Intervention de Fabien Gay

Délégation aux entreprises — Réunion du 10 décembre 2020 à 9h00
Audition du mouvement des entreprises de france medef

Photo de Fabien GayFabien Gay :

J'ai une vision un peu différente de la vôtre sur les congés payés. Les salariés, pas plus que les directions d'entreprises, ne sont responsables de cette crise. Le chômage partiel est un droit activé par des cotisations sociales ; or, sans salaire, les cotisations ne rentrent plus. Je comprends l'activation du chômage partiel, mais il faut commencer à réfléchir à un autre système pour 2021 car, par exemple, le secteur de l'événementiel ne repartira pas l'année prochaine. Le Medef réfléchit-il à des propositions ?

Ma deuxième question concerne la conditionnalité des aides. Tout le monde a compris que la majorité des artisans et des commerçants ayant sollicité un PGE ne le remboursera jamais ; nous devrions, très vite, avoir un débat pour transformer cela en capitaux propres. En revanche, les très grands groupes, qui ont continué à verser des dividendes aux actionnaires en 2020 et annoncent des licenciements, ont, dans le même temps, bénéficié de prêts garantis par l'État, du chômage partiel, de plans sectoriels, de prêts de la Banque centrale ; c'est cela qui devient insupportable. Nous aidons les grands groupes, ils doivent sauvegarder l'emploi.

Enfin, si on veut relancer l'économie, outre le choc de l'offre, il faudra également un choc de la demande. Si les Français ne peuvent pas consommer, il n'y aura pas de relance. Êtes-vous prêt à continuer le débat sur l'augmentation du SMIC et des salaires ? À quelle hauteur, par exemple, verriez-vous le SMIC ?

Christophe Beaux. - Je ne suis pas un élu, je ne suis que le directeur général du Medef ; sur certains sujets plus politiques, vous me permettrez d'utiliser mon « joker ».

Monsieur Segouin, les échanges avec les pouvoirs publics sont permanents. Sommes-nous toujours entendus ? Non, mais nous ne contestons pas le pouvoir d'arbitrage du Gouvernement. Il ne faut pas opposer les préoccupations sanitaires, parfaitement légitimes, et les préoccupations économiques ; l'économie doit pouvoir fonctionner tout en assurant la sécurité des personnes, en particulier celle des salariés. Régulièrement, nous invitons le Gouvernement à une approche combinée et très fine dans les protocoles sanitaires. Plus de soixante protocoles ont été élaborés par le ministère du Travail pendant la période du premier confinement et pour la reprise d'activité au mois de mai. Certes, nous avons eu ce débat sur les commerces, avec cette expression malheureuse des « commerces non essentiels » ; tout cela est apparu brouillon et un peu ubuesque. Nous n'avons cessé de demander des voies de passage pour favoriser l'activité, sans sacrifier la question sanitaire. Nous pensons que, dans certains secteurs, des entreprises encore fermées aujourd'hui pourraient être rouvertes si l'on définissait plus finement encore les conditions de l'activité.

Par ailleurs, en tant que contribuables importants, les entreprises sont évidemment soucieuses de la soutenabilité des finances publiques. Toutefois, affectées par le recul de leur activité, il faut bien qu'elles puissent être aidées, de manière à éviter le cercle vicieux de la chute d'activité, les dépôts de bilan, le chômage... Là encore, il s'agit de trouver un chemin de crête réaliste. On ne peut pas aider tout le monde et permettre à toutes les activités de survivre à la crise ; l'économie, depuis toujours, c'est un mouvement schumpétérien de destruction et de création. En même temps, face à une situation de danger imminent pour un grand nombre d'entreprises, nous pensons qu'il est nécessaire d'utiliser l'argent public, même sous forme de dette collective, dans l'idée de préserver l'outil de travail et de pouvoir ensuite repartir, afin d'éviter une crise telle que nous en avons connu dans les années Trente.

La meilleure façon d'assumer ce rocher de Sisyphe de la dette, c'est de générer de l'activité. L'objectif n'est pas nécessairement de rembourser cette dette, mais de s'assurer que le ratio dette/produit intérieur brut (PIB) soit soutenable et que, en cas de hausse des taux d'intérêt, l'on puisse bien les payer.

Madame Berthet, concernant les assurances, le sujet est très compliqué. Dans certains secteurs, l'attente était forte. La plupart des contrats d'assurance ne prévoient pas la couverture de pertes d'exploitation en cas de pandémie ; dans certains cas, les rédactions étaient un peu floues, ce qui a entraîné des clarifications entre l'assureur et l'assuré. D'un point de vue commercial, la situation est assez insatisfaisante entre, d'une part, des attentes légitimes de la part de clients estimant avoir payé des primes au fil des années pour bénéficier d'une couverture et, d'autre part, des assureurs qui, n'ayant pas encaissé de primes pour un risque non identifié dans le contrat, n'ont pu mettre de côté les réserves nécessaires. La communication entre les deux parties, toutefois, aurait pu être plus fluide ; le Medef a tenté de jouer un rôle de conciliation.

Ensuite, les pouvoirs publics se sont intéressés à l'idée de mettre en place, pour l'avenir, un régime inspiré des catastrophes naturelles exceptionnelles (Catex). Nous avons travaillé à cette hypothèse ; les schémas n'étaient pas satisfaisants d'un point de vue technique, avec des primes renchéries pour les assurés afin de constituer des réserves. Cela n'aurait rien apporté à la prise en charge de la crise sanitaire actuelle et, en outre, pour que le dispositif fonctionne techniquement, la surprime doit être obligatoire ; or, si elle était obligatoire, les entreprises voulant s'assurer l'auraient perçue comme une taxe. Aussi, en accord avec le ministre des Finances, il a été décidé de suspendre cette idée. Pour autant, le sujet n'est pas évacué ; il faudra y réfléchir à nouveau à la sortie de la crise, lorsque la santé financière des entreprises sera meilleure.

