Je vous remercie de votre invitation, nous sommes toujours très heureux de nous exprimer devant votre commission, avec laquelle nous entretenons une relation importante, tant votre expertise est reconnue en matière d'audiovisuel.
L'année 2020 a en effet été marquée par l'incertitude pour l'ensemble des acteurs du secteur, qu'il s'agisse de la diffusion, notamment des chaînes locales de radio et de télévision, ou de la création. C'est certain, l'ensemble du secteur sera durement touché par la crise, à court et à moyen termes.
Depuis mars dernier, le CSA s'est attaché à assurer la continuité de ses missions, en dépit du choc du confinement, grâce à l'engagement de son collège et de son personnel, que je tiens à saluer ici. Notre activité n'a pas diminué durant la crise ; des chantiers majeurs ont même pu franchir des étapes importantes. Je pense notamment au renouvellement de l'autorisation hertzienne de Canal Plus - un dossier attendu par toute la filière de la production, notamment cinématographique - ou encore à la mise en application de la directive 2018/1808 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels, compte tenu de l'évolution des réalités du marché, dite « directive Services de médias audiovisuels » (SMA), après sa transposition au travers de la loi du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière, dite « DDADUE ».
Cela dit, d'autres évolutions, notamment de nature législative, nous paraissent indispensables, au regard des évolutions du paysage audiovisuel, car, quarante ans après la loi de 1986, ce cadre doit poursuivre son évolution afin de faire face aux changements majeurs auxquels ce secteur est confronté. Je pense en particulier à la nécessaire fusion entre la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) et le CSA, au sein d'une nouvelle autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). J'y reviendrai.
Conformément à l'article 18 de la loi de 1986 que vous avez citée, nous vous présentons aujourd'hui notre rapport annuel ; je ne rentrerai pas dans les détails, mais vous trouverez beaucoup d'informations dans ce document, qui est très riche.
Je vous indiquais, voilà environ un an, que le CSA, désormais trentagénaire, abordait une phase de transformations ; celles-ci se sont concrétisées tout au long de 2019.
Nous avons d'abord assisté à des transformations accélérées, sous l'effet de la transition numérique, du paysage audiovisuel, que le CSA a accompagnées. Cela s'est traduit pour nous, en 2019, par l'émission d'avis sur les projets des opérateurs. Je pense par exemple à notre avis sur l'important projet Salto, porté par TF1, M6 et France Télévisions, mais également aux très nombreuses conventions conclues ou renouvelées avec les acteurs de l'audiovisuel ; rien que pour la télévision, nous en avons signé vingt en 2019.
Nous avons également clarifié le cadre régissant les relations entre les éditeurs et les distributeurs. On se souvient des tensions qui s'étaient fait jour entre TF1 et certains distributeurs ; elles avaient même conduit à des coupures de signal. Nous avons réglé le différend entre le groupe Altice et le distributeur Free, et, hier, TF1 a annoncé le renouvellement, sans heurts, de son accord avec Orange. On peut donc penser que le marché arrive à maturité sur ces sujets.
Nous avons par ailleurs modernisé la diffusion hertzienne. La radiodiffusion numérique s'est développée, avec le déploiement du système DAB+ ; nous avons sélectionné les radios qui occuperont les deux multiplexes nationaux. Nous espérons pouvoir démarrer, cette année, les émissions sur ces multiplexes.
De la même façon, nous avons engagé une consultation sur les évolutions et la modernisation de la télévision numérique terrestre (TNT), seul moyen d'accès à la télévision pour 22 % de nos concitoyens. Il faut assurer la modernisation de cette plate-forme, afin d'améliorer le dialogue avec les chaînes et la qualité de l'image.
Au-delà de la transformation du paysage, nous avons assisté, en 2019, à la transformation de notre régulation, afin d'adapter celle-ci à ce nouvel environnement.
Cela est passé par la transposition de la directive SMA, qui va faire entrer dans notre champ de régulation les grandes plates-formes de vidéo par abonnement - Apple, Disney Plus, Amazon Prime ou encore Netflix - ; c'est une extension significative de notre domaine d'intervention. En outre, une nouvelle forme de régulation, amenée à concerner de nouveaux opérateurs dans la sphère numérique - les plates-formes de contenus et les réseaux sociaux -, est entrée en phase opérationnelle en 2019, avec la mise en oeuvre de la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information. Sur ce fondement, nous avons publié, avant les élections européennes, une série de recommandations à destination des opérateurs et nous avons dressé le premier bilan des actions entreprises ou non par les plates-formes pour mettre en oeuvre les obligations de moyens qui pèsent sur elles.
J'en viens à nos missions relatives aux opérateurs audiovisuels ; l'année 2019 a été une année riche pour le suivi du pluralisme politique, les élections européennes ayant donné lieu à de multiples listes ; d'où un travail délicat de détermination des temps de parole. En outre, nous avons connu le deuxième référendum néocalédonien, dont la campagne médiatique a été organisée par le CSA dans de bonnes conditions. Enfin, nous avons assuré la surveillance des responsabilités sociétales des médias audiovisuels : l'égalité hommes-femmes, que nous suivons de très près - nous publions un baromètre annuel à ce sujet -, l'accompagnement de la campagne contre les violences faites aux femmes, la meilleure représentation des personnes handicapées sur les antennes, au travers notamment d'une charte signée en décembre, et la discussion d'une charte alimentaire signée début 2020.
Par ailleurs, 2019 a été une année de transformation de notre institution, qui se veut en phase avec les mutations que j'ai évoquées. Le collège a été renouvelé début 2019 - il le sera à nouveau, pour un tiers, début 2021 -, nous avons resserré les groupes de travail thématiques, avec un groupe par conseiller. Les directions du Conseil ont accueilli de nouvelles compétences, dans un cadre budgétaire qui reste contraint. Nous avons renforcé nos liens avec les autres régulateurs ; j'y attache beaucoup d'importance, car, face à des acteurs très puissants, l'« inter-régulation » est essentielle. C'est passé par une nouvelle collaboration avec la Hadopi et avec l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep).
En 2020, ces transformations se sont poursuivies. Malgré le report du projet de loi sur l'audiovisuel, plusieurs chantiers de modernisation de notre régulation ont été engagés, certains étant très attendus en raison des asymétries concurrentielles entre les acteurs historiques et les nouveaux.
Le principal chantier est la transposition de la directive SMA, toujours en examen devant le Conseil d'État. C'est un texte majeur pour notre paysage audiovisuel et de création, car il permet d'intégrer les grandes plates-formes internationales de vidéo à la demande, qui ciblent la France sans y être installées, dans le système de financement de la production. Les paramètres de cette contribution seront fixés par décret. Ensuite, il reviendra au CSA de conclure des conventions avec les opérateurs concernés ; le dispositif devrait être opérationnel à la fin du premier semestre de 2021. Cette évolution s'accompagnera de la révision de la chronologie des médias, car on ne peut pas demander à ces acteurs de contribuer significativement à ce financement tout en leur imposant une chronologie des médias qui leur soit défavorable.
Cette directive prévoit en outre le renforcement de la protection du jeune public sur les plates-formes de partage de vidéo et l'offre de 30 % d'oeuvres européennes dans leur catalogue. La directive impliquera donc le renforcement des coopérations entre les régulateurs européens ; le CSA est membre du réseau des régulateurs européens, le European Regulators Group for Audiovisual Media Services (ERGA). Nous avons ainsi conduit, avec notre homologue irlandais, un travail pour préparer un nouveau cadre de coopération et une règle du jeu commune, afin que la mise en oeuvre de la directive se fasse de la façon la plus homogène et efficace possible. L'ERGA a adopté ce cadre le 3 décembre dernier, qui s'appliquera lorsque le texte présenté aujourd'hui par la Commission européenne - le Digital Services Act (DSA), le nouveau régime de responsabilité des grandes plates-formes systémiques sur internet - sera définitivement adopté.
Cette nouvelle régulation des plates-formes de contenus et des réseaux sociaux, qui fait l'objet d'attentes fortes du Parlement et des opinions publiques, représente une part significative de notre activité. Le régulateur continue sa mue, ce n'est plus le CSA de papa ; il épouse son époque, celle du numérique. Je pense notamment à la loi contre la manipulation de l'information, aux démarches visant à lutter contre la haine en ligne - la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet a instauré un observatoire de la haine en ligne, placé auprès du CSA - et au projet de loi confortant les principes républicains, qui pourrait confier au CSA de nouvelles missions en la matière.
À cela s'ajoutent plusieurs textes : la loi du 19 octobre 2020 visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plates-formes en ligne - la loi « sur les enfants youtubeurs » -, que nous allons mettre en application ; la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, qui nous confie de nouvelles compétences en matière de protection de l'enfant par rapport aux sites pornographiques en ligne ; le projet de loi consécutif à la Convention citoyenne pour le climat, qui pourrait nous attribuer de nouvelles missions en matière de publicité.
La constitution de L'Arcom, par le rapprochement du CSA et de la Hadopi, fournirait le cadre institutionnel adapté à la mise en oeuvre de ces nouvelles régulations. Ainsi, dès le 13 janvier 2020, le président de la Hadopi et moi-même avons signé une convention de préfiguration, qui a donné lieu à des travaux tout au long de l'année 2020, mais, je tiens à le dire, l'incertitude qui plane sur cette fusion et sur son calendrier complique la planification des travaux et la communication à destination du personnel. C'est très déstabilisant pour les deux institutions ; le CSA compte 300 personnes ; il faut pouvoir leur tenir un discours clair sur nos perspectives.
Les constats ayant présidé à la création de l'Arcom restent d'actualité. Cela fait sens d'avoir un régulateur renforcé, avec des moyens confortés, allant de l'audiovisuel à la préservation des droits d'auteur, en passant par la lutte contre le piratage. La Hadopi a communiqué sur la flambée du piratage ces derniers mois. Il y a une forte attente de tous les acteurs sur le projet de loi.
La constitution d'un régulateur intégré, avec une taille critique suffisante, est nécessaire face aux grands opérateurs internationaux. Cela fera d'autant plus sens que le DSA verra le jour... Le CSA est prêt pour jouer un rôle actif dans sa mise en oeuvre en France.
D'autres chantiers de modernisation de la législation méritent d'être envisagés. Cette année ont été revus les décrets portant modification du régime de publicité télévisée et libéralisant la publicité pour le secteur du cinéma. Nous réfléchissons aussi à la publicité segmentée, qui permet de l'adapter au destinataire, sur le modèle de ce que font les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). La transposition de la directive a donné de l'oxygène à la filière. Nous menons des travaux également sur le piratage, sur la refonte de la réglementation, ancienne, sur les concentrations : certains mouvements de consolidation sont en cours dans les secteurs de la production et des médias. Nous travaillerons sur la simplification du régime des mentions légales en radio, ou sur celle de la régulation pour être plus rapides et plus efficaces. Nous voulons réfléchir à la modernisation de la TNT, gratuite sur l'ensemble du territoire et disponible pour plus d'un Français sur cinq. Nous voulons engager ce chantier avant les Jeux olympiques de 2024 pour proposer une offre en ultra haute définition. Bref, nous ne sommes pas encore arrivés au bout du chemin ! Ces deux années ont été extrêmement remplies ; l'année prochaine le sera tout autant.