Intervention de Christophe Beaux

Délégation aux entreprises — Réunion du 10 décembre 2020 à 9h00
Audition du mouvement des entreprises de france medef

Christophe Beaux, directeur général du Mouvement des entreprises de France :

Vous abordez un sujet majeur : l'équilibre entre la situation des finances publiques que l'on connaît tous - je rappelle que les entreprises sont des contribuables importants de l'État et des collectivités, et sont donc très soucieuses de la soutenabilité des finances publiques - et, d'autre part, une situation de fait qui a été créée par l'État, même si le Medef n'entend critiquer en aucune manière les mesures qui ont été prises. On a toutefois rarement vu dans l'histoire des décisions gouvernementales visant à arrêter ou ralentir des pans entiers de l'économie. C'est même sans doute inédit. Dans la mesure où l'État prend ces décisions, pour des raisons sanitaires tout à fait légitimes, il est normal qu'il assure la compensation de leurs conséquences.

Nous avons ainsi eu de longues discussions avec Bercy ou le ministère du Travail, qui ne sont d'ailleurs pas totalement terminées, pour déterminer les types d'entreprises qui devaient être éligibles à tel ou tel type d'aides, selon leur code NAF ou leur secteur d'activité : si le secteur est administrativement fermé, il est en général naturellement éligible ; mais lorsqu'il ne l'est pas stricto sensu, il faut apprécier dans quelle mesure il est affecté indirectement en raison de la nature de ses liens économiques avec ces secteurs fermés. Il s'agit d'utiliser au mieux l'argent public, en faveur de ceux qui sont le plus touchés, en évitant les effets d'aubaine. Ce n'est pas simple.

Les montants mobilisés sont-ils suffisants ? Certains verront le verre à moitié vide, d'autres le verre à moitié plein, mais globalement, on peut considérer que le chômage partiel, qui a été très massif, a permis d'éviter des plans sociaux ; de même, les exonérations ou les reports de charges ont été très efficaces. En ce qui concerne les prêts garantis par l'État (PGE), sur une enveloppe initiale de 300 milliards d'euros, 120 milliards ont finalement été demandés par les entreprises. Celles qui voulaient avoir accès à ce filet de sécurité de trésorerie ont, en général, pu le faire, même si certaines se sont vu opposer un refus des banques car leur situation était trop précaire. L'accès à la liquidité a donc été possible. Le jugement est un petit plus nuancé pour le fonds de solidarité qui relève de subventions pures : il est donc logique que les critères d'attribution aient été plus finement fixés par l'État, mais il est vrai que le calibrage a été difficile. Le mécanisme a d'ailleurs varié dans le temps : alors qu'il était plutôt conçu au départ pour les très petites entreprises et pour les indépendants, ses montants ont été accrus par les pouvoirs publics pour viser des entreprises un petit peu plus grosses ; les aides sont passées de 1 500 euros à 10 000 euros, puis à 20 % du chiffre d'affaires sur une certaine période ; le plafond de 100 000 euros a été relevé à 200 000 euros. On s'en félicite, mais il reste toujours des trous dans la raquette en raison des effets de seuils. Même si une entreprise n'a perdu que 45 % de son chiffre d'affaires et non 50 %, ce qui lui aurait permis d'être éligible aux aides, elle reste en mauvaise posture ! Pour d'autres entreprises, qui ont des coûts fixes importants, en dépit du chômage partiel ou d'abandons de créances de la part de leurs bailleurs grâce au crédit d'impôt, le plafond est insuffisant. Pour une entreprise de taille intermédiaire (ETI) réalisant un chiffre d'affaires de 15 ou 20 millions, le reste à charge peut ainsi être élevé. Il faut faire une cartographie très précise pour identifier les manques.

Nous nous efforçons, avec les pouvoirs publics, d'évaluer les effets des différentes mesures pour les améliorer. Je note que le degré d'écoute de la part du Gouvernement a été important. Chaque fois que cela a été possible, les curseurs ont été déplacés dans le bon sens. La question des congés payés acquis par les salariés en période de chômage partiel est un bon exemple de co-construction entre les partenaires sociaux et l'État. Nous sommes un des seuls pays au monde à avoir conclu un accord, en 2012, où il est possible d'acquérir des droits aux congés payés dans cette situation. Il est vrai qu'à l'époque le chômage partiel était rare. Aujourd'hui, la question se pose de manière différente. Beaucoup de salariés ont accumulé des droits importants, qui pèsent sur l'avenir : dans la restauration, par exemple, si le restaurant rouvre et que les salariés posent leurs congés, cela posera un problème ! Au-delà du risque opérationnel pour les entreprises, ces droits à congé accumulés ont aussi un coût, car il faudra bien les financer. Mme Borne a proposé un mécanisme de prise en charge partielle par l'État, plafonné, calibré, pour aider les entreprises les plus affectées. Initialement, elle voulait réserver ce mécanisme aux restaurants, puis, grâce à la discussion, il a été décidé que le mécanisme concernerait toutes les entreprises qui ont subi une chute de leur chiffre d'affaires d'au moins 90 % pendant la période considérée : on peut ainsi viser des clubs de sport, des hôtels, etc. Cet exemple est représentatif de la méthode qui a été utilisée ces derniers mois pour ajuster les dispositifs.

Enfin, je voudrais aborder la question des contreparties. Sans surprise pour vous, nous avons été assez étonnés par ce débat. Premièrement, c'est plutôt l'État qui apporte, sous forme financière, une contrepartie à ses propres décisions sanitaires ayant eu des effets sur le chiffre d'affaires des entreprises. Deuxièmement, la plupart des mesures mises en place par l'État, aussi bien les mesures actuelles de soutien que celles du futur plan de relance, contiennent déjà des contreparties. Je prends quelques exemples : si l'État aide avec le chômage partiel, c'est parce que l'entreprise a été contrainte de mettre des employés au chômage ; si l'État aide pour le recrutement d'apprentis ou le premier emploi, c'est parce que l'entreprise a recruté ; si le l'État finance ou subventionne des investissements de transformation, notamment en faveur de la transition écologique, c'est parce que l'entreprise a d'abord consenti à faire un investissement.

Concernant la baisse des impôts de production prévue dans le projet de loi de finances pour 2021, effectivement, la contrepartie n'est pas évidente, puisque la réduction s'opère indépendamment des décisions de l'entreprise. Mais cela ne vaut que pour 10 milliards d'euros du plan de relance ; pour les 90 milliards d'euros restants, on trouve, en face des soutiens publics, des actions effectives des entreprises pour embaucher, éviter les licenciements ou investir dans la transition écologique.

Un amendement, qui fixe un certain nombre de contreparties, a été voté en première lecture à l'Assemblée nationale ; je ne sais pas ce que le Sénat décidera, mais le Medef en est plutôt satisfait et ne souhaite pas que le débat reparte car les entreprises ne comprendraient pas. On leur demande de fermer ; ensuite, on les aide parce qu'elles ont été fermées ; et enfin, on leur demanderait des contreparties parce qu'on les a aidées ; il y a, dans cet enchaînement, une espèce de logique infernale.

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