Le refus des PGE nous a préoccupés dès le mois de mars. Nous avons eu le souci que toutes les entreprises qui le souhaitent puissent venir à ce guichet. La crainte des banques était de financer à fonds perdus des entreprises à la structure financière déjà peu solide avant la crise, qui auraient ainsi profité d'un effet d'aubaine, avec un apport de trésorerie équivalant à un cautère sur une jambe de bois. Nous avons trouvé deux solutions à cela : les banques ont, malgré tout, instruit chacun des dossiers comme une demande de crédit ; et puis, le fonds de solidarité a été mis en place pour suppléer les banques quand les entreprises étaient trop fragiles pour obtenir un PGE. En cas de refus de PGE, des filets de sécurité existent et l'on peut s'adresser à de nombreux interlocuteurs, comme les médiateurs du crédit ou les comités départementaux d'examen des difficultés des entreprises (Codefi).

Fallait-il des exonérations de charges plus larges, madame Berthet ? Il y a deux éléments : les reports de charges, correspondant à un décalage de trésorerie, et des exonérations de charges, dans certains secteurs où la perte d'activité a été forte. Le Medef ne peut indéfiniment demander des baisses de charges, sachant que celles-ci financent la protection sociale. L'endettement et le déficit de tous les régimes sociaux se sont fortement accrus pendant la crise ; nous atteignons des niveaux inquiétants, avec, début 2021, une dette cumulée dépassant les 200 milliards d'euros.

Nous souhaitons des exonérations ciblées sur les secteurs ou les entreprises en difficulté. Le pire pour nous, ce serait un excès de générosité dans les exonérations de charges se traduisant, in fine, par une augmentation des cotisations. Si l'on détériorerait le coût du travail, c'est-à-dire la compétitivité des entreprises, ce serait dommageable pour tout le monde.

Faut-il une année blanche pour l'hôtellerie ou la restauration ? Je ne sais pas, mais ce secteur, plus affecté que d'autres, mérite des exonérations massives et spécifiques.

Le télétravail est un vaste sujet. Vous l'avez dit, le rapport au travail s'est modifié, et pas forcément dans le sens que l'on croit. Le télétravail a permis de découvrir des capacités nouvelles, à la fois du côté des entreprises et des salariés. Des deux côtés également, il y a eu la découverte de contraintes spécifiques : la dissolution du lien social dans le collectif de l'entreprise ; les difficultés de communication ; des conditions de travail pas forcément idéales. Dans les grands groupes, on a aussi pu observer des décrochages de certains salariés qui, sortant du champ de vision de leurs collègues, ont vu l'utilité de leur métier remise en cause.

Et puis, les organisations syndicales ont également découvert les dangers d'un télétravail trop généralisé, à la fois pour leurs propres activités syndicales et en raison de la délocalisation du travail ; si l'on démontre que l'on peut travailler à distance, depuis chez soi, à Bécon-les-Bruyères ou Aubervilliers, il est à craindre qu'on le puisse aussi depuis Bangalore ou Rabat. Il faut être très prudent. Dans certains secteurs, cette capacité que nous avons collectivement découverte de travailler à distance pourrait se traduire, dans les années à venir, par des délocalisations hors de France.

L'autre élément important, c'est le bel accord, en cours de signature, négocié avec les organisations syndicales. Sur le plan de la méthode, il montre la vigueur du paritarisme et du dialogue social dans notre pays ; il s'agit du premier accord national interprofessionnel de cette ampleur après les ordonnances de 2017. Au niveau du contenu, cet accord est non prescriptif, non normatif, dans l'esprit des ordonnances de 2017, mais il offre un cadre de référence extrêmement utile, à partir duquel les branches ou les entreprises peuvent négocier des accords de télétravail concrets ou des chartes, si les entreprises choisissent cette voie.

Monsieur Gay, concernant les congés payés, l'accord de 2012 permettant cette possibilité est assez unique en Europe. Les effets, du fait du chômage partiel, sont massifs. Cela a posé un problème opérationnel et financier aux entreprises au moment de leur réouverture. La solution du ministère du Travail, telle qu'elle a été négociée, apparaît satisfaisante, et les fédérations les plus concernées - l'hôtellerie et la restauration notamment - ont communiqué favorablement sur cette prise en charge. Les organisations syndicales peuvent aussi s'en satisfaire, puisque les droits des salariés seront bien préservés.

Sur les secteurs en difficulté comme celui de l'événementiel, nous avons pris les devants en organisant des forums thématiques par secteur. Nous avons convié nos collègues de la culture et de l'événementiel, du sport, de l'hôtellerie-restauration pour réfléchir ensemble à des mesures très concrètes que l'on pourrait proposer au Gouvernement. Ces propositions ne sont pas encore formalisées, mais cela ne saurait tarder.

Ensuite, monsieur Gay, vous m'invitez à m'exprimer sur le sujet de la conditionnalité des aides accordées aux grands groupes, avec notamment la question des dividendes ou des plans sociaux. Il s'agit d'un sujet très politique, ne nous le cachons pas...

Vous en faites beaucoup de la politique, et c'est bien normal, un syndicat est là pour défendre ses représentants ! Mais il s'occupe aussi de la vie de la cité. Lorsque vous parlez des impôts, des taxes, vous faites de la politique...

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