Intervention de Christophe Beaux

Délégation aux entreprises — Réunion du 10 décembre 2020 à 9h00
Audition du mouvement des entreprises de france medef

Christophe Beaux, directeur général du Mouvement des entreprises de France :

La crise que nous traversons est très différente des crises précédentes, notamment celle de 2008-2009. Après le premier confinement au printemps, suivi d'une reprise assez forte à l'été, puis le nouveau coup d'arrêt marqué par le couvre-feu et le reconfinement, on constate que la courbe d'activité, dans notre pays, est asymptotique et peine à retrouver son niveau de 2019. L'activité a ainsi connu un point bas en avril et en mai, avec un taux d'activité de 75 % environ, puis s'est redressée fortement pendant l'été, revenant presque à l'équilibre, avant de connaître une nouvelle chute, moins forte que la précédente, fin octobre et en novembre, puis de remonter depuis fin novembre grâce essentiellement à la réouverture des commerces. L'activité dans les commerces était à -20 % en novembre ; elle est désormais à -10 % : l'écart a été comblé pour moitié, mais pas complètement.

Plus globalement, nous estimons, d'après nos études auprès des entreprises et des adhérents, qui sont d'ailleurs corroborées par les statistiques de l'Insee ou de la Banque de France, que l'économie tourne entre 89 et 92 % environ de son niveau de 2019. Certains secteurs restent administrativement fermés : la restauration, l'événementiel, le sport, la culture, etc. Si d'autres secteurs ne le sont pas administrativement, ils le sont de facto par contagion : c'est le cas de l'hôtellerie ou du tourisme, par exemple. Il y a aussi tout un halo, difficile à apprécier, d'entreprises qui, en théorie, peuvent continuer leur activité normalement, y compris en télétravail, mais qui souffrent d'une activité atone en raison du pessimisme ambiant, l'arrêt de certains secteurs entrainant le recul d'autres secteurs par effet domino.

Ces moyennes recouvrent des situations extrêmement différentes. Certains secteurs sont profondément touchés, comme la restauration, tandis que d'autres s'en sortent bien, voire surperforment, comme les jeux vidéo ou l'alimentaire. De même si les grandes entreprises s'en sortent plutôt mieux, les indépendants ou les petites entreprises sont plus à la peine.

La crise est aussi plus forte qu'en 2008-2009. Le recul du PIB est trois fois plus élevé et la crise devrait durer plus longtemps. Certes, on peut anticiper un rebond fort l'an prochain, mais celui-ci sera insuffisant pour combler la chute d'activité enregistrée cette année, ce qui signifie que ce n'est qu'en 2022, voire, selon certains économistes, en 2023, que l'on retrouvera le niveau de 2019. Dans la courbe en J qui décrit l'évolution du PIB, le creux de 2020 est beaucoup plus marqué et la reprise qui suit beaucoup plus lente qu'en 2008-2009.

La France est aussi beaucoup plus durement touchée que l'Allemagne qui avait été plus affectée par la crise de 2008-2009. Les conjoncturistes estiment que, cette fois, le recul du PIB en France en 2020 sera deux fois plus élevé qu'en Allemagne, et que la France mettra plus de temps à revenir à son niveau antérieur.

Notre décrochage s'accroît donc. Comment l'expliquer ? Nos entreprises ont abordé la crise dans une situation financière un peu moins bonne que les entreprises allemandes - c'est vrai aussi pour les finances publiques, ce qui a un effet, ensuite, sur la capacité à lancer des mesures de soutien et injecter de l'argent dans l'économie. Tant en ce qui concerne leur rentabilité - le niveau d'excédent brut d'exploitation - que leur structure financière - le bilan, l'endettement, les fonds propres, etc. -, la situation des entreprises était un peu moins bonne qu'outre-Rhin. Or, pendant la crise, elles ont accumulé des engagements financiers ou des pertes d'activités qui se ressentent durement dans leurs bilans. Ce phénomène est encore un peu masqué, car les entreprises se sont beaucoup endettées cette année, avec notamment le prêt garanti par l'État (PGE). Les entreprises qui avaient encore une marge positive ont beaucoup épargné, exactement comme l'ont fait nos concitoyens : on parle beaucoup de l'épargne de précaution accumulée par les Français, à hauteur de 80 à 100 milliards d'euros, mais il faut savoir que les entreprises ont fait la même chose. Leur endettement et leur trésorerie ont donc augmenté, comme le montrent les bilans des banques ou les études de la Banque de France. Mais les dettes devront être remboursées ; cet équilibre semble donc assez fragile. De plus, l'État a aussi mis en place des mesures dans les tribunaux de commerce pour interrompre les dépôts de bilan. Il est à craindre que les défaillances d'entreprises augmentent fortement lorsque la morphine aura cessé d'être administrée. Les difficultés que j'ai évoquées apparaitront alors plus crûment.

Derrière ce panorama macroéconomique un peu abstrait, il faut penser aux situations humaines qui sont extrêmement difficiles : je pense en particulier aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux très petites entreprises (TPE) de certains secteurs qui sont à l'arrêt depuis le mois de mars. Les restaurants sont très touchés, mais ils ont quand même pu bénéficier d'une période entre les deux confinements où ils ont pu reprendre une activité partielle, même avec des protocoles sanitaires rigoureux qui ont affecté leur capacité à générer du chiffre d'affaires. C'est important pour entretenir le collectif de l'entreprise, maintenir la capacité à travailler ensemble. D'autres entreprises, comme dans l'événementiel, n'ont pas du tout pu reprendre depuis mars. Leurs salariés sont en chômage partiel, sans pouvoir interagir : on peut s'interroger sur le maintien du savoir-faire ou leur capacité à rebondir lorsque la croissance reviendra. Je pourrais aussi évoquer le cas des commerçants pour qui le fonds de commerce représente plus qu'un outil de travail, mais constitue aussi le fruit de leur épargne, la garantie de leur retraite avec la possibilité de le revendre. Ces problèmes sont encore assez masqués par les dispositifs d'aide mis en place par l'État, mais la situation sera difficile au cours des prochains mois.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion