Mon collègue Jean-Michel Houllegatte et moi-même allons vous présenter notre rapport sur la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France, que nous avons déposée en octobre dernier pour traduire les propositions législatives de la feuille de route pour une transition numérique écologique, issue de la mission d'information de notre commission.
Je ne reviens pas sur les enjeux de ce sujet essentiel, qui s'inscrivent dans le cadre du respect des engagements climatiques pris au travers de l'accord de Paris, dont nous venons de fêter les cinq ans.
Je veux présenter en quelques mots notre état d'esprit tout au long de la mission et de nos travaux sur cette proposition de loi. Notre objectif a toujours été clair : le numérique, grâce aux gains environnementaux qu'il permet, notamment dans les secteurs industriels les plus émetteurs de gaz à effet de serre, est indispensable à la transition écologique. Au sein de notre commission, nous avons toujours été favorables au déploiement du numérique sur l'ensemble du territoire, mais nous voulons un numérique vertueux du point de vue environnemental. Les innovations numériques rendent possible l'amélioration de notre efficacité énergétique et de l'utilisation durable de nos ressources.
Néanmoins, aux gains environnementaux indéniables de ce secteur en très forte croissance sont associés des impacts directs et quantifiables sur les émissions de gaz à effet de serre, l'utilisation des ressources abiotiques, la consommation d'énergie et l'utilisation d'eau douce. C'est dans ce cadre que s'inscrit notre travail. Pour accompagner cette nécessaire transition numérique, indispensable pour notre économie et pour nos territoires, nous devons faire en sorte qu'elle s'inscrive au plus vite dans une trajectoire climatique soutenable. Pour ce faire, nous avons identifié quatre priorités : l'information, l'éducation et la disponibilité de données fiables et objectivées ; la lutte contre le renouvellement des terminaux ; la promotion d'usages du numérique écologiquement vertueux ; et le développement de réseaux et de centres de données moins énergivores.
J'en viens au contenu de la proposition de loi, qui s'articule autour de quatre axes liés à ces priorités.
Le premier axe vise à faire prendre conscience de l'impact environnemental du numérique. L'idée est de toucher les citoyens, dès leur plus jeune âge, mais aussi les acteurs publics et les entreprises, afin de développer une culture de la sobriété numérique.
L'article 1er fait de la sensibilisation à l'empreinte environnementale du numérique une composante de la formation à l'utilisation responsable des outils numériques à l'école.
L'article 2 conditionne l'obtention, par les ingénieurs en informatique, de leur diplôme à la remise d'une attestation de compétences acquises en écoconception logicielle. Néanmoins, il nous paraît plus opportun de prévoir une généralisation des modules relatifs à l'écoconception des services numériques dans les formations accréditées pour délivrer le titre d'ingénieur diplômé en informatique, afin de permettre l'émergence de ce que l'on pourrait appeler une « écologie du code » dans ce secteur professionnel ; nous proposerons un amendement en ce sens.
L'article 3 crée un observatoire de recherche des impacts environnementaux du numérique, placé auprès de l'Agence de la transition écologique (Ademe), pour analyser et quantifier les impacts directs et indirects du numérique sur l'environnement ainsi que sa contribution à la transition écologique. Disposer de chiffres et de méthodologies fiables est un préalable indispensable à la réduction de l'empreinte environnementale du numérique. Cette disposition est attendue par tous les acteurs que nous avons consultés.
L'article 4 prévoit d'inscrire cet impact dans le bilan de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ; nous vous proposerons une date d'entrée en vigueur de cet article permettant à la méthodologie commune et conforme aux standards internationaux, actuellement en cours d'élaboration par l'Ademe, d'être opérationnelle.
Enfin, l'article 5 crée un crédit d'impôt à la numérisation durable des petites et moyennes entreprises afin d'inciter, d'une part, à acquérir des équipements numériques reconditionnés et, d'autre part, à faire réaliser des études d'impact environnemental de leurs services numériques. Conformément à l'esprit global de la proposition de loi, visant à faire converger les transitions, cet outil permettra d'accélérer la numérisation des PME, tout en assurant une numérisation durable.
Le deuxième axe de la proposition de loi consiste à limiter le renouvellement des terminaux, principaux responsables de l'empreinte carbone du numérique. Dans la mesure où l'inversion de la charge de la preuve, prévue à l'article 6 du présent texte, pose des difficultés au regard du droit pénal, nous vous proposerons de conserver l'objectif poursuivi, qui est de rendre opérant le délit d'obsolescence programmée, aujourd'hui concrètement inapplicable - il n'y a pas eu de condamnation depuis 2015, année de création de ce délit -, en supprimant l'un des deux critères requis pour le caractériser.
Les articles 7 à 10 ont pour objet de lutter contre l'obsolescence logicielle, en intégrant cette dernière dans la définition de l'obsolescence programmée figurant dans le code de la consommation, en imposant aux vendeurs une dissociation des mises à jour correctives et des mises à jour évolutives, en augmentant de deux à cinq ans la durée minimale pendant laquelle le consommateur doit pouvoir recevoir des mises à jour nécessaires au maintien de la conformité de ses biens et en permettant à l'utilisateur ayant installé une mise à jour de rétablir les versions antérieures des logiciels. Nous vous proposerons des amendements tendant à prévoir des dates d'entrée en vigueur de nature à permettre aux acteurs de s'organiser et nous examinerons un certain nombre de propositions d'ajustement suggérées par la commission des affaires économiques.
L'article 11 augmente de deux à cinq ans la durée de la garantie légale de conformité pour les équipements numériques.
L'article 12 vise à ce que les objectifs de recyclage, de réemploi et de réparation fixés par les cahiers des charges des éco-organismes de la filière des déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE) soient déclinés pour certaines catégories d'équipements numériques.
L'article 13 concerne la commande publique. Pour en faire un levier d'accroissement de la durabilité des produits numériques, il prévoit la prise en compte de critères de durabilité des produits dans les achats publics de certains produits numériques. Vous avez été quelques-uns à déposer des amendements allant dans le même sens.
Enfin, l'article 14 réduit le taux de TVA sur la réparation de terminaux et l'acquisition d'objets électroniques reconditionnés pour limiter les achats neufs. Nous savons les difficultés de conformité au droit européen soulevées par cet article, mais nous souhaitons proposer au Sénat d'exprimer une position forte sur le sujet, afin de peser dans le processus de révision de la directive TVA engagé à l'échelon européen.