Intervention de Clément Beaune

Commission des affaires européennes — Réunion du 8 décembre 2020 à 8h15
Institutions européennes — Débat préalable au conseil européen des jeudi 10 et vendredi 11 décembre 2020 en présence de m. clément beaune secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargé des affaires européennes

Clément Beaune , secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes :

Je suis heureux de vous retrouver à l'avant-veille d'un Conseil européen dont le menu est copieux : le climat, les questions de sécurité, le terrorisme, la Turquie, les relations extérieures en général, la crise sanitaire... des points auxquels s'ajoutent les questions du budget, du plan de relance - avec les vetos que vous avez évoqués - et, bien évidemment, du Brexit et de l'avenir de la zone euro.

Ce Conseil européen devait être et sera, malgré tout, consacré à la question climatique. Lors du Conseil européen extraordinaire des 1er et 2 octobre derniers, nous avons porté, avec onze États membres, l'objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 55 % au moins à l'horizon de 2030 (contre 40 % précédemment), un objectif soutenu de longue date par la France : l'ambition climatique est donc de plus en plus largement défendue. Cette proposition rejoint celle de la Commission européenne, qui se fonde sur une étude d'impact que nous avions souhaitée. Vous le savez, des divisions ou des réticences demeurent sur les questions climatiques mais, si je fais un bref retour en arrière, au début de l'année 2019, quatre pays, dont la France, étaient favorables à la neutralité carbone en 2050. Nous avons réussi à fédérer une dizaine de pays au printemps 2019, puis d'autres ensuite, pour parvenir à un quasi-consensus européen, hors la Pologne, en vue d'acter cet objectif. Alors que nous relançons les négociations pour l'objectif 2030, on voit que le consensus est plus aisé, et que l'ambition climatique est mieux partagée : même la Pologne ne brandit pas la menace du veto, mais demande un certain nombre de garanties, une différenciation des objectifs par État membre et un soutien financier.

L'accord budgétaire du mois de juillet dernier prévoit, à la fois dans le CFP et dans le plan de relance, des financements massifs pour la transition énergétique, en priorité à destination des pays pour lesquels la transition est la plus coûteuse, au premier rang desquels la Pologne. Nous serons clairs, cet effort de solidarité est légitime, mais il doit accompagner l'ambition climatique. Il va donc de soi que nous devons acter le plus vite possible ce rehaussement collectif de l'ambition climatique pour 2030, et ce dans le respect des accords internationaux.

Nous fêterons les cinq ans de l'accord de Paris à la fin de cette semaine. Au début de l'année 2021, nous devrons déposer la contribution commune de l'Union européenne à cet accord pour 2030 et rehausser la cible en vue de la COP 26, organisée par le Royaume-Uni, qui a été reportée l'année prochaine en raison de la crise sanitaire.

Il y a donc une certaine cohérence entre notre objectif européen lors des discussions de ce Conseil européen, et notre engagement commun à l'international que nous devons honorer. Je ne puis vous affirmer si nous parviendrons à cet accord à la fin de cette semaine, mais je le souhaite ardemment. Tel est l'objectif de ce Conseil européen.

Les questions de sécurité ont pris un relief particulier après les attaques terroristes récentes à Nice, à Conflans-Sainte-Honorine et à Vienne, dont vous avez rappelé l'ampleur. Elles ont eu le « mérite », si je puis dire, de conduire à une prise de conscience accrue de l'ensemble des États membres de l'Union européenne, avec la volonté d'engager une action commune européenne. Cela va de la lutte contre la haine en ligne à une meilleure protection de nos frontières extérieures, en passant par l'échange d'informations entre nos services de police et de renseignement. Le Président de la République avait évoqué, après les attentats, la nécessité de renforcer, de manière plus générale, le contrôle de nos frontières extérieures. Sans un contrôle des frontières extérieures renforcé, il n'y a pas de libre circulation possible et acceptable au sein de l'espace Schengen. Selon l'agence Frontex et la Commission européenne, une personne sur cinq environ qui entre dans l'espace Schengen n'est pas identifiée ou n'est pas contrôlée. N'engageons pas de faux débat, aucune frontière nationale n'est parfaitement étanche, mais nous avons l'obligation de progresser dans les échanges d'informations et le renforcement des contrôles à nos frontières extérieures. Le Président de la République a parlé d'un certain nombre de réformes de gouvernance de Schengen, il ouvrira le débat à l'occasion du Conseil européen.

Permettez-moi à cet égard d'évoquer, même s'il ne fait pas partie des sujets de ce Conseil européen, la proposition de règlement européen sur la lutte contre les contenus terroristes en ligne, initiée par la France voilà deux ans. J'espère que les négociations aboutiront d'ici à Noël. Cela constituerait un élément d'efficacité majeure, je crois, dans la lutte contre la radicalisation, et donc dans la lutte contre la menace terroriste.

