Intervention de Jean-Claude Requier

Commission des affaires européennes — Réunion du 8 décembre 2020 à 8h15
Institutions européennes — Débat préalable au conseil européen des jeudi 10 et vendredi 11 décembre 2020 en présence de m. clément beaune secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargé des affaires européennes

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

La date butoir du Brexit approche, et l'accord sur la relation future entre les deux entités n'est toujours pas conclu à ce jour. Parmi les « lignes rouges » subsiste la question de la pêche, à laquelle la France est particulièrement attachée. Il semblerait que les Britanniques aient fait un pas, avec l'abaissement de 80 à 60 % du niveau des droits de pêche réclamés dans leurs eaux territoriales. Qu'en pensez-vous, à l'heure où les trois quarts des exportations britanniques annuelles de poissons alimentent le marché européen ? L'Union européenne continue à se montrer solidaire sur ce dossier. En effet, si la France apparaît comme l'un des États côtiers les plus concernés, 60 % du tonnage issu des eaux britanniques est capturé par des bateaux en provenance d'autres pays européens. Si un accord n'intervenait pas, comment serait mobilisé le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) ? Les modalités de sa mise en oeuvre ont été discutées mardi dernier à Bruxelles. Seront-elles à la hauteur des enjeux ? On a le sentiment que ce fonds est surtout abordé à l'aune de la question de la surpêche, plutôt que de celle du soutien économique aux pêcheurs en cas de no deal. Il faut pouvoir concilier les deux impératifs, à savoir la préservation des ressources halieutiques et le soutien à un secteur vital pour l'économie côtière de plusieurs États membres.

Au programme du prochain Conseil européen figure également la politique de lutte contre le changement climatique. Les dirigeants s'efforcent de convenir de nouveaux objectifs de réduction des émissions de l'Union à l'horizon de 2030. Mon groupe a déjà eu l'occasion d'exprimer son point de vue lors des derniers débats relatifs au Conseil européen. Nous partagions la volonté de relever le niveau d'ambition pour la décennie à une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030, pour peu que les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif soient soutenables pour les secteurs économiques les plus concernés. C'est aussi dans cet esprit que devraient être évaluées, à mon sens, les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, que le Gouvernement devrait bientôt traduire dans un projet de loi. Toujours est-il que la Commission européenne est chargée, selon les conclusions du dernier Conseil européen, d'« évaluer les situations spécifiques » et de « fournir davantage d'informations » sur les répercussions de ces politiques au niveau des États membres. On peut souscrire à ce principe. Mais dans le même temps, il faudra veiller à ce que ne se créent pas de situations de dumping, qui désavantageraient les pays les plus vertueux et les plus à l'avant-garde en matière de lutte contre le changement climatique.

À certains égards, les ressources propres peuvent aussi être un levier pour avancer sur la question climatique. Je pense notamment à celles qui sont fondées sur le prix du carbone aux frontières européennes. Je me réjouis donc que le projet de création de nouvelles ressources propres ait été acté en juillet dernier. C'est un pas supplémentaire vers l'approfondissement de l'intégration européenne, et cette évolution est saluée par mon groupe. Je regrette cependant la lenteur du processus : entre les propositions de la Commission européenne, attendues avant la fin du premier semestre 2021, et l'échéance de 2022 fixée au législateur européen pour statuer, il faudra attendre encore deux ans pour voir émerger véritablement ces ressources financières.

S'agissant de la coordination générale dans la lutte contre la covid-19, je salue la rapidité des décisions prises pour parvenir à une stratégie commune de vaccination. Tous les pays européens ont été associés au comité de pilotage, et, au bout de la chaîne, tous les États membres pourront garantir rapidement l'accès de leurs concitoyens à un vaccin. La France devrait être couverte avec 200 millions de doses. Confirmez-vous ce chiffre ? Si l'on peut applaudir le succès de cette mobilisation européenne, au travers notamment de la conclusion de contrats d'achat anticipé, la question des vaccins renvoie à un chantier plus large, qu'il nous faudra approfondir une fois la crise sanitaire passée : il s'agit de l'indépendance stratégique de l'UE pour son approvisionnement en produits pharmaceutiques et en équipements de protection médicale. Au coeur de la pandémie, on a pu constater combien cet enjeu était crucial. L'Agence européenne des médicaments a également joué son rôle. Le prochain CFP promet un renforcement des fonds pour la santé. Toutefois, il est évident qu'il faudra en faire plus pour construire une véritable « Europe de la santé ».

En ma qualité de co-rapporteur de la mission budgétaire « Aide publique au développement », je souhaiterais connaître la stratégie de vaccination à l'égard des pays pauvres. La Commission européenne avait annoncé fin août vouloir participer au mécanisme COVAX. Comment se matérialise cette participation ? On observe que la Chine a déjà proposé des doses de vaccin à plusieurs pays du continent africain, non sans arrière-pensée stratégique. Aussi, il ne faudrait pas que l'Union européenne soit évincée du rôle qu'elle a acquis sur le continent africain, et plus globalement, qu'elle perde son soft power.

Concernant la levée des mesures de restriction, mon groupe, qui porte l'Europe dans son ADN, est attaché à la mise en oeuvre de démarches coopératives. Cependant, la subsidiarité doit aussi avoir un sens. Il ne faut pas écarter la structure économique de chacun des États membres, qui peut conduire à des approches de déconfinement différentes. Je pense notamment au tourisme, et plus particulièrement au tourisme de montagne. L'Allemagne pousse à l'ouverture des stations de ski le plus tard possible, alors que l'Autriche souhaiterait une ouverture au plus tôt. La France se situe dans une position intermédiaire. Plus qu'une approche coordonnée, il faut donc une approche négociée sur ce sujet, afin que toutes les régions puissent ne pas être soumises aux mêmes restrictions. On s'est gargarisé du fait que l'Allemagne avait privilégié une approche régionalisée pour lutter contre l'épidémie de la covid. Mais aujourd'hui, on est prêt à se ranger derrière Berlin, qui souhaite une échéance commune en Europe pour la levée des restrictions dans les zones de montagne. N'est-ce pas là une façon pour Angela Merkel de centraliser une décision pour plusieurs régions européennes, c'est-à-dire le contraire de ce qu'elle a fait pour son pays ? À mon sens, une approche harmonisée n'exclut pas de légers réglages, pour que tous les pays européens puissent se relever de cette épreuve sans sacrifier les forces vives de leurs territoires - et ce d'autant plus que l'instrument de relance se fait attendre, pour les raisons que l'on connaît.

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