Intervention de Roch-Olivier Maistre

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 15 décembre 2020 à 17h00
Audition de M. Roch-Olivier Maistre président du conseil supérieur de l'audiovisuel csa

Roch-Olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel :

Nous publions tous les ans un baromètre sur la place des femmes dans les médias. Ce rendez-vous annuel nous permet de voir des évolutions d'une année sur l'autre et de mettre en tension la relation du régulateur avec les acteurs. Cette année, nous avons présenté le baromètre de la diversité, plus large que le baromètre sur la place des femmes dans les médias, en septembre dernier, en présence de trois ministres : Mesdames Bachelot, Cluzel et Moreno. Nos interlocuteurs ont bien compris que c'était la volonté du régulateur, mais pas seulement : il y a des inégalités de situation que la société ne supporte plus. Sur la place des femmes dans la société de façon générale, et dans les médias en particulier, les choses doivent bouger. Elles bougent, Dieu soit loué, et vous avez cité quelques chiffres. Dans les médias, on n'est plus très loin de la parité. Reste le problème de la place des expertes. Il faut souligner, tout de même, une particularité dans la sociologie du corps médical : les professeurs de médecine sont très majoritairement des hommes ! Du coup, les médias ont parfois eu du mal à trouver des expertes pendant le confinement. Il n'en reste pas moins qu'il faut progresser sur ces sujets.

Le CSA y est déterminé, et je me suis exprimé à plusieurs reprises sur ce point. Les responsables de l'audiovisuel sont, eux aussi, déterminés à faire des progrès. L'audiovisuel public est piloté par des femmes, et la présidente de France Télévisions a exprimé très clairement sa volonté, de même que la présidente de Radio France et celle de France Médias Monde. Leurs collègues masculins sont tout aussi conscients de l'attente particulière qui existe en la matière et de leur responsabilité de progresser vis-à-vis de la société. Vous avez évoqué le guide des expertes. Il a été réactivé, et nous avons contribué activement à l'enrichir en nombre d'entrées et en thématiques, en y incluant la diversité. Notre collège a la particularité d'être paritaire. Ses six membres sont très déterminés à progresser sur ce sujet.

Vous avez raison d'évoquer le temps de parole des femmes. Nous nous sommes associés à l'Institut national de l'audiovisuel, qui dispose d'outils d'intelligence artificielle permettant de balayer des quantités de programmes très importantes, sur une vaste profondeur historique - une dizaine d'années, sur l'ensemble des chaînes de la TNT - et d'identifier le temps de parole des femmes par rapport à celui des hommes. On observe ce décalage entre une présence accrue des femmes sur les plateaux et un temps de parole qui n'est pourtant pas paritaire. Cela s'explique par plusieurs phénomènes : une forme d'autocensure dans la parole, l'interruption des femmes sur les plateaux... Bref, il y a encore du chemin à parcourir sur ces questions.

Vous m'avez interrogé sur la place des abonnés. Le public, c'est ce qui guide le CSA, qui est une institution au service des Françaises et des Français. Nous sommes donc attentifs à la situation des abonnés, sous plusieurs angles. Nous souhaitons faire en sorte que la place du sport reste forte sur les chaînes en clair, afin que tous les Français puissent avoir accès aux grands événements sportifs. Un décret recense d'ailleurs ces derniers, qui doivent être présentés en clair. Une grande vigilance s'impose, à cause de l'inflation des droits sportifs et de l'émergence de nouveaux acteurs : au-delà du cas très particulier de Mediapro, les grandes plateformes de vidéo par abonnement sont présentes sur le marché des droits sportifs. Ainsi, Amazon Prime a récolté une partie des droits de Roland Garros pour les prochaines compétitions, et est présente en Allemagne. Nous avons besoin d'acteurs solides sur le territoire national, qui soient en situation de se porter eux-mêmes acquéreurs de ces droits, même si le CSA n'est pas partie prenante à ces négociations commerciales.

Effectivement, sur LCI, le 14 avril dernier, deux professeurs ont invité à tester les vaccins en Afrique, en des termes qui ont beaucoup choqué, puisque nous avons eu beaucoup de saisines. Nous avons rappelé à l'ordre cette chaîne. Nous allons réunir très prochainement l'ensemble des grandes chaînes de télévision, y compris les chaînes d'information permanente, et leurs rédactions, pour tirer des enseignements de cette année particulière que nous avons vécue. Nous avons devant nous la question de la campagne de vaccination... Nous avons consulté récemment le professeur Delfraissy pour bénéficier de son regard sur la façon dont les médias ont pu couvrir cette pandémie, et nous avons auprès de nous un comité scientifique. Comme à chaque fois qu'il y a une grande situation de crise, nous allons donc organiser un dialogue avec l'ensemble des rédactions. C'est très important pour la bonne information des Français - les médias sont tenus de donner une information honnête, avec des points de vue équilibrés - et pour le niveau de confiance dans le pays. Chaque fois qu'un éditeur manquera à ses obligations, le CSA utilisera les outils qui sont à sa disposition pour le rappeler aux obligations législatives, réglementaires et conventionnelles qui lui incombent.

La question de M. Assouline comporte deux aspects. Je viens d'évoquer le cas d'un manquement caractérisé d'un éditeur à ses obligations. Je le redis fortement devant votre commission : le CSA agit, avec les procédures qui sont les siennes. Nous avons conscience que ces procédures sont parfois lentes, mais n'oublions pas que nous sommes dans le champ des libertés publiques, ce qui impose de prendre des précautions particulières pour le respect du contradictoire, avec tout un cadre procédural qui est posé par la loi. La loi que nous mettons en oeuvre est fondamentalement une loi de liberté - comme l'indique son intitulé de loi relative à la liberté de communication. Nous sommes les garants de la liberté de communication, de la liberté éditoriale et de la liberté d'expression. Mais la loi, dans sa sagesse, a posé des limites à cette liberté. D'ailleurs, l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen rappelle que la liberté est le bien le plus précieux de l'humanité et que seule la loi peut lui apporter des limites.

Je ne peux pas entrer dans les cas particuliers que vous avez évoqués, parce que des procédures sont en cours, et que je suis tenu à un devoir de réserve à l'égard de ces dossiers, qui sont en instruction. Vous savez que nous sommes déjà intervenus, notamment sur le cas du 15 octobre 2019. Dès le mois suivant, nous avons mis en demeure cette chaîne, compte tenu d'un manquement que nous avons estimé caractérisé. C'est à ce moment-là que la chaîne a décidé de retransmettre cette émission en différé. Depuis, nous avons reçu d'autres saisines, et nous avons été amenés à intervenir.

Notre action est sans ambiguïté sur le sujet. Nous avons été amenés à saisir à plusieurs reprises le procureur de la République, ce qui était une première pour le CSA. Nous estimons que celui qui s'exprime engage sa responsabilité et, quand il y a violation d'un principe posé par la loi, il est normal qu'il en rende compte devant la justice - vous savez que des condamnations sont d'ores et déjà intervenues. Et le CSA engagera la responsabilité de l'éditeur chaque fois que ce sera nécessaire.

Vous avez aussi évoqué la question de la ligne éditoriale d'une chaîne. Le principe posé par la loi, et réaffirmé à plusieurs reprises dans la loi de 1986, notamment dans son premier article, est celui du respect du pluralisme des courants de pensée et d'opinion, et notamment du pluralisme politique. Il nous incombe, à la fois en période électorale et hors période électorale, de veiller au respect du pluralisme. C'est une mission dont nous nous acquittons avec énormément d'attention. J'écris tous les mois aux présidents des assemblées parlementaires et aux partis politiques, et nous leur communiquons les temps de parole que nous avons vérifiés. Ces chiffres sont publiés sur le site du CSA, et nous sommes très attentifs au bon équilibre. Hors période électorale, on apprécie ce pluralisme sur une période trimestrielle, pour permettre aux chaînes qui font peu d'émissions politiques de rééquilibrer les interventions sur une période relativement longue ; en période électorale, on exerce un contrôle encore plus vigilant, puisqu'on applique le principe de l'équité entre les différents candidats, ou les différentes listes - le principe étant celui de l'égalité pour le scrutin présidentiel. Ce contrôle fonctionne bien, parce que les rédactions savent très bien quelles sont les règles en vigueur, et entretiennent un dialogue très fluide avec nous.

Un nouveau format d'émissions s'est développé sur toute une série de chaînes, et notamment sur les chaînes d'information en continu. Ce sont les émissions de débat sur l'actualité, pas nécessairement politique, souvent confiées à des éditorialistes, dont beaucoup sont aussi des journalistes professionnels. Dans le cadre légal qui est le nôtre, nous n'allons pas comptabiliser le temps de parole des journalistes, ou les classer selon des lignes politiques... En revanche, nous sommes en droit de rappeler à ces chaînes qu'elles doivent assurer une pluralité de points de vue et le respect du pluralisme.

Sur les sujets prêtant à controverse - typiquement, le conflit israélo-palestinien -, nous veillons systématiquement à ce que la rédaction fasse une présentation équilibrée du sujet ; nous sommes attentifs à la diversité des points de vue exprimés.

Il y a une gradation des sanctions, adaptée à la nature des manquements. Cela commence par une mise en garde ; ensuite, la procédure de sanction passe obligatoirement, de par la loi, par une mise en demeure et, après un deuxième manquement de même nature, nous pouvons prononcer une sanction, laquelle est, le plus souvent, financière, dans la limite de 3 % - 4 % en cas de récidive - du chiffre d'affaires de l'entreprise. Les sanctions peuvent également consister en l'interruption du programme et peuvent aller jusqu'au retrait de l'autorisation et à la résiliation de la convention, mais c'est très rare ; cela a été utilisé une fois, par mon prédécesseur, et la sanction a été annulée par le Conseil d'État. Nous y recourons donc avec la plus grande prudence.

Cela dit, Dieu soit loué, la liberté d'expression est extrêmement protégée dans notre pays, par le droit français, par la jurisprudence nationale et par la Cour européenne des droits de l'homme, dont la jurisprudence précise que cette protection s'applique jusques et y compris aux propos qui peuvent choquer.

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