Intervention de Erik Orsenna

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 26 novembre 2020 à 8h30
Audition de M. Erik Orsenna de l'académie française

Erik Orsenna, membre de l'Académie française :

Sur l'effort, peut-être pourrais-je vous répondre en évoquant la mission sur l'ouverture des bibliothèques que je continue à mener, et au titre de laquelle j'ai récemment été entendu par les commissions des affaires culturelles de l'Assemblée nationale et du Sénat. Les statistiques sur le rapport des Français à la culture montrent que la consommation l'emporte sur la pratique. Or, contrairement, par exemple, à un film ou une série télévisée, la lecture n'est pas un simple acte de consommation : c'est une co-création, donc une pratique, car le lecteur doit y mettre du sien, et prendre du recul.

Sur les neurosciences, nous sommes face à un risque, mais aussi à une opportunité. J'ai 73 ans, et je me suis mis au piano il y a cinq ans, avec les résultats que l'on devine : qu'en serait-il si l'implantation d'une puce électronique pouvait me permettre de devenir Glenn Gould ? Mais à l'inverse, qu'est-ce que la vie si ce n'est un parcours, une suite de choix ? À 30 ans, je me suis dit que j'aurais un jour le prix Goncourt : il m'a fallu dix ans de plus, mais au final, c'est bien le parcours qui compte.

S'agissant du rythme : lorsque j'ai écrit mon premier livre comme vulgarisateur scientifique - je préfère le terme italien de divulgatore, moins insultant, plus malin aussi -, j'ai appris une chose importante : pour comprendre un mécanisme vivant, il faut comprendre tous les rythmes auxquels il est soumis. La mer, ce sont les six heures entre chaque marée, mais ce sont aussi les 1 200 ans de la circulation thermohaline. Ce qui vaut pour la mer vaut pour tous les organismes vivants, y compris nous, y compris la nation.

S'agissant des librairies, il me semble inacceptable qu'un gouvernement décrète que certains commerces sont essentiels alors que d'autres ne le sont pas. « Vous ouvrez le Panthéon et vous fermez les librairies », ai-je entendu : « quel symbole faut-il y voir ? ». Ou encore, en allusion au titre du recueil de Maurice Genevoix : « Ceux de 14 oui, mais ceux d'après non ? ». La culture, c'est l'inverse de la dépression : avec la culture, on est plus que soi-même, avec la dépression, on est moins que soi-même.

S'agissant de la défiance à l'égard des vaccins, je vous avoue que je ne sais pas comment faire. J'étais récemment à Lisbonne pour la « Nuit des idées », où j'ai discuté avec le secrétaire général de l'association des « platistes » lisboètes : exposer des faits à des gens convaincus du contraire ne sert à rien. Pourtant, si l'on arrête de vacciner les gens, la maladie repart immédiatement. La situation est du reste mauvaise en France car nous avons tendance à valoriser le soin davantage que la prévention - il suffit pour s'en convaincre de penser à la hiérarchie qui existe, en termes d'honneurs comme d'argent, entre un chirurgien et un professeur de santé publique.

Pour toutes ces questions, il faut penser de manière globale. J'ai écrit une thèse d'économie, une thèse d'État présentée devant Raymond Barre, certes, mais une thèse néanmoins très mauvaise. Si je devais la refaire, je parlerais de deux choses : le prix et le coût. On ne parle jamais du second.

Face à la déshumanisation qu'apporte la révolution numérique, je suis également impuissant. Et quand je ne comprends pas un phénomène, j'écris un livre dessus.

En réponse à la question sur la représentation des territoires, sachez que je suis favorable au cumul des mandats. Législateur n'est pas un métier mais une mission. Je regrette qu'il ait été supprimé.

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