Intervention de Clément Beaune

Commission des affaires européennes — Réunion du 8 décembre 2020 à 8h15
Institutions européennes — Débat préalable au conseil européen des jeudi 10 et vendredi 11 décembre 2020 en présence de m. clément beaune secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargé des affaires européennes

Clément Beaune , secrétaire d'État :

Pour répondre à M. Cadic, tous les citoyens britanniques, qu'ils soient touristes ou possèdent une résidence secondaire, pourront venir et rester dans l'espace Schengen, sans visa, pour une durée maximale de 90 jours sur une période de 180 jours. Dans certains cas et certaines régions, notamment dans le Sud-Ouest où les résidences secondaires sont nombreuses, les séjours peuvent dépasser cette durée, et nous essayons de trouver des solutions pouvant apporter plus de facilité dans l'accord en cours de négociation. Cependant, les Britanniques ont assez peu d'appétence pour ce point particulier et les discussions sur le sujet avancent dans une direction peu satisfaisante. Toujours dans l'objectif d'apporter un maximum de facilité, nous pourrions envisager l'adoption de mesures nationales, en fonction de la façon dont nos relations évoluent avec le Royaume-Uni. En tout cas, ce socle garanti des 90 jours sans visa existe et, en attendant une autre solution, il est possible de solliciter des visas de long séjour temporaire au-delà de cette durée.

Monsieur Fernique, sur la question des budgets climatiques, les moyens prévus par le cadre financier pluriannuel 2021-2027 et le plan de relance sont déjà importants. En effet, 37 % des 750 milliards d'euros du plan de relance, agréé au mois de juillet, seront consacrés à des dépenses climatiques. La Commission examine les premières versions informelles des plans de relance nationaux à l'aune de cette cible, que la France atteindra évidemment. De plus, au moins 30 % des dépenses du budget ordinaire 2021-2027 seront aussi consacrées à ces questions, ce qui représente des sommes considérables, aux alentours de 600 à 700 milliards d'euros. Cet effort financier est tout à fait inédit à l'échelle européenne, et doit être souligné.

Par ailleurs, outre les budgets nationaux, d'autres moyens financiers européens seront mobilisés. Ainsi, sous notre impulsion, la Banque européenne d'investissement (BEI) joue de plus en plus le rôle d'une banque européenne du climat. Et il ne s'agit pas seulement d'un slogan puisque, à l'horizon de 2025, 50 % de son mandat sera lié aux dépenses consacrées au climat et à la transition écologique. On peut toujours faire plus, mais on observe déjà une véritable transformation de l'effort financier en faveur des objectifs climatiques.

Vous avez évoqué le principe do no harm (« ne pas nuire ») que le plan de relance et le budget européen dans son ensemble doivent respecter. Nous avons défendu cette position dans l'accord du 21 juillet, selon laquelle aucune dépense néfaste pour le climat ne doit être engagée. La Commission vérifie de façon scrupuleuse le respect de ce principe, et a déjà fait part à la France d'un certain nombre de remarques sur la première version de son plan national de relance.

Il faut une panoplie d'outils - financiers, mais pas seulement -, pour assurer une transition écologique et climatique européenne qui soit juste et efficace. Le relèvement de nos objectifs fait partie de ces outils, ainsi que l'engagement de moyens financiers d'accompagnement, ou encore le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui est le seul moyen de concilier justice et efficacité. En effet, on ne peut réclamer de nos entreprises des efforts - légitimes - en matière de réduction d'émissions, tout en leur demandant d'être en concurrence frontale avec des acteurs qui ne sont pas soumis aux mêmes règles, et en réimportant ces émissions par le biais du commerce international.

Le Parlement européen a exercé une saine pression et s'est entendu avec le Conseil sur une feuille de route prévoyant d'accélérer l'adoption de nouvelles ressources propres. Les Vingt-Sept ont acté le principe de ces nouvelles ressources au mois de juillet dernier, ce qui représente une avancée fondamentale. Certes, il faudra mener des discussions législatives au niveau européen sur chacune de ses ressources, mais le principe en est acté et des mesures précises figurent à présent dans l'agenda européen. Et, si la feuille de route n'est pas juridiquement contraignante, elle représente un engagement politique de la part des institutions européennes. Ainsi, dès 2021, la Commission proposera de nouvelles ressources propres et des actes législatifs, notamment sur le numérique et l'ajustement carbone aux frontières, ces ressources devant trouver application au plus tard début 2023. La France en fera d'ailleurs l'un des sujets majeurs de sa présidence de l'Union. Il s'agit d'un combat politique qu'il faut continuer à mener, mais on observe déjà des avancées certaines, et un consensus qui progresse extrêmement rapidement. La taxe sur les transactions financières fait partie d'une deuxième étape prévue par la feuille de route, et sa mise en place doit intervenir au plus tard en 2026, avant l'arrivée à échéance du cadre financier pluriannuel, pour aider notamment au remboursement du plan de relance.

