Nous poursuivons en effet sur le thème des restitutions, qui nous a déjà beaucoup occupés hier en séance avec l'examen en nouvelle lecture du projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal. Sur ma proposition, le bureau de notre commission avait acté, en novembre 2019, le principe de cette mission d'information pour dresser le bilan des dix dernières années en matière de restitution et se forger une doctrine dans la perspective de projets de loi à venir.
Le Sénat a toujours été très en pointe sur les questions de gestion éthique et de conception plus dynamique des collections. Dans le cadre de la loi sur les musées de 2002, les déclassements ont été rendus possibles sur sa proposition et encadrés par une commission scientifique chargée de les contrôler a priori. La loi de restitution de la « Vénus hottentote » est le fruit d'une proposition de notre ancien collègue Nicolas About. J'ai moi-même été à l'initiative de la proposition qui a débouché sur la loi de restitution des têtes maories. La Commission scientifique nationale des collections (CNSC) fut elle aussi instituée sur proposition du Sénat par la loi sur les têtes maories pour encadrer les déclassements de biens des collections et définir une doctrine générale en matière de déclassement et de cession. Malheureusement, j'ai déjà eu l'occasion de l'évoquer, elle a été supprimée par la loi ASAP il y a quelques semaines à l'initiative du Gouvernement pour satisfaire son objectif global de rationalisation du nombre de commissions, sans même que celui-ci se soit au préalable interrogé sur la responsabilité que portait l'administration dans ses difficultés de fonctionnement et sur les possibilités à sa disposition pour les corriger. Je crois pourtant qu'elle avait un vrai rôle à jouer pour faire progresser la réflexion : j'en veux pour preuve son bilan, qui est loin d'être négligeable sur la question des restes humains patrimonialisés, définis par l'ICOM comme des collections sensibles.
C'est pour ces raisons qu'il était, à mon sens, important que le Sénat puisse une nouvelle fois se positionner dans le débat actuel sur les restitutions, relancé par le discours du Président de la République en 2017 à Ouagadougou, et par le rapport Sarr-Savoy, dont les propositions, pour le moins radicales et parfois excessives, ont fait beaucoup de bruit tant elles remettent en cause notre droit du patrimoine. On sent bien qu'il existe aujourd'hui un réel besoin de clarification de la position française sur ce sujet car, en l'état, ce sont les propositions du rapport Sarr-Savoy qui servent de référence pour les pays africains demandeurs, à défaut de documents émanant des ministères ou de la CSNC sur le sujet, si cette dernière avait pu ou voulu y réfléchir.
Je suis convaincue que notre pays n'a plus d'autre choix que de s'emparer du sujet. Les demandes de restitution se multiplient. Notre pays est de plus en plus isolé au sein de l'Unesco sur ces questions. C'est un vrai enjeu éthique, auquel les opinions publiques sont elles aussi de plus en plus sensibles. Mais, il ne faut pas le faire n'importe comment. Il faut y réfléchir lucidement pour concilier le droit de chacun à avoir accès, dans son pays à son propre patrimoine et au patrimoine commun de l'humanité, sans obérer les capacités de nos propres musées à remplir leurs missions.
Vous savez que la crise sanitaire nous a conduit à décaler le calendrier de travail que nous nous étions initialement fixé, et c'est pour cette raison que nous ne vous présentons qu'aujourd'hui le rapport définitif de la mission d'information. Mais je crois que le moment est finalement plutôt opportun après les développements des derniers mois et l'examen hier, par notre assemblée, en nouvelle lecture, du projet de loi relatif à la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal. Nous avons eu ainsi la possibilité d'approfondir le sujet depuis le rapport de mi-parcours que nous avions présenté en juillet.
Nous avons très largement consulté les parties prenantes au cours de l'année écoulée : le ministère de la culture, le ministère des affaires étrangères, notre ambassadrice auprès de l'Unesco, plusieurs ambassades de pays étrangers, différents musées en France et à l'étranger, mais aussi des spécialistes en histoire de l'art, en anthropologie ou en ethnologie, et des organisations internationales à savoir l'Unesco et l'ICOM.
Je voudrais citer les autres collègues du groupe de travail - Claudine Lepage, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté, Jean-Raymond Hugonet - avec lesquels nous avons toujours travaillé en bonne intelligence sur le sujet, mais aussi exprimer une pensée particulière pour notre ancien collègue Alain Schmitz qui s'est beaucoup investi sur cette mission, dont il était l'un des co-rapporteurs, jusqu'au terme de son mandat en septembre dernier. Je cède la parole à Pierre Ouzoulias et Max Brisson qui vous présenteront le diagnostic et les propositions.