Intervention de André Reichardt

Commission des affaires européennes — Réunion du 8 décembre 2020 à 8h15
Institutions européennes — Débat préalable au conseil européen des jeudi 10 et vendredi 11 décembre 2020 en présence de m. clément beaune secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargé des affaires européennes

Photo de André ReichardtAndré Reichardt :

J'entamerai mon propos en évoquant à mon tour trois sujets qui ne figurent pas à l'ordre du jour de ce Conseil, mais qui me préoccupent et préoccupent mon groupe.

Vous ne serez pas étonné si le sénateur alsacien que je suis commence par la question du siège du Parlement européen à Strasbourg. Je m'associe entièrement aux observations de mon collègue Jacques Fernique et, à mon tour, j'exhorte le Gouvernement à élever le ton sur ce sujet. La situation n'a que trop duré, et la covid n'est qu'un argument fallacieux de plus. Nous souhaitons vivement que, comme dans d'autres institutions internationales, le virus n'empêche pas la réunion du Parlement européen dans la capitale alsacienne, qui est l'une des capitales européennes.

Le second sujet est le Brexit. Mme Ursula von der Leyen a fait état la semaine dernière de certaines avancées, mais elle constatait toujours les mêmes blocages sur les conditions de concurrence équitables, la gouvernance de l'accord et la pêche. Je ne spécule pas sur la possibilité de parvenir, ou non, à un accord mais je m'interroge sur les délais en cas d'issue favorable. En effet, alors que toutes les dates initialement fixées, tant par les Européens que par les Britanniques, ont été dépassées, les négociations se poursuivent et nous sommes désormais dans ce qu'on appelle le temps additionnel ! Si un accord était finalement scellé, sera-t-il seulement envisageable qu'il soit ratifié dans des conditions d'examen acceptables par la Chambre des communes et le Parlement européen avant la fin de l'année ? Qu'en est-il par ailleurs de sa nature et de son caractère mixte ? Ce sujet a-t-il été tranché ? Si l'accord devait, comme on peut l'imaginer, être mixte, le calendrier de saisine des parlements nationaux ne pourra débuter qu'après la fin de la période de transition. Une application provisoire paraît alors quasiment inévitable.

Le dernier sujet d'incertitude, économique, c'est naturellement l'adoption du cadre financier pluriannuel et du plan de relance. Le veto hongrois et le veto polonais sur le paquet financier, motivés par la proposition de conditionnalité sur l'État de droit, ramènent en quelque sorte l'Europe à la case départ et offrent à nouveau le visage d'un continent enfermé dans ses divisions. Quoi qu'il en soit, il faut désormais sortir de la crise. Plusieurs options ont été évoquées, comme celles de modifier l'instrument de conditionnalité, de désolidariser l'adoption du CFP de celle du plan de relance, ou encore, d'accompagner cette dernière d'une déclaration politique du Conseil européen donnant des gages à Budapest et à Varsovie.

Monsieur le ministre, vous avez donné votre sentiment sur ces questions, mais en tout état de cause, ces options envisagées ne manqueraient pas de faire l'objet d'une forte opposition au Parlement européen. Celui-ci avance d'ailleurs des solutions beaucoup plus fermes. Il suggère, par exemple, d'aller au bout du bras de fer et de mettre la Pologne et la Hongrie devant le fait accompli en adoptant rapidement le règlement sur la conditionnalité et en mettant ces deux pays au défi de continuer à bloquer l'adoption d'outils financiers dont ils ont, on le sait, grand besoin économiquement. Plus radical encore, il évoque le recours à une coopération renforcée pour mettre en oeuvre le plan de relance à 25, à l'instar de ce qui avait été fait lors de l'adoption du pacte budgétaire en 2012, que le Royaume-Uni et la République tchèque avaient refusé. Cette dernière solution paraît naturellement hasardeuse, aussi bien techniquement que politiquement. Pensez-vous toutefois qu'elle puisse prospérer si le blocage devait persister ?

Le Parlement européen estime que la feuille de route pour les nouvelles ressources propres étant annexée à l'accord interinstitutionnel du 10 novembre, elle est juridiquement contraignante. Le Conseil considère, quant à lui, que ce document n'est qu'indicatif et ne saurait être porteur de conséquences juridiques. Quelle est la position des autorités françaises sur la nature de cette feuille de route ?