J'assure MM. Fernique et Reichardt de notre engagement total pour garantir le retour des sessions du Parlement européen à Strasbourg et, plus largement, en faveur du statut de capitale européenne de la ville. Ce combat est pour l'instant assez frustrant et vous avez suggéré que nous haussions le ton, mais nous l'avons déjà fait - dans une démarche restant toutefois amicale et coopérative -, ce qui nous a parfois été reproché. Ce sujet n'est pas anecdotique : il est important pour la France, mais aussi pour la nature du projet européen, qui a besoin de cette diversité, de ces multiples lieux et de ces symboles. Nous n'abandonnerons pas ce combat commun, qui dépasse les sensibilités politiques mais aussi la géographie des implantations des élus concernés. Par ailleurs - et il ne s'agit en rien d'une compensation -, le Parlement européen accueillera le 2 février prochain, au siège du Parlement à Strasbourg, un hommage au président Valéry Giscard d'Estaing, ce qui est un signal important dans le contexte et démontre la symbolique de ce lieu sur notre territoire. Cela ne change rien au combat que nous menons pour le retour des sessions et le renforcement du soutien financier apporté à Strasbourg en tant que capitale européenne, par les collectivités locales et l'État, qui maintiendra au moins l'effort financier du contrat triennal actuel dans le nouveau contrat 2021-2023, qui devrait être signé dans les premières semaines de l'année 2021.

Monsieur Gattolin, vous avez demandé pourquoi le Brexit ne figurait pas formellement à l'ordre du jour du prochain Conseil européen. Il ne s'agit pas d'une volonté de nier l'existence du sujet, mais d'une stratégie constante. À plusieurs reprises, le Royaume-Uni a souhaité oublier les négociateurs et politiser le sujet, en favorisant des discussions bilatérales. Nous n'avons jamais cédé à cette pression parce que notre méthode, à savoir l'unité du mandat et du négociateur, et un soutien complet et constant à Michel Barnier, est la clé de notre réussite et notre force. Il est miraculeux que les Vingt-Sept soient restés unis, malgré des sensibilités diverses et des relations différentes entretenues avec le Royaume-Uni, tout au long de ces quatre années. Nous le devons beaucoup à Michel Barnier et à la méthode suivie, dont nous ne dévierons pas. Les chefs d'État ou de gouvernement peuvent en parler dans les couloirs du Conseil européen, mais celui-ci n'est pas une chambre d'appel pour les décisions prises dans le cadre des négociations sur le Brexit, et nous n'y changerons pas notre mandat. Les Britanniques en ont fait la demande lors du précédent Conseil européen et nous avons refusé, rappelant nos priorités, notamment celle de la pêche. À ce sujet, je veux être très clair : il n'y aura pas d'accord isolé. On ne découpe pas, on ne vend pas par petits bouts, la relation future avec le Royaume-Uni. La négociation ne serait pas équilibrée, et c'est pour cette raison que nous n'avons jamais accepté d'isoler le sujet de la pêche.

Vous l'avez évoqué, la question de la relation transatlantique est vaste, mais je crois que l'unité des Vingt-Sept est plus solide qu'on ne le dit, et l'idée est bien présente de garder le cap de la souveraineté européenne, en renforçant notamment nos efforts en matière de défense.

Le cadre pour les droits de l'homme, qualifié parfois de Magnitsky Act européen, a déjà été adopté hier par les ministres des affaires étrangères. M. Jean-Yves Le Drian représentait la France. Il s'agit d'une avancée importante. En ce qui concerne le prix Sakharov, qui est remis par le Parlement européen, je ne peux que vous encourager à faire des propositions de lauréats.

Monsieur Reichardt, la question de la nature de l'accord du Brexit - accord mixte ou non - est encore en discussion : cela n'est pas évident, car il faut tenir compte des délais. À titre personnel, je crois qu'il faut évidemment associer, d'une façon ou d'une autre, les parlements nationaux, car il s'agit d'un enjeu démocratique fondamental. Les mécanismes tels que l'application provisoire ne sont pas bons, car ils ne constituent qu'un faux-semblant démocratique : on commence par appliquer l'accord, puis on consulte le Parlement européen ou les parlements nationaux, en ne leur laissant d'autre choix que de mettre un terme à un texte qui est déjà appliqué et qui a été longuement négocié, ou de l'accepter dans l'allégresse... Ce n'est pas un vrai choix démocratique. On y a eu recours dans le passé, on y a encore recours pour certains accords, comme le Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA), mais je crois qu'il serait bon, à l'avenir, de l'éviter ou, en tout cas, de le limiter. Je préfère que les parlements soient régulièrement informés et de manière transparente, avec, éventuellement, un vote à la fin.