S'agissant de la politique extérieure, nous ne l'avons pas caché, la France appelle à la fermeté avec la Turquie, et nous avons emmené nos partenaires sur cette ligne. Lors du Conseil européen des 1er et 2 octobre, nous avions proposé une alternative à la Turquie : soit des gestes concrets de bonne volonté ou de coopération, et donc une reprise de dialogue - et nous étions prêts à engager ce dialogue -, soit la poursuite d'une stratégie d'agressivité ou de provocation, et nous prendrions alors des mesures de sanction. Malgré quelques gestes d'apaisement récemment - il ne me revient pas de dire s'ils sont sincères ou tactiques -, il est clair que le président turc fait preuve depuis le mois d'octobre d'une agressivité très forte à l'égard du Président de la République, de la France et, plus largement, du Caucase à la Méditerranée orientale. C'est pourquoi le ministre des affaires étrangères travaille avec ses homologues européens à des mesures de rétorsion et de sanction. J'espère qu'elles pourront intervenir le plus vite possible ; si elles étaient adoptées lors du Conseil européen, nous enverrions un signal de crédibilité et de fermeté important. En tout état de cause, il faut doser notre réaction. Non pas que nous soyons naïfs ou faibles - nous avons été à l'origine de la prise de conscience de nos partenaires -, mais décider une rupture définitive des négociations d'adhésion ne changerait rien à la réalité pratique - puisque les négociations sont déjà gelées - ; ce serait, au contraire, de nature à donner à M. Erdogan des arguments pour ressouder, pour reprendre le terme de M. Allizard, une partie de l'opinion sur un réflexe nationaliste. Ce n'est donc pas notre intérêt.

Le Président de la République l'a dit lors d'une conférence de presse devant le président Erdogan il y a deux ans, il n'est pas question d'une adhésion de la Turquie à l'Union européenne, il n'y a pas d'ambiguïté sur le fond. Il nous faut donc être prudents et efficaces.

Je dirai un mot sur la crise sanitaire, qui a donné lieu à des visioconférences régulières des chefs d'État ou de gouvernement, sur l'initiative de la France notamment, en vue d'améliorer notre coordination. Celle-ci est encore à certains égards une gageure, car nous n'avions pas envisagé au départ que nous aurions besoin de coordonner nos décisions qui sont parfois nationales et, plus souvent, locales, sur l'ouverture des stations de ski ou la circulation des travailleurs frontaliers, par exemple... Nous n'imagions pas, au départ, que nous aurions besoin de nous coordonner sur de tels sujets. Nous construisons en marchant.

D'ailleurs, nous avons abandonné les mauvais réflexes de la première phase, en évitant la fermeture de nos frontières intérieures, qui, quoiqu'en disent certains, n'est pas une « lubie sans-frontiériste », pour reprendre l'expression malheureuse du Rassemblement national, ou un délire européiste. Cette décision répond à la situation concrète de 350 000 travailleurs frontaliers, sans compter leurs familles et les emplois indirects. Mais nous devons travailler davantage encore en coordination : je pense aux tests antigéniques, qui, aujourd'hui, ne font pas l'objet d'une reconnaissance mutuelle, voire d'une reconnaissance tout court, par les différents États membres. Aussi, nous incitons à une reconnaissance mutuelle de ces tests rapides partout en Europe, d'autant que la question des déplacements en avion se posera assez vite - du moins peut-on l'espérer.

L'acquisition des vaccins est un très bon exemple d'une réussite européenne collective. Bien entendu, les choses restent à concrétiser, mais six contrats ont été négociés par l'Union européenne, financés en très grande partie par le budget européen, qui a mobilisé plus de 2 milliards d'euros à cet effet. Ils nous permettent d'acquérir plus de 1,5 milliard de doses pour l'ensemble de la population européenne. Qu'aurions-nous dit si nous avions acheté le vaccin ou sécurisé son accès, chacun dans notre coin, au sein de l'Union européenne ? Et si une campagne de vaccination était lancée en Italie et pas en France, en Espagne et pas en Allemagne, etc. ? Alors certains diront que la France aurait peut-être eu un vaccin la première - peut-être. Mais je préfère ne pas faire ce pari, et faire plutôt le choix du collectif : un collectif qui nous protège, qui nous assure l'efficacité, la rapidité, mais aussi la sécurité.

Cette question se pose aujourd'hui dans le débat public, mais ne soyons pas excessivement sensibles aux stratégies de communication sur ce qui se passe au Royaume-Uni. Une campagne de vaccination commence aujourd'hui, voyons comment elle se déroulera. Il s'agit d'un premier vaccin, et tant mieux s'il est accessible à l'ensemble de la population britannique. Le Royaume-Uni a choisi une procédure accélérée, d'urgence, ce qui n'a pas été le choix des autorités françaises et des autres États membres, pour assurer un équilibre entre rapidité et sécurité. Pour l'Union européenne, la stratégie vaccinale est plus un marathon qu'un sprint : pour être efficace, elle doit s'étaler sur plusieurs mois, comme l'ont expliqué le ministre de la santé et le Premier ministre la semaine dernière.

