Intervention de Jean-Michel Blanquer

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 17 novembre 2020 à 17:5
Projet de loi de finances pour 2021 — Audition de M. Jean-Michel Blanquer ministre de l'éducation nationale de la jeunesse et des sports et de Mme Sarah El haïry secrétaire d'état chargée de la jeunesse et de l'engagement

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports :

Merci monsieur le président. Mesdames et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis très heureux de vous présenter ce projet de budget, qui est le premier budget de l'État. Il concerne un sujet prioritaire pour toute nation, celui de l'avenir de ses enfants.

Ce budget intervient dans un contexte très particulier. Les défis qu'affronte la France sont multiformes et concernent aussi l'éducation. Chacun voit les conséquences du défi sanitaire. Notre grande priorité est de nous assurer que les élèves puissent continuer à exercer leur droit à l'éducation. Ce budget s'inscrit aussi dans un contexte de crise sécuritaire. Le terrorisme a touché de plein fouet l'école. Je tiens d'ailleurs à redire notre immense émotion devant l'assassinat de Samuel Paty, qui nous renvoie aux grands enjeux de notre pays en termes d'éducation civique, de formation des enfants et de défense de nos valeurs, notamment la liberté d'expression. Tout est lié.

Nous voulons une école de qualité, dans laquelle nous investissons. C'est pourquoi le budget qui vous est présenté est en très nette augmentation. Celle-ci n'est pas une fin en soi, mais est destinée à porter de grands objectifs. Ils prennent un sens particulier avec les transformations que le ministère a connues cette année, au travers à la fois de sa consolidation et de son élargissement. Nous sommes désormais un ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Roxana Maracineanu m'a donc rejoint en tant que ministre déléguée - vous l'avez auditionnée le 27 octobre dernier. Nous avons deux secrétaires d'État : Sarah El Haïry qui s'exprimera sur les politiques de jeunesse et Nathalie Élimas, qui est chargée de l'éducation prioritaire. Il s'agit là d'un signal envoyé sur les enjeux sociaux de ce ministère.

Plus fort, plus grand : ce ministère se déploie, avec une politique éducative avant tout qualitative. Beaucoup a pu être fait depuis trois ans et demi, en lien avec les parlementaires et grâce aux parlementaires. Je voudrais d'ailleurs vous en remercier. Je pense à des mesures telles que l'instruction à 3 ans, l'obligation de formation entre 16 et 18 ans - autant d'outils qui revêtent un sens important dans la période actuelle, et qu'il était nécessaire d'inscrire dans notre réalité. Nous sommes passés d'un système de scolarité obligatoire de 6 à 16 ans à un système dans lequel l'instruction est obligatoire de 3 à 18 ans.

Je voudrais insister sur une nouvelle qui a marqué cette rentrée, et qui est le produit de nos évaluations de début d'année. Ces évaluations sont extrêmement utiles. Elles sont assez uniques au monde, car elles permettent de dessiner le portrait de toute une génération en début de CP, de CE1 et de 6ème. Elles nous ont permis de mesurer les effets du confinement sur la scolarité. J'invite chacun à regarder les documents approfondis de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP). En quelques mots, je dirais que ces évaluations comportent une demi-mauvaise nouvelle, une bonne nouvelle et une très bonne nouvelle. La demi-mauvaise nouvelle tient au fait que les grandes sections de maternelle et de CP ont pâti du confinement l'an dernier. C'est malheureusement un effet attendu du confinement. Bonne nouvelle dans la mauvaise nouvelle : nous avons pu limiter la portée négative de cet effet. Nous avions constaté un progrès de 2018 à 2019 des élèves de grande section de maternelle et de CP. Ce progrès a été annihilé par la régression de 2019 à 2020 ; nous repartons donc en cette rentrée 2020 comme si nous étions à la rentrée 2018. Toutefois, sachant pourquoi nous avons observé ce reflux, je reste optimiste au regard de notre capacité à retrouver le chemin du progrès.

La bonne nouvelle, c'est que les élèves de CM2 ne semblent pas avoir pâti du confinement, et ce, grâce à toutes les mesures prises : l'enseignement à distance, les vacances apprenantes, l'opération « Je rentre en sixième », le travail des professeurs. Nous avons observé des progrès, notamment en fluidité de lecture à l'entrée en 6ème. Si je peux m'exprimer ainsi, je dirais que le film est bon, mais que la photo reste à perfectionner. Nous sommes sur une bonne trajectoire. Nous sommes très déterminés à ce que la trajectoire de progrès s'accentue pour que le niveau en lecture et en mathématiques s'améliore ces prochaines années.

Dernière nouvelle pour éclairer les choix budgétaires : nous avons amélioré, dans la continuité des années précédentes, la lutte contre le décrochage. C'est une bonne nouvelle pour la France - probablement assez rare dans le monde : il n'y a pas eu plus de décrochage en 2020 qu'en 2019. Nous avons même constaté une amélioration en la matière. Je vous renvoie à la lecture des documents qui permettent d'étayer ce constat. Il me paraissait important d'établir le portrait des conséquences du confinement. Notre grand objectif est d'éviter à tout prix que les élèves n'aillent pas à l'école au cours de cette année 2020-2021.