J'en viens à l'ordre du jour du Conseil européen proprement dit. Celui-ci va examiner à nouveau la question du changement climatique. Vous en avez parlé, je n'insiste pas. Les chefs d'État ou de gouvernement se pencheront également, une fois encore, sur le cas de la Turquie. Depuis plusieurs années, la litanie des conclusions du Conseil européen à propos de ce pays est édifiante. On s'est dit, tour à tour, « vivement préoccupés » ou « profondément soucieux » des agissements turcs, que l'on condamne généralement avec fermeté. Mais on propose toujours à Ankara, qui ne cesse pourtant de s'éloigner des standards européens dans tous les domaines, de s'engager dans un dialogue positif et constructif - proposition de dialogue que M. Erdogan nous renvoie de plus en plus vite à la figure, par ses déclarations et surtout par ses actes. La liste des provocations, des déstabilisations et des interventions commises par la volonté d'hégémonie du président turc s'allonge d'année en année, et nul ne sait où celui-ci va s'arrêter. Une chose est néanmoins sûre : il ne sera pas arrêté par des condamnations verbales sans conséquence.

Selon nous, il est plus que temps que les Européens prennent leurs responsabilités et adoptent des sanctions fermes à l'égard du régime turc. Nous croyons qu'il faut aussi envisager sérieusement de déclarer caduc le processus d'adhésion. Son maintien, ces dernières années, avait pour objectif principal de garder ouverts les canaux de dialogue entre l'Europe et la Turquie. L'objectif était louable, mais on en voit aujourd'hui le résultat : le processus d'adhésion relève désormais davantage du jeu de dupes que du processus politique. Il faudrait que l'on en fasse le constat partagé.

J'ai bien compris, monsieur le ministre, que vous ne souhaitez pas victimiser le président turc et, ce faisant, ressouder la population derrière lui. Pourtant, on peut se demander si ce n'est pas précisément en le mettant au niveau européen face à ses responsabilités, c'est-à-dire en déclarant caduc ce processus d'adhésion, que l'on pourrait amener sa population à manifester un désaccord et à le mettre en difficulté. Je vous engage vivement à réfléchir à cette option.

Autre sujet fondamental à l'ordre du jour du Conseil européen : la lutte contre le terrorisme. Après les attaques qui ont endeuillé la France et l'Autriche, l'Union s'apprête à remettre l'ouvrage sur le métier autour d'un nouvel agenda. Depuis les attentats de 2015, des progrès considérables ont été réalisés, mais les Européens doivent continuer à adapter leur arsenal face à une menace dont la nature et les modes opératoires évoluent rapidement. Cela passe, bien sûr, par un nouveau renforcement de la coopération policière et judiciaire entre États membres et par la lutte contre les sanctuaires djihadistes - par exemple au Sahel, où la France reste d'ailleurs bien seule pour agir en première ligne - ou par une lutte accrue contre la propagande islamique sur le terrain comme sur internet, comme nous l'a récemment expliqué Gilles de Kerchove. Les marges de progrès sont avant tout technologiques, notamment en accélérant l'interopérabilité des bases de données européennes et en les étoffant, en permettant aux services de sécurité des agences européennes d'accéder aux données dont elles ont besoin, et surtout en leur garantissant les moyens matériels et humains qui leur permettront d'être efficaces dans la collecte et l'analyse de ces données. Il y a la question des frontières extérieures, sur laquelle planent des doutes similaires quant à l'efficacité de l'action menée par certains États membres, malgré les réelles avancées de ces dernières années, autour du concept de frontières « intelligentes ». En tous cas, il est indispensable d'en renforcer davantage notre maîtrise, et le Pacte pour l'asile et l'immigration propose des évolutions qui vont dans le bon sens. L'objectif affiché de contrôler 100 % des personnes qui entrent dans l'espace Schengen doit être atteint, car aucune politique terroriste sérieuse ne saurait être conduite si nous ne sommes pas en mesure de savoir, à chaque instant, qui se trouve sur notre territoire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion