Je veux saluer Patrick Chaize, auteur de la proposition de loi et les deux rapporteurs au fond Guillaume Chevrollier et Jean-Michel Houllegatte pour leur écoute et le travail que nous avons conduit, dans un esprit de co-construction. Cette proposition de loi pointe un aspect du numérique qui n'est pas toujours bien connu : son empreinte environnementale. Contrairement à ce que certains imaginent, le numérique n'est pas immatériel. Nous connaissons bien, en tant qu'élus, les enjeux qui pèsent sur le déploiement des réseaux télécoms, qui permettent l'échange des données, et nous nous efforçons d'en faire bénéficier tous les territoires dans les meilleurs délais. Nous connaissons moins bien, en revanche, les centres de données, points névralgiques du numérique, qui hébergent ces données - emails, conversations, photos - et nous donnent accès à des services cloud, professionnels ou personnels.
Nous sommes tous propriétaires d'un ou plusieurs terminaux : téléviseur, ordinateur portable, smartphone, box internet et TV, etc. Tous ces biens matériels nécessitent des ressources pour être produits, distribués, et pour fonctionner. Le volet immatériel du numérique, à savoir les services en ligne, implique, selon nos usages, une quantité plus ou moins importante de matériel associé.
Régulièrement, les réseaux augmentent leurs capacités pour permettre de nouveaux usages qui exigent eux-mêmes de nouveaux terminaux et de nouvelles capacités de stockage. Compte tenu des progrès technologiques, des nouvelles attentes et des nouveaux besoins sociétaux, cette dynamique d'augmentation exponentielle n'est pas près de s'arrêter. C'est cette perspective qui a conduit nos collègues à déposer cette proposition de loi.
De fait, aujourd'hui, l'impact environnemental du numérique apparaît encore, en France, relativement limité : il représenterait, selon le rapport commandé par la mission d'information à l'origine de cette proposition de loi, 2 % des émissions de gaz à effets de serre, soit un peu moins que le secteur aérien. Mais la dynamique que je viens d'évoquer pourrait faire passer cette proportion à 7 % d'ici à 2040.
En cohérence avec la stratégie nationale bas-carbone, il est donc urgent de maîtriser les impacts environnementaux de ces technologies dont les usages connaissent une inflation galopante. Je rappelle que la France s'est fixé pour objectifs, à l'horizon 2050, la neutralité carbone et une baisse de la consommation énergétique de 50 % par rapport à 2012.
Il s'agit donc de mieux connaître les avantages et les inconvénients liés au déploiement des technologies numériques afin d'établir un bilan consolidé de leur impact environnemental. L'Agence de la transition écologique (Ademe) a par exemple montré récemment que le télétravail avait un bilan environnemental plutôt positif. Mais, à ce stade, il apparaît que l'explosion prévisible des usages ne serait pas compensée par les progrès technologiques, en tout cas pas suffisamment pour réduire l'empreinte environnementale du numérique.
Pour atteindre cet objectif de soutenabilité du numérique, il faut faire émerger des pratiques plus vertueuses chez l'ensemble des acteurs du numérique : fabricants de terminaux et d'équipements, concepteurs de logiciels et d'applications, distributeurs, opérateurs, mais aussi usagers.
Là où il s'agit d'instaurer une régulation, il faut aussi avoir à l'esprit quelques réalités de cette filière en construction.
Premièrement, les acteurs numériques domestiques connaissent certes un contexte favorable de croissance, mais ils sont soumis à une forte concurrence internationale. La crise et les bouleversements économiques qu'elle engendre ont conduit la France à afficher une stratégie de souveraineté nationale dans laquelle le numérique a une place de choix. Il faut donc réguler en mesurant bien les impacts d'une réglementation franco-française, et même européenne. Faute d'être bien ajustée, en effet, celle-ci pourrait en définitive handicaper les entreprises nationales, voire européennes, et donc favoriser l'hégémonie de quelques grandes firmes, ce qui serait contraire à nos objectifs.
Deuxièmement, le progrès technologique, en matière numérique, est permanent. Les cadres et les règles édictés peuvent donc rapidement s'avérer inadaptés, voire désuets. Autrement dit, il faut faire preuve de discernement pour réguler sans fragiliser.
Quelques chiffres pour étayer mon propos : l'impact environnemental majeur provient, nous le savons, des terminaux, qui se sont multipliés, et en particulier des écrans, que nous possédons en nombre dans nos habitations et nos bureaux. Ces terminaux représentent 81 % des émissions de gaz à effet de serre du numérique en France, contre 14 % pour les data centers et 5 % pour les réseaux, selon les estimations du rapport commandé par la mission d'information. Ces données fixent l'ordre de nos priorités : la contrainte doit avant tout peser sur les acteurs des terminaux.
Autres chiffres éclairants : comme c'est le cas en général pour l'empreinte carbone des Français, les émissions de gaz à effet de serre du numérique en France sont principalement importées, à hauteur de 80 %. Ainsi la consommation numérique des Français représente-t-elle moins de 1 % des émissions générées par le numérique au niveau mondial. Ce constat ne nous donne bien sûr aucun motif pour ne rien faire, mais nous oblige à coordonner autant que possible nos initiatives à l'échelle européenne, voire internationale, si nous voulons être réellement efficaces pour la planète et faire plus que de la communication.
La question que pose ce texte précurseur et ambitieux est celle de savoir comment agir. L'approche qui s'impose aujourd'hui par son efficience est celle d'une gouvernance partagée du numérique, une corégulation associant État, acteurs économiques et usagers, chacun se contrôlant mutuellement et ayant une responsabilité identifiée dans le système ainsi créé.
L'État, avec le règlement général sur la protection des données (RGPD), a affirmé son rôle de protecteur des usagers. Les acteurs économiques reconnaissent désormais l'importance et l'intérêt de ce cadre, et les initiatives du type Tech for Good ou planet-techcare.green témoignent de cette prise de conscience.
Quant au rôle de l'usager, il n'est pas à négliger, car toutes les contraintes imposées aux constructeurs et distributeurs seront d'autant plus vertueuses que les usagers seront eux-mêmes responsables : pour décliner les bonnes pratiques dans leurs usages quotidiens, les consommateurs doivent connaître, et surtout comprendre, le sens de cette régulation ! Ils demandent d'ailleurs de plus en plus à tenir ce rôle, comme la convention citoyenne pour le climat l'a montré.
À nous, législateur, de trouver la ligne de crête entre deux écueils : ne pas en faire assez et se satisfaire d'un « green washing », ou au contraire trop en faire et fragiliser ainsi les efforts et la créativité de nos entreprises nationales.
Pour faire ces choix et motiver nos décisions, il convient aussi de disposer de méthodes standardisées et de données incontestables permettant d'établir des référentiels ; tel est l'objet de plusieurs amendements qui, d'une part, reportent l'entrée en vigueur des dispositifs à 2023 afin de ménager du temps pour la création de ces référentiels, et, d'autre part, permettent à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) de recueillir les données nécessaires auprès des opérateurs télécoms.
C'est dans cet esprit que j'ai appréhendé cette proposition de loi préfiguratrice d'un ordre nouveau du numérique, avec pour viatique les mots-clés suivants : transparence, ambitions, responsabilisation et incitation.
Je vous proposerai de suivre l'approche ambitieuse des auteurs du texte, mais en privilégiant une méthode incitative, en tout cas dans une première phase, qui pourrait coïncider avec le temps que prendront les prises de positions européennes en la matière et leur transcription en droit français. La Commission européenne, que nous avons auditionnée, nous a en effet annoncé de nombreuses mesures à venir. Ces dispositions incitatives pourraient ainsi être mises en oeuvre dès la définition des référentiels, fruit d'un travail actuellement en cours entre l'Arcep et l'Ademe.
Je vous proposerai donc un certain nombre d'amendements visant à mettre le texte en conformité avec les directives européennes, tant sur le fond que concernant le délai de mise en oeuvre, en matière de lutte contre l'obsolescence logicielle ; à compléter l'information des usagers sur les mises à jour, pour plus de transparence et de responsabilité ; à confier des pouvoirs supplémentaires à l'Arcep en matière de collecte des données environnementales, pour une régulation plus éclairée des réseaux ; à créer une incitation fiscale à destination des exploitants de data centers et des opérateurs de réseaux les plus vertueux, qui souscriront des engagements de réduction de leurs impacts environnementaux.
Il y aurait donc, dans la proposition de loi ainsi modifiée, trois grands axes à retenir pour ce qui concerne les volets dont la commission des affaires économiques est saisie : concernant les terminaux, qui sont la cible essentielle, de plus amples moyens sont accordés à la lutte contre l'obsolescence programmée et contre l'obsolescence logicielle au bénéfice du consommateur ; une obligation d'écoconception est créée pour les services en ligne qui utilisent le plus de bande passante en France, à savoir les quatre grands acteurs qui monopolisent 55 % du trafic ; les exploitants d'infrastructures numériques, data centers et opérateurs de réseaux télécoms, sont incités à verdir le plus possible leur activité, sans même attendre la transcription des dispositifs européens.