Notre budget permet à la fois de mener une action déterminée pour supprimer les angles morts de la scolarisation - notamment à travers le renforcement de nos mesures pour encadrer l'instruction en famille ou l'enseignement privé hors contrat, ainsi que les mesures contre le décrochage scolaire - et de veiller à une meilleure prise en compte des différents temps de l'enfant. C'est aussi le sens de ce ministère élargi, qu'il s'agisse des opérations « devoirs faits » au collège ou du « Plan mercredi » qui relèvent des politiques de jeunesse.

Je centrerai ma présentation de ce jour sur l'enseignement scolaire, même si nous devons garder à l'esprit les trois budgets du ministère. S'agissant de l'enseignement scolaire, il faut rappeler l'importance des mesures au titre du plan de relance. Le bâti scolaire, le « plan jeunes » et les investissements numériques pour assurer la continuité pédagogique viennent enrichir les moyens dont disposent l'éducation nationale et les collectivités locales au titre de leur activité éducative. Le programme « investissements d'avenir », avec les campus des métiers et des qualifications et l'enseignement numérique, s'ajoute à nos moyens de fonctionnement.

Le budget de la mission « enseignement scolaire » pour 2021 s'établit à 53,6 milliards d'euros hors cotisations aux pensions de l'État, soit une augmentation de plus de 3 % (1,6 milliard d'euros supplémentaires). C'est deux fois plus que la trajectoire budgétaire qui avait été initialement définie l'année dernière pour l'exercice 2021. Quand j'additionne les budgets que nous avons assumés au cours de ce quinquennat, c'est-à-dire de septembre 2017 à septembre 2021, nous arrivons à une augmentation de 6,788 milliards d'euros. Cette somme considérable est à mettre en regard de celle des cinq années précédentes : elle était de 2,345 milliards d'euros.

Pour la seconde année consécutive, nous sanctuarisons les emplois du ministère. Ce budget reste le premier budget de la nation. C'est un budget de rassemblement, parce qu'il doit permettre de partager avec l'ensemble de la société française des objectifs ambitieux pour la réussite de tous les élèves.

À travers le Grenelle de l'éducation qui a commencé à la fin du mois d'octobre et s'achèvera à la fin du mois de janvier, nous voulons à la fois revaloriser les professeurs (j'ai fait quelques annonces en ce sens hier) et enclencher un mouvement pluriannuel pour la revalorisation profonde du métier de professeur - financière, mais pas seulement. Il y a également un enjeu d'évolution systémique de l'Éducation nationale.

Premier élément que je souhaite souligner : la priorité donnée à l'école primaire. Nous créons 2 039 postes supplémentaires à l'école primaire, dans un contexte de baisse démographique puisqu'il y aura 65 000 élèves en moins à la rentrée 2021. Ce double effet permettra l'amélioration des taux d'encadrement. Depuis 2017, plus de 7 000 postes ont été créés dans le premier degré, alors que nous comptabilisons 200 000 élèves en moins. L'objectif est de rattraper le sous-investissement des années passées dans l'enseignement primaire : l'enseignement primaire est la clé de tout. La constance de cet engagement se traduit par des politiques spécifiques, notamment le dédoublement non seulement des classes de CP et de CE1 en REP et REP+ (300 000 élèves concernés), mais aussi les grandes sections de maternelle de REP et REP+. 150 000 élèves supplémentaires seront ainsi concernés.

Le plafonnement à 24 élèves par classe est un engagement du Président de la République pour les grandes sections de maternelle, les classes de CP et de CE1 de toute la France. L'école accueille également des élèves supplémentaires, en lien avec les mesures contenues dans la loi pour une école de la confiance et la future loi contre le séparatisme. Nous voulons que tous les enfants aillent à l'école maternelle.

En outre, le ministère investira dans le numérique dans le premier degré. 91 millions d'euros lui seront consacrés en 2021-2022.

Deuxième caractéristique : ce budget accompagne tous les élèves vers la réussite, notamment par le biais de la personnalisation des parcours dans le second degré. Nous redéployons 1 800 emplois du second degré vers le premier degré. Ce redéploiement est compensé par l'augmentation des moyens en heures supplémentaires de façon à maintenir les taux d'encadrement dans le second degré.

L'année 2021 marquera aussi l'aboutissement de la refonte du baccalauréat. Les lycéens se sont pleinement emparés des possibilités offertes, notamment par la combinaison des spécialités de leur choix. Cela a permis de faire émerger des parcours plus divers et des choix plus passionnés.

