Tous les éléments sont en place pour une commission mixte paritaire conclusive.
Le Sénat a travaillé sereinement sur ce texte, et l'Assemblée nationale a eu le bon goût de retenir les rédactions du Sénat, à une exception près, sur laquelle j'interrogerai mon homologue rapporteure de l'Assemblée nationale.
Le premier volet de ce texte, bien rédigé, porte sur le Parquet européen. En première lecture, nous avons adopté des compléments, retenus par l'Assemblée nationale, qui a également apporté ses propres précisions. Ce projet de loi, très habile, a la capacité de rassembler deux camps politiques habituellement bien éloignés : les souverainistes seront heureux de constater que toutes les mesures privatives de liberté et les décisions au fond seront toujours prises par les juridictions françaises, tandis que les amoureux de la construction européenne verront naître le Parquet européen à partir du 1er janvier 2021 dans des conditions satisfaisantes.
Le second volet concerne la justice spécialisée. Je ne reviendrai pas sur les mesures d'harmonisation prises à la suite du rapport de M. François Molins sur la lutte contre la criminalité organisée. L'essentiel de ce volet portait, en effet, sur l'environnement. Le Sénat a donné son accord à la spécialisation de juridictions - plutôt qu'à la création d'une nouvelle juridiction - sur le contentieux environnemental en matière pénale. L'Assemblée nationale l'a élargie, pertinemment, aux contentieux en matière civile.
Tant le Sénat que l'Assemblée nationale ont validé la possibilité de conclure des conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP) - qui ont donné lieu à des applications médiatisées dans le champ fiscal - en matière environnementale.
Sans que ce point soit bloquant, nous nous interrogeons sur l'article 8 bis C qui, à la suite d'un amendement gouvernemental adopté par l'Assemblée nationale, donne aux inspecteurs de l'Office français de la biodiversité (OFB) des compétences de police judiciaire. Cela ne m'enthousiasme pas pour des questions de principe : cette dissémination des officiers de police judiciaire n'est pas une grande avancée démocratique. Quelle sera l'articulation entre la fonction de direction de l'enquête dévolue aux parquets et ces inspecteurs issus d'agences de l'État moins indépendantes ? Je crains que cette dissémination engendre certaines difficultés. Mais ce sujet technique ne doit pas entraîner de longs débats entre nous, tout comme le suivant.
Selon le texte adopté par l'Assemblée nationale, le parquet national antiterroriste (PNAT) ne pourra plus être saisi sur les sujets d'espionnage. Auparavant, cela relevait d'une section spécialisée du parquet de Paris. Le PNAT a changé d'avis entre les lectures dans chaque chambre, estimant qu'il avait suffisamment de responsabilités avec la seule lutte antiterroriste.
Le projet de loi tire les conséquences d'une série de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), et en anticipe certaines, par exemple pour renforcer les garanties des personnes sous tutelle ou curatelle. Une autre disposition ravira les amoureux de l'histoire du droit puisqu'il s'agit de la procédure de « réhabilitation » des condamnés à mort, qui ne concernera que fort peu de cas...
Seule modification importante, à l'article 11, l'Assemblée nationale a supprimé la peine complémentaire d'interdiction de paraître dans les réseaux de transports publics. Plusieurs groupes politiques du Sénat avaient voté contre cette mesure, mais c'était une demande de la Chancellerie, qui relayait les préoccupations de la région Île-de-France. Son objectif était d'intercepter plus facilement les personnes qui commettent régulièrement des infractions dans les transports publics, au lieu de jouer au chat et à la souris pour les arrêter en situation de flagrant délit. Certes, il convient d'être vigilant avant de décider la création d'une nouvelle peine complémentaire, mais je ne suis pas certain que la peine de droit commun d'interdiction de paraître dans certains lieux puisse aisément s'appliquer à des réseaux de transport. Je serai donc attentif aux explications que voudra bien nous donner la rapporteure de l'Assemblée nationale et j'invite les membres de la commission mixte paritaire qui regretteraient la suppression de l'article 11 à le faire savoir.
Je terminerai par une boutade : il peut arriver que l'Assemblée nationale réalise quelque chose dont le Sénat rêvait, mais qu'il n'osait pas formuler... Depuis plusieurs années, les représentants des notaires se plaignent du rôle reconnu à l'Autorité de la concurrence dans l'organisation de leur profession. Le texte dont nous étions saisis par la Chancellerie visait à faire évoluer les règles issues de la loi Macron de 2015. Celle-ci a renforcé le contrôle de la profession notariale par plusieurs dispositions. Elle a notamment imposé de nouvelles règles de fixation des tarifs par les ministres de la justice et de l'économie - l'influence de Bercy étant souvent prépondérante - et prévu la création d'un fonds interprofessionnel de redistribution, sur l'organisation duquel l'Autorité de la concurrence était appelée à se prononcer. Ce fonds n'a jamais vu le jour. J'avais recherché, lors de l'examen au Sénat, une solution qui me paraissait acceptable par l'Assemblée nationale. Nous avions ainsi supprimé la référence au fonds, autorisé les ordres à percevoir auprès de leurs membres une contribution destinée à financer des aides, le garde des Sceaux étant seul chargé d'en fixer l'assiette et le taux. Nous craignions qu'il soit excessif de demander à l'Assemblée nationale de revenir sur la loi Macron en supprimant toute référence à l'Autorité de la concurrence, mais elle l'a fait !
Sous réserve de la réponse sur l'article 11, tout est donc réuni pour une commission mixte paritaire conclusive...