La crise sanitaire a frappé de plein fouet le secteur des patrimoines. Tous les acteurs ont vu leur activité durement touchée en 2020 : les monuments historiques, les musées, les sites, l'architecture, l'archéologie préventive et la restauration du patrimoine. Cette situation a entraîné des pertes immenses en ressources tout en étant à l'origine de surcoûts.
Les perspectives pour 2021, voire 2022, demeurent très dégradées, pour deux raisons. D'une part, il faut s'attendre à une activité très faible et irrégulière, au moins pendant le premier semestre 2021. Les pertes des acteurs du patrimoine continueront à s'accumuler. D'autre part, les ressources du mécénat baissent significativement, pour diverses raisons. Le chantier de Notre-Dame de Paris a mobilisé un soutien très important et la loi de finances pour 2020 a encadré le mécénat des grandes entreprises. De surcroît, les difficultés économiques dues à la crise sanitaire ont amené certains mécènes à financer de préférence des actions dans le domaine social ou médico-social. Il faudra donc surveiller dans les prochaines années l'évolution de cette ressource, pour comprendre s'il s'agit d'un effet temporaire ou d'une tendance de fond.
À cela s'ajoutent les interrogations sur la date de reprise du tourisme international. Les touristes étrangers sont essentiels pour les grands opérateurs comme Versailles. Le tourisme interne au pays a lui-même diminué cette année. J'ajoute que les élections municipales, avec le report du deuxième tour, ont contribué à une baisse des nombres d'opérations patrimoniales engagées par les communes, préjudiciables aux entreprises de restauration.
À ces circonstances exceptionnelles, l'État a répondu avec un soutien exceptionnel que je salue. Les mesures transversales mises en place en 2020 ont profité aux acteurs du secteur des patrimoines. L'activité partielle exceptionnelle et les prêts garantis ont permis à beaucoup d'entreprises de passer le cap. En outre, les opérateurs rencontrant les plus graves difficultés de trésorerie ont été accompagnés dans la loi de finances rectificative 2020, avec 42,4 millions d'euros dégagés pour Versailles, le musée d'Orsay, l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), le Centre Pompidou et Chambord. L'État sera également présent en 2021 avec des moyens d'une ampleur inédite pour le patrimoine, pour un montant total qui dépasse le milliard d'euros. Aux 43 millions d'euros supplémentaires au titre du programme 175 s'ajoutent 614 millions d'euros sur les deux années à venir, 2021 et 2022, dans le cadre du Plan de relance.
La fragilisation des principaux opérateurs de l'État et des entreprises de restauration du patrimoine m'ont amené à privilégier ces deux axes pour le rapport sur avis sur le programme patrimoine en 2021.
La crise sanitaire frappe d'autant plus les opérateurs que la part des ressources propres dans leur financement est élevée. La fermeture pendant le confinement, la réduction des jauges et la crise du tourisme ont pesé considérablement sur les ressources de billetterie et sur les recettes de valorisation des sites : boutiques, concessions, privatisation des locaux. Avant le deuxième confinement, on évaluait à environ 360 millions d'euros les pertes nettes des principaux opérateurs en 2020.
Il ne faut pas espérer des résultats positifs en 2021. La reprise est lente, les capacités d'accueil réduites et les risques importants. Ceux-ci sont de plusieurs natures : ils sont culturels, car les opérateurs pourraient manquer de moyens pour financer leur offre ; économiques, les établissements étant au centre d'un écosystème avec des entreprises de restauration et des entreprises d'accueil, au savoir-faire rare et difficile à renouveler ; et touristiques puisque ces établissements contribuent très largement au rayonnement et à l'attractivité de notre pays.
C'est la raison pour laquelle des moyens importants ont été mis en place dans le cadre du Plan de relance, soit 334 millions d'euros en autorisations d'engagement et 231 millions d'euros en crédits de paiement pour les grands opérateurs que j'ai déjà évoqués, auxquels s'ajoutent le Louvre, la Réunion des musées nationaux (RMN) et le Centre des monuments nationaux, qui gère une centaine de monuments.
Nous devons saluer l'effort de l'État mais aussi les efforts engagés par les opérateurs eux-mêmes pour réaliser des économies. L'exercice s'avère délicat pour eux. En renonçant à la programmation culturelle et à la billetterie, ils courent le risque de perdre de l'attractivité. S'ils abandonnent les projets de travaux, ils perdent leurs futures recettes et cela pénalise les entreprises de restauration. C'est pourquoi la plupart des opérateurs ont décidé de décaler leur programmation culturelle et d'étaler les travaux dans le temps.
Cependant, la crise a montré leur vulnérabilité et nous amène à nous interroger sur leur modèle économique, fondé sur le développement de leurs ressources propres. Ce modèle peut être préservé si l'État accepte de jouer le rôle d'assureur en dernier ressort quand surgit une crise majeure. On peut imaginer un système reposant uniquement sur la subvention publique mais je doute qu'il soit soutenable pour l'État ou, à l'inverse, un modèle où l'État n'interviendrait plus, ce qui ferait courir des risques considérables à ces établissements. À titre d'exemple, les grands musées américains ont licencié massivement leur personnel et ont vendu une partie de leurs collections pour faire face à la crise. Notre modèle conserve tout son sens, à condition que le soutien de l'État se confirme, mais aussi que le tourisme reprenne et que les mécènes maintiennent leur soutien. La question reste posée sur le long terme.
La crise sanitaire amènera des changements dans le fonctionnement de nos établissements, avec les billets horodatés, le développement de l'offre numérique et la régulation des flux. Il faudra veiller à ce que ces nouveautés n'entraînent pas d'effets pervers sur la fréquentation.
Après la situation des opérateurs de l'État, j'évoquerai la restauration du patrimoine, qui pâtit de la conjoncture de plusieurs façons. Depuis le début de la crise sanitaire, les chantiers ont été interrompus sur une courte période en mars et, depuis leur reprise, les coûts ont augmenté du fait des protocoles sanitaires. En outre, le nombre d'appels d'offres baisse toujours les années d'élections municipales. À cela s'ajoute la chute du mécénat. En 2020, le choc a toutefois été amorti grâce aux mesures de soutien. Les entreprises ont globalement conservé leurs salariés, ce dont il faut se féliciter, car leurs compétences sont rares. Le Plan de relance sur 2021/2022 a pour but de créer pour ces entreprises une activité soutenue. Il prévoit 260 millions d'euros de crédits en autorisations d'engagement et 103 millions d'euros en crédits de paiement en 2021.
Il est important que la répartition de ces crédits irrigue tout le territoire. L'essentiel des crédits du Plan de relance seront consacrés au patrimoine de l'État : les 87 cathédrales dont une quarantaine présentent la nécessité de travaux très urgents, le château de Villers-Cotterêts et la centaine de monuments gérés par le CMN. Le soutien en matière de restauration du patrimoine des collectivités ne représente que 6,5 % du Plan de relance, soit 40 millions d'euros en dotations d'engagement. Je regrette ce montant un peu faible, qui s'explique par la durée du Plan de relance sur deux ans. Cette durée ne permet d'accompagner que de grosses opérations, déjà prêtes, dont la maîtrise relève de l'État ou de ses opérateurs. Le ministère s'est néanmoins engagé à aider au moins une opération par département et à faire en sorte que les opérations lancées dans le cadre du plan de relance donnent du travail à tous les corps de métiers.
J'ajoute que d'autres ressources peuvent financer la restauration du patrimoine des collectivités territoriales et du patrimoine privé, comme le Fonds incitatif et partenarial pour les petites communes à faibles ressources (FIP), qui permet d'associer l'État et les Régions au financement de la restauration des monuments historiques de proximité, et dont les crédits sont revalorisés de 5 millions d'euros en 2021. S'y ajoutent le Loto du patrimoine et l'avantage fiscal associé au label de la Fondation du patrimoine. Le premier, pour sa nouvelle édition, poursuit le rééquilibrage en cours entre les monuments historiques classés et ceux qui ne le sont pas qui atteignent désormais 46 %. Il veille aussi à l'équilibre entre les monuments qui appartiennent à des personnes publiques et ceux qui relèvent de propriétaires privés, qui représentent 44 % des projets sélectionnés. Le nombre d'opérations a également été réduit pour éviter un effet de saupoudrage. Le Loto du patrimoine financera ainsi 119 opérations dans toutes les régions. Le label de la Fondation du Patrimoine a été étendu, dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, aux immeubles bâtis et non bâtis situés dans des communes de moins de 20 000 habitants.
Notre collègue Dominique Vérien était à l'origine de cette proposition destinée à mobiliser le label dans le cadre de la rénovation des centres-villes et centres-bourgs.
En conclusion, j'aurai trois suggestions à présenter à la ministre. Je propose d'augmenter temporairement le taux de subvention de l'État pour les opérations des collectivités et des propriétaires privés et de relever le plafond des subventions pour les immeubles inscrits. Je suggère aussi d'encourager les travaux d'entretien et pas seulement ceux de restauration. Enfin, je pense qu'il faudrait renforcer l'assistance à maîtrise d'ouvrage qui est faible, car les services déconcentrés sont en sous-effectif. De manière générale, je crois qu'il faudrait imaginer une collaboration plus étroite entre l'État et les Régions dans le domaine des monuments historiques, peut-être dans le cadre des nouveaux contrats de Plans État-Région qui doivent être conclus l'année prochaine.
Je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 175 « Patrimoine » du projet de loi de finances pour 2021.