Je terminerai en évoquant trois derniers points : le budget, le Brexit et la zone euro.

J'espère que la question budgétaire pourra être résolue dans les prochains jours - elle le sera de toute façon avant la fin de l'année. Je l'ai dit devant votre assemblée, nous ne céderons ni sur l'impératif de la relance ni sur la protection de nos valeurs fondamentales - personne ne le comprendrait.

Nous disposons de deux voies d'action. La première consiste à discuter avec la Pologne et la Hongrie ; c'est ce que fait actuellement la présidence allemande, avec l'aide de la France. Nous souhaitons, pour éviter tout fantasme ou interprétation excessive, expliquer ce qu'est ce mécanisme d'État de droit et ce qu'il n'est pas. Il n'est pas une intrusion généralisée dans les lois nationales - nous ne l'accepterions pas ; en revanche, il protège les violations éventuelles de l'État de droit par le gel ou la suspension de fonds européens. La seconde vise à préparer une avancée sans ces deux pays. Je ne le souhaite pas, je considérerais cette action comme un échec. Tout comme vous, monsieur le président Rapin, je ne souhaite pas une Europe à la carte sur des sujets aussi fondamentaux ; ce ne serait pas une bonne nouvelle. Cependant, nous devons envisager cette option. Nous ne pouvons dire à nos concitoyens que nous avons laissé tomber la relance ou l'État de droit. C'est la raison pour laquelle la Commission européenne a déjà engagé un travail juridique et technique pour être prêts, le cas échéant.

Ensuite, le Brexit. Pour reprendre l'expression que le Président de la République a employée sur un autre sujet, cette négociation ressemble à « un jour sans fin », même si l'échéance est proche : le 31 décembre, quoi qu'il arrive, nous ne vivrons plus dans le monde que nous connaissons. Nous devons nous y préparer.

Cependant, nous pouvons encore aboutir à un accord. La négociation se prolonge, et Mme von der Leyen rencontrera certainement Boris Johnson demain. Nous aviserons, dans la semaine, de la possibilité d'un accord ou non. Au-delà de la ratification, c'est une question économique essentielle pour nos entreprises, nos concitoyens, notamment nos pêcheurs, qui ne doivent pas découvrir le 31 décembre ce qui se passera le 1er janvier.

Permettez-moi de rappeler les trois points qui bloquent dans ces négociations : la pêche, la concurrence équitable et la gouvernance, qui est liée aux deux autres.

Le Premier ministre l'a indiqué lors de son déplacement dans les Hauts-de-France, il y a quelques jours, nous souhaitons qu'un accord soit trouvé. Un non-accord serait une très mauvaise nouvelle, notamment pour la pêche française. Cependant, nous ne pouvons pas accepter, sur les plans économique et politique, un accord aux conditions britanniques ou à n'importe quel prix. C'est la raison pour laquelle nous défendons un accès durable et large aux eaux britanniques, notamment dans des zones sensibles, telles que la bande des 6-12 milles. Nous avons bien conscience que les choses vont changer au 1er janvier, mais il n'est pas question pour l'Union européenne de sacrifier ses intérêts.

L'unité européenne n'est pas fissurée et Michel Barnier, notre négociateur, réalise à cet égard un travail remarquable. Je peux vous assurer qu'elle ne le sera pas. C'est bien parce que nous sommes unis que nous pouvons défendre nos intérêts de manière efficace.

Enfin, la zone euro. Ce point sera examiné vendredi matin. Au travers de la question du plan de relance, nous avons levé le tabou de la dette commune, ce qui peut nous servir, à terme, pour la zone euro.

Monsieur le président Raynal, vous l'avez indiqué, nous devons noter les avancées récentes des ministres des finances. Nous portons avec les Allemands, depuis le sommet de Meseberg, il y a deux ans, un accord sur le Mécanisme européen de stabilité et sa réforme, qui permet un assouplissement en période de crise, ainsi qu'un accord sur l'union bancaire, qui nous permettra de bénéficier d'un filet de sécurité pour nos fonds de garantie des dépôts. Nous avons avancé de deux ans la mise en place de ce filet de sécurité, très protecteur en cas de crise.

L'étape suivante est d'aller vers un système européen de fonds de garantie des dépôts, après l'étape importante franchie la semaine dernière par Bruno Le Maire et ses homologues. Je rappelle que nous avons en France un système très protecteur. Un travail doit être mené avec l'Allemagne sur ce sujet.

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