Je ne dis pas cela, mais la liberté d'expression est très protégée et il nous est arrivé de sanctionner les comportements que vous citiez et de voir notre sanction annulée par le Conseil d'État. Nous sommes donc sur une ligne de crête, mais, je le répète, nous interviendrons après tout manquement caractérisé.
Quant à la fusion avec la Hadopi, cette réforme n'a de sens que pour porter une politique publique nouvelle et efficace. Il ne s'agit pas de rationalisation administrative ; ce qui importe, ce seront les dispositions légales permettant d'adapter le dispositif de lutte contre le piratage. Il y a dix ans, un dispositif luttant contre le piratage peer to peer a été bâti ; aujourd'hui, nous visons autre chose, le streaming, et il faut pouvoir s'attaquer non à l'usager mais aux sites eux-mêmes, notamment en matière sportive. Ces mesures vont dans le bon sens et il est temps de les adopter, s'il plaît au Parlement de le faire.
Il est dans le sens de l'histoire de constituer un grand régulateur, couvrant l'ensemble de la chaîne de la création et disposant des outils aux meilleurs standards pour assurer une régulation efficace de l'univers numérique.
Monsieur le sénateur Ouzoulias, vous m'avez interrogé sur le DSA ; c'est l'occasion d'inventer un modèle de régulation propre au continent, qui soit respectueux de nos valeurs, notamment de la liberté d'expression, et apte à protéger les publics. Les opinions publiques ne supportent plus les excès des très grands acteurs, tant en Europe qu'aux États-Unis ou encore en Nouvelle-Zélande, où la tragédie de Christchurch, filmée et diffusée en direct, pendant dix-sept minutes, sur Facebook, a beaucoup choqué. Ce que nous n'acceptons pas sur les médias traditionnels, depuis très longtemps, nous ne l'acceptons pas davantage sur les réseaux sociaux.
Il faut donc bouger et, pour cela, le bon échelon d'intervention est européen : il faut avoir une norme homogène plutôt qu'une floraison de législations nationales et nous avons face à nous des interlocuteurs extrêmement puissants ; le fait d'agir à l'échelon de l'Union crée un rapport de force plus efficace.
Par ailleurs, on ne peut pas réguler ces acteurs comme les médias traditionnels, comme des chaînes de télévision qui manqueraient à leurs obligations ; avec les acteurs systémiques du numérique, qui brassent des milliards d'informations en instantané, cela n'est pas possible. Il faut inventer un autre type de régulation ; le DSA impose des obligations de moyens à ces acteurs pour lutter contre les fausses informations, pour éliminer les contenus haineux et pour protéger les jeunes, tout en instaurant un mécanisme de régulation permettant de vérifier que ces acteurs mettent en oeuvre leurs obligations. Il y aura en outre un audit annuel, réalisé par un organe indépendant qui vérifiera que les actions à conduire sont bien menées et qui infligera, le cas échéant, des amendes. Il y aura un double niveau de régulation : les autorités désignées dans chaque pays - le CSA sera à la disposition de l'État français pour agir en la matière - et le « board » réunissant ces acteurs nationaux afin de coordonner leurs actions.
Le DSA représente un moment important, car il est l'occasion de concevoir un nouveau modèle, qui ne soit ni un modèle de régulation à la chinoise ni un modèle libéral, à l'américaine.
Madame la sénatrice Darcos, vous m'avez interrogé sur les nominations du collège du CSA. Nous nous renouvelons par tiers tous les deux ans. Nous allons perdre en 2021 deux membres éminents : Nicolas Curien et Nathalie Sonnac. Un nouveau membre sera désigné par le président du Sénat et un autre par le président de l'Assemblée nationale.
Sur la question de l'intégrité scientifique, j'ai répondu en précisant l'action que nous mènerons en la matière.
Sur le droit d'auteur, le projet de rapprochement avec l'Hadopi au sein de l'Arcom nous permettra d'agir plus efficacement et sur toute la chaîne.
Monsieur le sénateur Dossus, je pense avoir répondu à certaines de vos questions. Je ne répéterai pas ce que j'ai dit sur le pluralisme, mais le respect du pluralisme politique est une mission importante ; j'ai découvert dans la presse la pratique que vous avez évoquée. Nous allons l'étudier ; la gestion du pluralisme ne peut se satisfaire d'un tel procédé. Le pluralisme ne prend tout son sens que si l'on applique la règle dans un esprit d'équité.
Sur le piratage, vous avez raison d'évoquer l'offre légale. Il y a un exemple intéressant en la matière, c'est la musique, qui permet d'avoir une offre quasi universelle à un prix raisonnable, ce qui se traduit par une diminution du piratage. C'est plus difficile pour le cinéma, qui fonctionne sur le principe de l'exclusivité des plates-formes. Ainsi, aucune plate-forme ne propose d'offre cinématographique universelle. Quand on est passionné par le cinéma et que l'on veut avoir une offre élargie, il faut cumuler les abonnements, ce qui se heurte à la limite du portefeuille des spectateurs. Ainsi, on observe qu'une proportion importante d'abonnés à des plates-formes de vidéo recourt au piratage pour ne pas cumuler les abonnements.
Monsieur Bargeton, vous m'avez parlé de la régulation de la publicité. Je faisais allusion à l'un des chapitres du rapport de la Convention citoyenne. C'est une préoccupation forte pour les acteurs de l'audiovisuel, qui dépendent des recettes publicitaires et qui vivent une période difficile. Ils craignent une amputation de leurs ressources et une interdiction pure et simple de certaines publicités. Il semble que le Gouvernement s'oriente vers un dispositif de droit souple, au travers d'engagements volontaires de ces acteurs, sous l'égide du CSA. Cela permettrait de tendre vers des publicités plus vertueuses et protectrices de l'environnement.
C'est un chantier qui devrait s'ouvrir très vite, puisqu'il faudra arriver à conclure les engagements dans le courant du mois de janvier 2021.
Sur l'éducation à l'image, dans le contexte actuel, j'ai deux convictions. D'abord, la régulation des grands acteurs systémiques de l'internet est un élément central si l'on veut lutter contre la désinformation et les contenus haineux. Et, si je suis heureux de voir que l'Union européenne est désormais engagée dans cette voie, je crois que l'éducation aux médias est un élément très important. Les plus jeunes, par leur téléphone portable, leur tablette, ici ou là, ont accès à des images ou à des sites qui véhiculent beaucoup de fausses informations, si ce n'est des thèses complotistes. Il importe donc qu'ils fassent très tôt l'apprentissage de l'esprit critique, pour acquérir le recul nécessaire par rapport à ces informations, et savoir se demander d'où elles viennent, quelle est la source interrogée, etc. Nous avons signé il y a peu une convention avec le ministre de l'éducation nationale pour développer notre partenariat. Nous avons mis à la disposition du corps enseignant des modules d'éducation à l'image, notamment dans l'académie de Créteil, et nous entendons poursuivre dans cette voie, avec peut-être de nouvelles initiatives dès 2021.
Mme Morin-Desailly m'a interrogé sur la régulation européenne. L'ERGA rassemble les régulateurs des pays membres de l'Union européenne. C'est une instance très efficace, au sein de laquelle une relation de grande confiance s'est nouée entre les acteurs, et qui jouit d'une telle crédibilité qu'elle s'est imposée comme le conseiller principal auprès de la Commission européenne sur l'ensemble des sujets qui la concernent. Nous avons beaucoup contribué à la directive SMA, avec de nombreux échanges, y compris avec le commissaire Breton, qui ont abouti au DSA. Les progrès qui se dessinent en matière de régulation européenne sont dus au travail collectif de ces régulateurs, actuellement sous la présidence de mon collègue allemand.
Sur la protection de l'enfance, nos campagnes continuent, et nous poursuivrons dans cette voie, parce que c'est un chantier important. J'ai fait allusion à l'amendement qui a été déposé sur la loi sur les violences faites aux femmes, et relatif à la protection des jeunes vis-à-vis des sites pornographiques. Vous avez peut-être vu dans la presse que j'ai été tout récemment saisi par trois associations de protection de l'enfance sur une dizaine de sites. Nous sommes en train d'instruire le dossier, et nous utiliserons bien sûr les compétences qui nous sont données par ce nouveau texte, qui permet de mettre en demeure des sites qui ne déploieraient pas de dispositifs permettant de vérifier effectivement que la personne qui se connecte est majeure ; à défaut d'une réponse satisfaisante à cette mise en demeure, nous avons la possibilité de saisir le président du tribunal judiciaire, pour qu'il intervienne sur les FAI. Toutefois, il ne faut pas se cacher que ce texte sera compliqué à mettre en oeuvre, parce que ces sites ne vont pas toujours chercher leur accusé de réception au bureau de poste d'à côté... En d'autres termes, il faudra aller les chercher !