Intervention de Max Brisson

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 décembre 2020 à 9h32
Restitutions des oeuvres d'art — Présentation du rapport d'information

Photo de Max BrissonMax Brisson, co-rapporteur :

J'ai une pensée pour Alain Schmitz, dont j'ai pris la relève à mi-parcours de la mission. Catherine Morin-Desailly et Pierre Ouzoulias m'ont beaucoup aidé à m'immerger dans ce dossier qui met en jeu des questions complexes. Les demandes de restitution ébranlent un principe à la fois fondateur et fondamental de nos musées, celui de l'inaliénabilité, qui a été déterminant pour l'enrichissement des collections et la préservation de leur cohérence. Elles questionnent également la légitimité des musées à vocation universelle, conception autour de laquelle nos musées se sont construits.

Les restitutions soulèvent des enjeux multiples et souvent contradictoires. D'où la difficulté à fixer des critères permanents et à définir une doctrine. Les auditions ont clairement montré que la réflexion n'est pas encore très aboutie d'autant que, comme l'a souligné Catherine Morin-Desailly, l'exécutif n'a pas toujours fait preuve de la meilleure volonté sur le sujet.

Je prendrai un seul exemple pour illustrer les enjeux contradictoires et la complexité soulevés par les demandes de restitution en évoquant la nature des biens susceptibles de pouvoir être restitués. D'un point de vue sémantique, seuls les biens mal acquis devraient pouvoir faire l'objet d'une restitution au sens strict. Tous les biens qui constituent un symbole du patrimoine des pays demandeurs ne sont pas forcément des biens mal acquis. On peut d'ailleurs se demander comment apprécier le caractère illicite de l'acquisition ? Le seul contexte colonial suffit-il par exemple, comme le suggèrent Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, pour fonder la légitimité d'une restitution, quelles qu'en aient été les modalités d'acquisition pendant cette période ? Ou faut-il se concentrer uniquement sur les cas dans lesquels il est avéré que l'acquisition s'est faite, soit par la violence, soit sous la contrainte ? Sur qui faire alors reposer la charge de la preuve du caractère illicite de l'acquisition ?

De même, les biens entrés dans les collections à la suite d'un don ou d'un legs peuvent-ils faire l'objet de restitution ? Comment dans ce cas gère-t-on la situation avec d'éventuels ayants droit qui se feraient connaitre postérieurement à la restitution ?

C'est pour cela que nous avons dit avec force que toute restitution doit être précédée d'une analyse scientifique au cas par cas des demandes, pour faire ressortir correctement l'origine, le parcours historique et les conditions d'entrée dans les collections des biens réclamés au regard de la motivation de la demande. C'est ce qui explique le regard critique que nous portons sur la méthode actuelle du Gouvernement. Nous la considérons inappropriée et dangereuse pour l'inaliénabilité des collections. Les décisions du Gouvernement ont été prises essentiellement sur la base de motifs diplomatiques, sans que la communauté scientifique ait pu faire entendre sa position sur l'opportunité et la pertinence de ces restitutions.

Or, l'intérêt des restitutions n'est pas simplement diplomatique. Les restitutions peuvent être bénéfiques sur le long terme pour le pays demandeur comme pour la France si l'on prend le temps de construire autour d'elles des partenariats scientifiques et culturels. C'est pour cela que nous regrettons aussi que le Gouvernement dévoie la procédure de dépôt. Le recours à cette procédure empêche tout débat scientifique. Il transforme le Parlement en chambre d'enregistrement. Il crée des précédents en matière de restitutions en dehors de tout consensus préalable. Sans compter qu'il prive les musées du temps nécessaire pour la recherche, l'étude, la numérisation ou la copie du bien qui est remis et qu'il restreint, comme je l'ai déjà dit, l'opportunité pour la communauté scientifique de développer des échanges avec leurs homologues étrangers à l'occasion des restitutions.

C'est pourquoi nous considérons qu'il faut mettre en place une autre méthode que celle aujourd'hui employée. Nous préconisons une méthode qui repose avant tout sur une démarche scientifique fondée sur une contextualisation historique. Il est souvent nécessaire d'en revenir à l'histoire. Comme les demandes de restitution sont souvent justifiées par des demandes mémorielles, nous estimons qu'une approche historique peut pacifier les débats. Cette démarche scientifique aurait pour vertu de faciliter la formation d'un consensus.

Nous formulons sept propositions dans ce domaine. La première, c'est la mise en place du Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels extra-européens, que notre commission avait introduit dans le cadre du projet de loi relatif à la restitution des biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal. Il permettrait de garantir une continuité à la réflexion de notre pays en matière de restitution et une prise en compte des intérêts scientifiques et culturels attachés aux demandes de restitution. Je ne m'attarde pas davantage sur ce sujet sur lequel nous nous sommes tous exprimés, de manière quasi consensuelle, en séance hier.

Notre deuxième proposition, c'est de pouvoir associer des scientifiques des pays d'origine de certains biens de nos collections publiques à la mission d'inventaire de ces biens. Il pourrait s'agir d'un bon moyen pour leur permettre de se rendre compte de la réalité de la composition de la collection, des conditions et du soin apporté à leur conservation et des travaux de recherche auxquels ils donnent lieu. Cela donnerait du sens au dialogue des cultures.

Notre troisième proposition, c'est de faire de la recherche de provenance une véritable priorité politique. Il faudra des moyens humains et financiers pour permettre aux musées de remplir cette mission nouvelle.

Pour les aider à réaliser ce travail dans des délais raisonnables, nous suggérons qu'il soit proposé aux étudiants de l'Institut national du patrimoine et de l'École du Louvre d'y contribuer, ainsi qu'au monde universitaire et de la recherche. C'est notre quatrième proposition.

Notre cinquième proposition porte sur la formation des conservateurs aux enjeux et à la méthodologie en matière de recherche de provenance car il est évident qu'il s'agit d'une question appelée à monter en puissance. Il faut qu'elle soit abordée dans la formation initiale de base des futurs conservateurs de musées.

Au-delà de ces questions de recherche de provenance, nous nous sommes rendu compte que les restitutions posaient la question de la manière dont les pièces extra-occidentales sont valorisées dans nos musées et si elles étaient vraiment utilisées pour raconter une histoire, une mémoire et des valeurs. D'où notre sixième proposition, qui consiste à demander aux musées de contextualiser davantage les collections extra-occidentales en collaborant avec les pays dont les oeuvres sont originaires pour raconter leur histoire.

Notre septième proposition vise à ce qu'il soit conservé une trace des pièces restituées dans les musées français dans lesquels elles étaient conservées. Nous pensons que cette trace, qu'il s'agisse d'une numérisation, d'une copie ou autres pourrait constituer une base intéressante dans le parcours muséographique pour faire réfléchir le visiteur sur l'histoire passée et le sens de la démarche de restitution.

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