Nous essayons également de développer une politique d'appui à tous, qu'il s'agisse de l'opération « devoirs faits » ou des politiques d'appui aux élèves les plus en difficulté ou les plus fragiles. Cela s'accompagne d'une politique pour l'école inclusive. Cette politique est, de loin, celle qui a conduit aux plus grandes augmentations budgétaires, puisque 3,3 milliards d'euros seront consacrés à l'école inclusive en 2021, soit 250 millions d'euros de plus qu'en 2020. Lors du vote de la loi pour une école de la confiance, j'ai parlé d'un service public de l'école inclusive. Nous notons une augmentation budgétaire de 60 % depuis 2017 sur ce sujet, conformément aux engagements du Président de la République en faveur d'une augmentation des AESH, d'une amélioration de leur formation et d'un ensemble d'évolutions. Ainsi, l'année prochaine, 4 000 nouveaux ETP d'AESH s'ajouteront aux 8 000 ETP supplémentaires décidés pour cette année. Nous avons plus de 100 000 AESH en CDD et CDI, alors que nous n'avions que des contrats aidés il y a 3 ans. Nous restons évidemment très attentifs à la carrière des AESH et à la qualité de leur vie professionnelle et à leur carrière.

Nous avons aussi développé les pôles inclusifs d'accompagnement localisé (PIAL) pour la rentrée scolaire 2021. Généralisés, ils nous permettent d'intervenir au plus près des besoins du terrain en matière de scolarisation des élèves en situation de handicap.

Nous avons aussi relancé - avec une dimension sociale forte - la politique des internats d'excellence, comme l'a annoncé le Président de la République. L'objectif est d'avoir un internat d'excellence par département d'ici à 2022. Nous avons lancé les appels à projets pour leur réhabilitation ou leur création. Dans le cadre du plan de relance, nous dotons de 50 millions d'euros le soutien aux investissements envisagés par les collectivités.

S'agissant de l'accompagnement social des élèves stricto sensu, les bourses et fonds sociaux représentent pour 2021 une enveloppe de 860 millions d'euros, en hausse de 51 millions d'euros, pour accompagner les familles les plus défavorisées dans un contexte de crise économique.

Pour conclure, ce budget est un budget de revalorisation du métier d'enseignant et de renforcement de l'attractivité des métiers de l'éducation. Il s'agit non seulement d'engager une évolution profonde des conditions de travail des professeurs et des personnels, mais aussi d'avoir une vision systémique de l'évolution, avec trois axes : une meilleure reconnaissance des professeurs, notamment financière ; une plus grande coopération pour développer l'esprit d'équipe, le travail collectif, la gouvernance de nos établissements ; et l'ouverture du champ des possibles pour transformer les pratiques et les formes de mobilité professionnelle.

Concrètement, l'ouverture des possibles concerne la santé au travail, le bien-être au travail, les politiques de logement pour les jeunes professeurs, les enjeux d'évolution de notre système de mutation, le suivi personnalisé des carrières. Il s'agit de concevoir une véritable gestion des ressources humaines de proximité pour une structure qui est l'une des plus grandes du monde, tous domaines confondus, avec plus d'un million de salariés. Tout l'enjeu du Grenelle de l'éducation est de développer un management du XXIe siècle au sein de l'éducation nationale, qui soit au service de nos personnels et de nos élèves au travers de la modernité et de l'attention portée à l'humain et à l'éducation.

Nous commençons par une amorce très significative : un effort de 400 millions d'euros est consacré à la rémunération des personnels en 2021. Cela correspond à un coût de 500 millions d'euros en année pleine. J'ai annoncé hier les orientations prises en concertation avec les organisations syndicales : une prime d'équipement informatique annuelle pour l'ensemble des professeurs sera mise en place dès janvier 2021, correspondant à 176 euros bruts par personne, soit 150 euros nets ; une prime d'attractivité ciblera les personnels en début et milieu de carrière. Elle s'élèvera à 100 euros nets par mois pour les plus jeunes et représentera 34 euros par mois pour la quinzième année d'ancienneté.

Il s'agit d'une amorce dans un processus nécessairement pluriannuel qui doit amener la France à avoir une condition professorale mieux assurée.

Nous prenons aussi des mesures plus catégorielles, notamment pour les directeurs d'écoles dont nous avons beaucoup parlé au Sénat, avec des mesures relevant des crédits qui vous sont présentés.

Pour l'ensemble des crédits de masse salariale, l'augmentation nette est de 950 millions d'euros. Elle bénéficie également aux personnels du ministère ainsi qu'à la revalorisation des carrières. Pour moitié, cette augmentation se traduit dans la déclinaison des mesures indemnitaires pérennes. La seconde moitié correspond à la progression naturelle du déroulement des carrières à l'ancienneté, comme le glissement vieillesse technicité - GVT - (333 millions d'euros) qui représente aussi une hausse de pouvoir d'achat pour les professeurs.

Il convient de mentionner une nouveauté : l'accueil en stage ou en alternance dans les écoles et les établissements secondaires d'une partie des élèves inscrits en master des métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation (master MEEF), au cours de leur seconde année. Cette réforme représente un effort budgétaire de 19 millions d'euros.

Nous avons un agenda social très riche, avec la perspective d'une loi de programmation au cours de l'année 2021 pour aller de l'avant. Elle sera, je l'espère, le résultat du travail collectif mené dans le cadre du Grenelle de l'éducation. À mes yeux, il n'y a pas d'investissement plus important que l'investissement dans l'éducation. Les moyens supplémentaires sont orientés à des fins claires, précises et correspondent à des priorités affichées.

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