Intervention de Catherine Morin-Desailly

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 décembre 2020 à 9h32
Restitutions des oeuvres d'art — Présentation du rapport d'information

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly, présidente de la mission d'information :

Je me charge de vous présenter notre quinzième et dernière proposition, qui concerne la question des restes humains. Le législateur avait demandé à la CSNC, à l'occasion de la loi sur les têtes maories, d'engager un travail sur la restitution des restes humains. Les musées et les universités possèdent environ 150 000 pièces, de diverses natures (ossements, squelettes complets), dont 7 000 proviendraient de peuples étrangers. Certaines y sont conservées à titre de dépôts effectués par des personnes privés : elles leur appartiennent toujours. Mais, la majeure partie de celles qui appartiennent aux collections publiques les ont intégrées à la suite de dons et de legs. La dignité attachée au corps humain reste protégé par-delà la mort : par conséquent, ces collections ne peuvent être ni achetées, ni vendues, mais seulement acquises par libéralité. En découle le fait que ces pièces sont non seulement protégées par le principe d'inaliénabilité, mais que leur déclassement est également impossible, ce qui rend très difficile leur sortie des collections, à moins d'une intervention spécifique du législateur.

Le travail mené au sein de la CSNC a rapidement montré que la question des restes humains ne pouvait pas être traitée sous le seul angle de la restitution. Il y a aussi tout un enjeu autour de la manière dont ces pièces sont traitées et valorisées au sein des collections. C'est ce qui a conduit à la mise en place d'un groupe de travail pluridisciplinaire par le ministère de la culture et le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation - les deux ministères de tutelle des muséums d'histoire naturelle. Il était animé par le professeur Michel Van Praët, avec l'appui de Claire Chastanier, adjointe au sous-directeur des collections au service des musées de France au ministère de la culture.

Ce groupe a conduit un travail complet pour identifier des critères qui permettraient de justifier des restitutions ponctuelles. Premièrement, il a estimé que la demande devait porter sur des restes humains identifiés. C'était le cas des têtes maories, cela pourrait être celui des corps des opposants que nos armées ont pu ramener dans le cadre de prises de guerre. Deuxièmement, le groupe de travail a considéré que la demande devait émaner d'un État démocratiquement élu relayant le souhait d'une famille ou d'une communauté existante - c'était bien le cas pour les têtes maories. Troisièmement, il a jugé que la demande devait être justifiée à la fois au regard du principe de dignité humaine, ce qui fait référence aux conditions dans lesquelles les restes ont été collectés - dans le cas des têtes maories, l'existence d'actes barbares ayant entraîné la mort -, et du respect des cultures et croyances des autres peuples, ce qui renvoie à la finalité de la restitution. Enfin, il a jugé important que la restitution permette d'initier une réflexion commune avec le pays demandeur sur ce qu'elle représente. En revanche, il n'a pas jugé pertinent d'imposer comme critère la perte d'intérêt scientifique, dans la mesure où la communauté scientifique estime que les avancées techniques et conceptuelles pourront à tout moment redonner un intérêt à une pièce qui ne paraissait plus en avoir.

Comment restituer ces restes humains, dont le nombre serait, en fin de compte, assez circonscrit ? Compte tenu de cet accord autour des critères, nous pourrions envisager, de faire appel au juge pour faire sortir les restes humains concernés des collections publiques dans le cadre d'un recours visant à annuler leur acquisition. C'est ce que préconisait le groupe de travail. Ce serait beaucoup plus efficace que des lois de circonstances : imaginez que nous devions discuter 4 000 projets de loi s'il devait y avoir 4 000 pièces concernés ! Il faudrait évidemment que chaque pièce soit examinée au préalable, pour déterminer son origine, son parcours et sa compatibilité avec les différents critères. Le groupe de travail propose qu'une équipe composée de scientifiques français et de scientifiques de l'État demandeur s'en charge. Je crois que cette procédure pourrait constituer une immense avancée sur le chemin de la restitution d'une partie des restes humains.

Nous proposons donc de déposer, dès le mois de janvier, une proposition de loi visant à faciliter la restitution des restes humains revendiqués par des pays tiers, sur la base de la procédure judiciaire et des critères suggérés par le groupe de travail que je viens de vous exposer. Vous voyez, avec l'ensemble de ces propositions, que notre mission d'information formule des pistes très concrètes qui permettront d'assurer un véritable continuum à la réflexion dans les années à venir, contrairement à la procédure retenue par le Gouvernement aujourd'hui.

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