Plusieurs modalités permettent d'avancer à 25 sur le plan de relance sans l'accord de la Pologne ou de la Hongrie : à l'accord intergouvernemental, qui se situe hors du cadre du Traité, nous préférons de loin l'option d'une coopération renforcée, prévue par le Traité ; c'est d'ailleurs l'option sur laquelle la Commission européenne travaille.

J'ai déjà longuement évoqué la question turque dans mon introduction. Il n'y a eu aucune ambiguïté de la part du Président de la République : l'adhésion n'est pas notre souhait ; en tout cas, elle n'est pas au menu. La volonté de fermeté est largement partagée. Il ne s'agit pas de chercher l'escalade, cela n'a jamais été notre approche, mais on ne peut pas accepter la stratégie d'ensemble que poursuit la Turquie pour mettre sous pression l'Union européenne, en utilisant les sujets migratoires ou par ses actions en Méditerranée orientale. Les sanctions sont une possibilité, mais ce n'est pas la seule. Nous devons répondre, avec fermeté, par des mesures adaptées à chaque situation : nous avons ainsi envoyé, comme vous le savez, des bâtiments militaires en Méditerranée orientale l'été dernier pour marquer notre présence et ne pas laisser les Turcs continuer leurs intrusions dans les eaux territoriales européennes. En février, quand la Turquie a « joué » avec la frontière grecque, en incitant des migrants à passer la frontière terrestre avec la Grèce, nous avons répondu par la fermeté, à la grande surprise de la Turquie d'ailleurs, en soutenant matériellement et politiquement la Grèce dans la défense de sa frontière, qui est aussi la frontière européenne. C'était nécessaire, car nous sommes soumis à une pression migratoire organisée et instrumentalisée par la Turquie.

En ce qui concerne les questions d'asile et d'immigration, je partage vos remarques : il est nécessaire, avant tout, d'être opérationnel. Beaucoup sera fait dans les prochains mois pour mettre en place des bases de données plus sécurisées et mieux partagées entre les États membres, d'ici à 2022-2023 ; nous devons accélérer la mise en place de la base entrée/sortie ainsi que du nouveau système d'information de Schengen.

L'acquisition des vaccins se fait de manière collective. Les États seront livrés en même temps, au prorata de leur population, ce qui est un critère objectif et juste de répartition. Quant à l'organisation matérielle et logistique de la vaccination, elle relèvera, dans un souci d'efficacité, du niveau national - ou régional, comme en Allemagne. Elle sera le plus possible coordonnée. Avec l'Allemagne, nous nous efforçons de définir des principes et des publics prioritaires communs dans la stratégie de vaccination.

Le manque de coopération européenne sur le ski fait parfois sourire. Mais qui aurait pu imaginer que nous aurions besoin de nous coordonner sur l'ouverture des stations de ski ? La décision ne relève d'ailleurs pas toujours du niveau national, mais, comme par exemple en Suisse - qui ne fait certes pas partie de l'Union - du niveau local, en l'occurrence cantonal. En quelques jours, nous avons malgré tout créé une coordination européenne : l'Italie a annoncé que ses stations n'ouvriraient pas avant la fin de l'année ; il en va de même pour l'Allemagne et, notamment, la Bavière ; Andorre a changé de position, à la suite de discussions avec la France, pour ne pas créer de concurrence inéquitable dans les Pyrénées ; quant à l'Autriche, elle n'a pas, contrairement à ce que l'on dit, annoncé une réouverture massive de ses stations, car les bars et les hôtels resteront fermés et la quarantaine sera obligatoire pour toute personne extérieure - les touristes français qui voudraient aller en Autriche devront donc être très motivés ! Ces restrictions, je le précise, ne sont pas une punition, mais une nécessité sanitaire. Nous nous coordonnons, car il ne serait pas juste, effectivement, que les mesures soient différentes d'un côté ou de l'autre de la frontière. Il ne faudrait pas non plus qu'une ouverture trop rapide pénalise la suite de la saison, en entraînant une reprise de l'épidémie.

Il n'y a pas vraiment de date limite pour le Brexit, mais il serait souhaitable, comme je l'ai déjà dit dans la presse, d'avoir de la visibilité autour du 10 ou du 15 décembre, afin de disposer d'un temps minimum d'organisation pour prendre acte de l'accord ou de l'absence d'accord, et s'y préparer.

Monsieur Joly, il n'est pas possible de comparer la situation de la France avec celles que l'on voit en Pologne ou en Hongrie ! Nous n'avons pas fait fermer une université ni mis en cause le pluralisme des médias ou le droit à l'avortement...

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