La validation du CFP et du plan de relance est difficile. Il est clair que nous ne pouvons pas céder au chantage de la Hongrie et de la Pologne, qui refusent la mise en place d'un mécanisme de conditionnalité des fonds européens au respect de l'État de droit. Dans ce nouveau rapport de force, la France est dans une situation quelque peu délicate et qui pourrait l'empêcher de peser : la Pologne et la Hongrie ne manqueront pas de nous renvoyer à notre propre État de droit, qui suscite tant d'inquiétudes de la part de différentes instances internationales, comme le Conseil de l'Europe ou le Parlement européen, sans parler de l'avis des experts indépendants auprès du Conseil des droits de l'homme de l'ONU. Dans un an, la présidence du Conseil de l'Union européenne sera française, et nous ne pouvons que nous inquiéter de cette situation. Un retard dans l'entrée en vigueur de ces plans financiers serait dommageable pour nos économies et pour les politiques européennes de solidarité. Quelles solutions précises envisagez-vous pour sortir de cette situation de blocage ? Quelles seraient les conséquences de la conclusion d'un accord intergouvernemental, hors cadre communautaire, pour débloquer la situation ? Les objectifs en matière de changement climatique entrent-ils en ligne de compte dans les négociations, en particulier avec la Pologne ?
Fixer un objectif de réduction des gaz à effet de serre nous paraît indispensable pour relever le défi climatique. Cela ne peut être fait que grâce à un financement ambitieux. Or, il semble que le compte n'y soit pas : selon le rapport du Parlement européen du 26 octobre dernier relatif au financement du Pacte vert, il faudrait trouver au moins 600 milliards d'euros par an pour réaliser le double objectif de 55 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre à échéance de 2030 et de neutralité carbone à échéance de 2050. Il s'agit aussi d'admettre désormais qu'économie et transition écologique ne sont pas incompatibles, et donc de ne pas prendre prétexte de la relance économique pour réduire les ambitions La transition écologique est l'avenir de nos économies et un vivier d'emplois durables. Il est donc essentiel d'accélérer le calendrier de mise en place de nouvelles ressources propres et du mécanisme d'ajustement carbone. Il ne suffit pas de rehausser les objectifs, il faut également rehausser les financements. D'autres annonces viennent confirmer la nécessaire accélération de notre processus de transition climatique : ainsi, le rapport de l'ONU sur la biodiversité du 29 octobre dernier affirmait qu'à moins d'une transformation radicale de nos modes de vie, de nouvelles pandémies émergeront plus souvent, se propageront plus rapidement, feront plus de dégâts à l'économie mondiale et tueront plus de personnes que la covid 19. Nous ne pouvons plus fermer les yeux en espérant des jours meilleurs, avec l'arrivée sur le marché de tel ou tel vaccin ou de tel ou tel médicament. La situation est alarmante, les exemples s'en multiplient.
Ainsi, la dernière grippe aviaire que nous avons détectée en France, le 17 novembre dernier, fait que l'ensemble du territoire de l'Hexagone est classé en risque élevé. La France rejoint la longue liste des pays européens touchés par cette pandémie. Des dizaines de milliers de volailles ont été abattues aux quatre coins de l'Europe. Il est du devoir de l'Europe d'apporter une réponse efficace et coordonnée à ce qui pourrait être une nouvelle crise sanitaire majeure pour le secteur agricole. Quelles sont les mesures que le Conseil européen compte prendre d'urgence pour éviter un nouveau fléau, et quel soutien compte-t-il apporter à ce secteur ?
Ce même rapport de l'ONU nous indique que le risque de pandémie peut être considérablement diminué en réduisant les activités humaines qui alimentent la perte de biodiversité, par une plus grande préservation des aires protégées, et par des mesures qui réduiraient l'exploitation non durable des régions à forte biodiversité. Cela réduirait le contact faune-bétail-homme, et aiderait à prévenir la propagation de nouvelles maladies. Quelle position la France portera-t-elle pour inciter ses partenaires européens à se saisir de ces problématiques ?
Nous apprenons que la politique agricole commune (PAC) pour la période 2021-2027, en voie de finalisation, n'est pas compatible avec les objectifs du Pacte vert. Or l'agriculture est responsable d'environ un tiers des émissions de gaz à effet de serre d'origine anthropique dans le monde. C'est donc un champ d'action majeur de toute politique environnementale. L'intensification agricole a eu des effets délétères sur la biodiversité en entraînant une réduction drastique des populations d'oiseaux et d'insectes. L'étude des experts de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et d'AgroParisTech publiée le 23 novembre dernier fait plusieurs recommandations nécessaires au renforcement des exigences climatiques et environnementales de la future PAC, notamment le renforcement de la conditionnalité environnementale, qui oblige au respect d'exigences minimales pour bénéficier des aides dans le cadre de la PAC. Ces exigences doivent être retravaillées pour accompagner les modèles économiques des exploitants, dans un cadre qui garantit une juste rémunération des agriculteurs. Cela ne se fera bien sûr que par la mise en place d'une concurrence loyale entre les différents pays européens et extra-européens.
Ainsi, monsieur le ministre, comment entendez-vous répondre à ces objectifs économiques, sociaux et environnementaux ? Qu'en est-il aujourd'hui des accords de libre-échange dont les procédures de ratification sont suspendues ? Quelle est la posture de la France à ce sujet, à l'échelle européenne ?
Alors que l'union des marchés des capitaux est censée soutenir la relance en Europe, quelle urgence y a-t-il aujourd'hui à relancer la titrisation ? Quelle urgence y a-t-il à alléger les règles prudentielles ou relatives à la transparence ? Au contraire, il est urgent de mettre en place des outils permettant de sortir d'une économie trop financiarisée, qui fragilise nos pays et nos productions, qui nous a conduits à la crise de 2008, et qui risquerait aujourd'hui de nous empêcher de prendre le virage d'une économie responsable et durable. Il est temps de protéger les Européens plutôt que les banques.
Enfin, je souhaite évoquer les enjeux internationaux. L'Union européenne parviendra-t-elle à se doter d'une politique étrangère ? Nous sommes en droit de nous poser cette question, au moment où elle doit faire face à une exacerbation des rapports de force et des tensions, ainsi qu'à une instabilité croissante de son environnement immédiat. L'Union a des difficultés à définir une position crédible. Le contexte ne lui laisse pourtant pas le choix, si elle veut continuer à peser dans les décisions et ne pas être spectatrice d'un monde qui se recompose sans elle. Elle a aujourd'hui besoin d'une boussole, avec des objectifs de moyen terme, mais aussi d'une voix forte pour imposer ses initiatives, alors qu'elle se voit constamment défiée par des États opportunistes qui profitent de l'évolution des rapports de force au niveau international.
Les derniers mois ont démontré que l'Union n'était plus incontournable lorsqu'il s'agissait de trouver les conditions d'un retour à la paix. Les règles mondiales ont évolué : le multilatéralisme, qui était le fondement de sa diplomatie, est aujourd'hui mis à mal. Quelle position sera défendue par la France au Conseil européen à ce sujet ? Comment compte-t-elle s'appuyer sur ses partenaires européens, en particulier pour réintroduire le groupe de Minsk dans le règlement de la situation dans le Caucase ?