La crise sanitaire a plongé l'audiovisuel public dans une situation tout à fait inattendue.
L'année 2020 devait être celle de la « grande » loi audiovisuelle que nous attendons depuis au moins 2012. Une nouvelle gouvernance devait être établie afin de permettre un véritable pilotage stratégique de l'audiovisuel public. Cette nouvelle gouvernance devait s'accompagner d'une réforme de la contribution à l'audiovisuel public (CAP), dont Franck Riester nous avait assuré, il y a deux ans, qu'elle interviendrait dans le projet de loi de finances (PLF) 2021 « au plus tard ».
Tout cet édifice a été mis à bas à l'occasion de la crise sanitaire. Le projet de loi Audiovisuel a été remisé, tandis que la réforme de la CAP a été peu ou prou renvoyée à 2023 puisque, selon la ministre de la culture, « il n'y a pas d'urgence ». La contribution à l'audiovisuel public, qui est aujourd'hui devenue une taxe injuste à laquelle échappent de nombreux concitoyens qui ne sont pas les moins friands de programmes de l'audiovisuel public, sera donc reconduite en 2021, avec un tarif inchangé de 138 euros en métropole et de 88 euros dans les territoires ultramarins.
L'abandon de la réforme de l'audiovisuel public dans ces deux dimensions indissociables, l'une financière pour garantir son indépendance à long terme, l'autre organisationnelle, afin d'assurer son autonomie stratégique, constitue pour nous une déception puisque nous militons depuis 2015 pour cette rénovation indispensable. Ce renoncement constitue, non pas une conséquence de la crise sanitaire, mais un choix du Gouvernement. Non seulement ces deux réformes auraient pu être engagées plus tôt dans le quinquennat, mais il restait encore suffisamment de temps pour les mettre en oeuvre d'ici à 2022.
L'ambition de la majorité au cours de ce quinquennat aura donc été, je le crains, limitée à une trajectoire financière déclinante, visant à réduire de 190 millions d'euros les moyens de l'audiovisuel public sur la période 2018-2022. En 2021, la diminution de la ressource représentera 70 millions d'euros - soit une baisse de 1,85 % des crédits -, le total des crédits de la mission s'établissant à 3,72 milliards d'euros, dont 3,23 milliards d'euros au titre de la CAP et 488 millions d'euros au titre de la prise en charge par l'État des dégrèvements.
Cette priorité donnée à la réduction des moyens budgétaires connaît aujourd'hui deux aménagements importants qu'il convient de souligner.
Le premier aménagement concerne une enveloppe de 70 millions d'euros prévue par le plan de relance au bénéfice des entreprises de l'audiovisuel public. Le montant de cette dotation budgétaire exceptionnelle a été arrêté en juillet dernier, afin de compenser une partie des charges induites par le confinement du printemps. Ce montant ne tient donc pas compte du reconfinement de cet automne. À noter que ces 70 millions d'euros ne compensent aucunement la baisse de la trajectoire financière pourtant d'un montant équivalent. Ils viennent réduire le poids des charges supplémentaires créées par la crise sanitaire au travers de la baisse des recettes publicitaires, des hausses de coûts de production, des baisses de recettes issues de la billetterie... C'est la raison pour laquelle, France Télévisions et Radio France, qui bénéficient davantage de ressources propres, sont les principaux bénéficiaires de cette enveloppe.
Le second aménagement à cette approche comptable concerne la mise en chantier de cinq mini-contrats d'objectifs et de moyens (mini-COM), pour la période 2020-2022 comprenant chacun cinq objectifs communs et cinq objectifs propres. Si nous ne pouvons que saluer cette volonté de mieux coordonner les priorités des entreprises de l'audiovisuel public, je rappelle cependant que les résultats à en attendre ne sauraient être comparés à la création d'une véritable gouvernance commune, qui, seule, permettrait de piloter, au jour le jour, des projets communs et des mutualisations. Par ailleurs, nous ne pouvons que nous étonner que les syndicats n'aient pas été associés à ces travaux.
J'en viens maintenant à la situation des différents opérateurs. À l'issue des échanges que j'ai pu avoir avec l'ensemble des responsables, je crois pouvoir dire que leur situation est globalement satisfaisante compte tenu du choc que représente la crise sanitaire. Le fonctionnement des entreprises n'a pas été entravé durablement grâce aux plans de continuation. La mission de service public de ces médias a été, au contraire, accomplie et je souhaite féliciter les personnels et les dirigeants de ces entreprises pour leur engagement. Cela étant dit, le corps social de ces sociétés est aujourd'hui fatigué et les transformations en cours vont se poursuivre, ce qui crée un climat social particulier dans lequel ne domine ni la confiance ni la sérénité. Il ne faudrait pas, dans ces conditions, que l'arrêt des réformes soit perçu comme un désintérêt de l'actionnaire et crée en retour un sentiment de colère qui nuirait au devenir même de ces entreprises.
France Télévisions est probablement l'entreprise du secteur de l'audiovisuel public la plus fragilisée par la situation actuelle. La trajectoire budgétaire a prévu de réduire ses moyens de 160 millions d'euros sur la période 2018-2022, ce qui représente un effort de 400 millions d'euros si nous tenons compte des investissements dans le numérique, évalués à 100 millions d'euros, de l'augmentation des salaires et des indexations contractuelles. Dans ce contexte, la présidente de France Télévisions n'a pas caché que l'année 2021 serait très compliquée. Si l'entreprise devait terminer l'année 2020 avec un déficit à hauteur de 22,2 millions d'euros, sous réserve que le reconfinement n'alourdisse pas davantage la facture, elle reviendrait de loin puisque les prévisions au printemps étaient beaucoup plus pessimistes. Le rétablissement des recettes publicitaires lors du déconfinement du printemps et les économies réalisées ont permis de limiter les pertes. France Télévisions a également bénéficié, en 2020, de reports de charges du fait du retard dans le lancement de Salto et du report des jeux Olympiques (JO) de Tokyo qui ont permis de réduire les coûts.
A contrario le coût des JO de Tokyo pèsera sur les comptes de 2021, alors que l'entreprise devra également commencer à amortir le coût des JO de Paris 2024 et assumer le coût du maintien de France 4 jusqu'en août 2021, soit 20 millions d'euros. La direction de l'entreprise considère que les 45 millions d'euros du plan de relance ne permettront pas de compenser intégralement les charges nouvelles et les moindres recettes occasionnées par la crise sanitaire, qu'elle chiffre à 65 millions d'euros.
Dans le même temps, France Télévisions devra absorber une baisse de 60 millions d'euros de sa dotation publique, soit 2,421 milliards d'euros, au titre de la trajectoire financière 2018-2022. Or, l'arrêt de France Ô ne devrait permettre, en 2021, d'économiser que 4 à 5 millions d'euros. Et l'arrêt programmé de France 4 ne produira des économies qu'en 2022. Le groupe de télévision publique mise donc sur le succès de son plan de départs pour faire baisser la masse salariale de manière significative d'ici à 2023. L'effort de transformation est cependant contrarié par la crise sanitaire qui complique la mise en oeuvre des formations. Un impact sur les programmes est également inévitable, à travers un recours accru aux rediffusions et une baisse des émissions de flux.
Radio France a été également impacté par la crise sanitaire au travers de ses recettes publicitaires, mais également par l'arrêt de ses spectacles et concerts. Alors que l'inquiétude de France Télévisions porte sur 2021, celle de Radio France se concentre sur 2022. L'aide du plan de relance, qui représentera 15 millions d'euros en 2021 et 5 millions d'euros l'année suivante, peut expliquer cette relative confiance pour l'année à venir. La dotation de Radio France connaîtra l'année prochaine une baisse limitée de 1,36 %, à 579,3 millions d'euros hors taxe (HT), dont 10 millions d'euros de subvention d'investissement. La situation apparaît donc maîtrisée pour 2021.
L'avenir est plus incertain du fait du nouveau retard de six mois du chantier de la Maison de la Radio, occasionné par la crise sanitaire qui entraînera des coûts en termes de loyers pour les bâtiments accueillant actuellement des salariés déplacés. La mise en oeuvre du plan de départs volontaires, qui doit concerner 340 salariés, pourrait également connaître des difficultés, puisque la crise sanitaire complique les procédures d'accompagnement, ainsi que l'organisation des formations nécessaires pour réorganiser les équipes et accueillir les nouvelles recrues.
La chaîne ARTE a été moins impactée par la crise sanitaire du fait du poids limité des ressources propres dans son modèle économique. Sa dotation s'élèvera à 273,3 millions d'euros HT, en baisse de 2 millions d'euros. Cette diminution des moyens ne sera pas sans conséquence sur l'investissement dans les programmes, à un moment où la chaîne franco-allemande souhaite poursuivre son développement européen et le déploiement de sa plateforme numérique.
L'Institut national de l'audiovisuel (INA), du fait de son importante activité commerciale, devrait connaître un résultat négatif en 2020 qui était estimé, malgré les économies engagées, à un peu moins de 5 millions d'euros avant le reconfinement. L'objectif est de revenir à l'équilibre dès 2021, à travers un nouvel effort sur les charges qui portera en particulier sur les départs à la retraite. L'établissement public devrait pouvoir reconstituer sa trésorerie grâce à la dotation de 2 millions d'euros prévue par le plan de relance. La dotation publique devrait, pour sa part, atteindre 87,9 millions d'euros HT.
L'actualité de l'INA reste marquée par le lancement réussi de sa nouvelle offre SVoD, Madelen, au printemps, qui a déjà conquis 60 000 abonnés.
Je terminerai en évoquant notre audiovisuel extérieur et ses deux pôles, France Médias Monde et TV5 Monde. Si ces deux entreprises ont été peu impactées par la crise sanitaire, elles subissent par contre de plein fouet la crise que connaissent les relations entre la France et le monde arabe. Les insultes et les menaces sont devenues récurrentes sur les pages des réseaux sociaux de ces sociétés, et des craintes existent pour la sécurité des personnels sur le terrain. Nous ne pouvons que souhaiter qu'un apaisement soit trouvé pour que nos médias puissent accomplir sereinement leur mission.
Sur le plan des moyens, France Médias Monde recevra en 2021 une dotation de 254,7 millions d'euros HT, en baisse de 500 000 euros par rapport à 2020. L'enjeu pour l'entreprise est de réaliser des économies suffisantes pour compenser la perte occasionnée en 2019 par le financement du plan de départs. Ces efforts devraient à nouveau porter sur la diffusion, mais également sur des coopérations, notamment à travers la contribution de l'Agence française du développement (AFD), en faveur du développement des langues africaines.
Je terminerai par TV5 Monde. Si sa dotation reste stable en 2021, à 76,15 millions d'euros HT, les baisses décidées en 2018 et 2019 continuent à produire leurs effets. Des arbitrages sont intervenus afin de financer la priorité donnée au numérique et au développement en Afrique. Permettez-moi de saluer le lancement de la plateforme TV5 Monde Plus, première plateforme AVoD francophone et gratuite, ainsi que le succès de la chaîne jeunesse Tivi5 Monde en Afrique, qui confirme le succès déjà rencontré en Amérique du Nord.
Concernant notre audiovisuel extérieur, je déplore que les nouveaux projets soient aujourd'hui financés par un rétrécissement de nos moyens de diffusion et, in fine, par le choix de moindres audiences, en particulier en Europe et en Amérique du Nord. Je regrette également que l'État ne se donne pas les moyens de ses ambitions : c'est le Canada qui a financé pour l'essentiel la plateforme AVoD de TV5 Monde.
En conclusion, nous avons aujourd'hui un désaccord majeur avec le Gouvernement qui renonce à réformer le secteur des médias, et par là même à préparer l'avenir. Mais - et c'est le musicien qui parle - nous avons aussi un accord avec lui, qui n'est pas complètement mineur, sur la nécessité de poursuivre les efforts de gestion tout en tenant compte de la situation exceptionnelle créée par la crise sanitaire. Je ne peux que saluer l'effort prévu par le plan de relance.
Au terme de cet examen, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ».