objet d'une révision dans le programme de la Commission européenne, serait peut-être plus adaptée pour définir un tel cadre de manière efficiente. Dernièrement, la Commission a exprimé des réserves sur la partie de la loi AGEC liée à l'écoconception, estimant notamment que les indices de réparabilité n'étaient peut-être pas compatibles avec le droit européen.

Par ailleurs, sur le sujet de l'obligation pour les sites enregistrant le plus gros trafic, nous sommes favorables à des mesures incitatives. La feuille de route, que nous présenterons prochainement, inclura de nombreuses mesures en faveur de l'écoconception.

Vous avez évoqué également les articles 7 à 10. L'article 7 serait déjà satisfait par la loi AGEC. Concernant l'article 8, sur la dissociation entre les mises à jour de sécurité indispensables et les mises à jour d'exploitation, des discussions sont en cours au niveau européen. Ainsi rédigé, l'article 8 serait compliqué à mettre en oeuvre en l'état du droit, et l'information du consommateur sur les mises à jour nécessaires au maintien de la conformité est déjà prévue à l'article 27 de la loi AGEC. Les articles 9 et 10, quant à eux, devraient être satisfaits par la transposition prochaine des directives européennes.

L'inversion de la charge de la preuve, proposée à l'article 6, ne semble pas possible dans le droit français. Il existe en revanche un problème sur la question de la preuve de double intention, assez peu applicable dans les faits. La proposition que vous avez discutée avec la DGCCRF paraît pertinente ; elle permettrait, sous réserve de compatibilité européenne, plus de condamnations.

Madame Loisier, les centres de données français sont plutôt vertueux en matière d'écoconditionnalité. Je ne pense pas, très honnêtement, que l'on puisse parler de greenwashing. Pour autant, ce n'est pas tout à fait la même chose de compter sur la bonne volonté des acteurs et d'établir des normes. Peut-on aller plus loin ? On doit regarder ce qui est possible... Cela ne me gêne pas que la France soit en avance sur les standards européens, mais je vois quand même un intérêt stratégique à ce que la France héberge des centres de données, plutôt qu'ils ne s'implantent à l'étranger. Je rappelle que le poids des centres de données dans l'impact environnemental du numérique n'est pas majeur. La plupart des centres de données utilisés par les Européens ne sont pas établis en Europe, et encore moins en France, ce qui pose un problème ; cela pourrait changer suite à l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).

Par ailleurs, nous avons prévu, avec l'Ademe, une campagne de sensibilisation du public sur la question des gestes du numérique écologique.

Enfin, concernant le partage des données, le député Éric Bothorel doit rendre son rapport sur les données d'intérêt général dans les prochaines semaines. Sans préempter les conclusions, les sujets climatiques, écologiques, environnementaux pourraient justifier une telle approche.

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