J'ai effectivement été chargé d'une mission de réflexion sur l'avenir de la profession d'avocat par Nicole Belloubet dans le contexte extrêmement tendu d'une crise ouverte entre les avocats et le Gouvernement. Si, lors de sa mise en place, la mission a été largement critiquée, elle a toutefois pu travailler dans des conditions sereines.
J'ai tout d'abord veillé à ce que la mission soit principalement composée d'avocats - sept membres sur neuf le sont ou l'ont été. J'ai souhaité qu'en soient membres des avocats parisiens, comme Jean-Michel Darrois, mais aussi deux magistrates, l'une de l'ordre judiciaire, Isabelle Gorce, première présidente de la cour d'appel de Bordeaux, l'autre de l'ordre administratif, Christine Maugüé, conseillère d'État. Ce choix s'est révélé fort utile, puisque certaines propositions visent à renforcer les relations entre avocats et magistrats.
Je dirai un mot de notre méthode de travail : nous ne voulions pas réaliser un énième rapport, mais faire des propositions susceptibles d'être mises en oeuvre rapidement. Nous avons auditionné l'ensemble des organisations professionnelles des avocats, mais aussi des magistrats, ceux du parquet comme ceux du siège, ainsi que les organisations représentatives des juristes d'entreprise. Entre chaque séance d'auditions, nous avons su travailler de manière constructive et pragmatique pour dégager des recommandations communes.
Nos travaux ont débouché sur trois types de propositions : d'abord, des mesures à effet rapide pour améliorer la situation économique des avocats ; ensuite, des mesures pour faire évoluer leur offre de services ; enfin, des mesures destinées à renforcer les relations entre magistrats et avocats.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je souhaite vous livrer deux chiffres très révélateurs : au cours des vingt dernières années, le nombre d'avocats a doublé et le chiffre d'affaires de la profession a triplé. Cela montre à la fois que la profession se porte bien et que la problématique n'est pas globale. Il s'agit en effet d'une profession très hétérogène : les avocats qui souffrent le plus et qui se trouvent dans une situation économique très difficile, aggravée à la fois par les grèves et la crise liée à l'épidémie de covid-19, sont pour l'essentiel des avocats exerçant à titre individuel, travaillant sur des questions judiciaires, et acceptant l'aide juridictionnelle, souvent dans des territoires économiquement fragiles.
Au titre des mesures visant à améliorer la situation économique des avocats, nous proposons tout d'abord de revaloriser le barème de l'aide juridictionnelle, en faisant passer l'unité de valeur de 32 euros à 40 euros, ce qui correspond à une hausse de 30 millions d'euros du budget de l'aide juridictionnelle. Nous souhaitons également améliorer la qualité des services rendus au justiciable. Après avoir notamment auditionné les spécialistes de la chancellerie chargés de cette question, il est apparu nécessaire de revaloriser les modes alternatifs de règlement des différends (MARD). Nous voudrions par exemple que les frais de déplacement des avocats soient pris en compte.
Nous souhaiterions par ailleurs faciliter le recouvrement des honoraires des avocats en permettant au bâtonnier d'assortir ses décisions de l'exécution provisoire. Cette proposition était très attendue, notamment par le bâtonnier de Paris.
Autre point peut-être plus intéressant sur le fond, nous suggérons d'améliorer le dispositif de l'article 700 du code de procédure civile, qui permet aux juges de condamner les parties perdantes à verser à leur adversaire une certaine somme visant à compenser les frais irrépétibles. Aujourd'hui, il existe une réticence de la part de certains avocats à faire part du montant de leurs honoraires. C'est pourquoi nous proposons une évolution qui va dans le sens d'une meilleure prise en compte des frais réels.
Une réflexion sur l'éventuel rapprochement entre notre système judiciaire et le modèle allemand, dans lequel le financement de la justice repose davantage sur les prélèvements opérés sur les parties perdantes, est d'ailleurs actuellement en cours. Cela irait à l'encontre de notre modèle actuel d'accès à la justice sans frais. Dans notre esprit, l'évolution de l'article 700 ne constitue qu'un pas modeste et circonstancié dans cette direction.
Nous recommandons aussi de mieux protéger les avocats collaborateurs. Actuellement, en cas de suspension du contrat, ceux-ci n'ont aucune garantie de toucher des indemnités de chômage. Aujourd'hui, les collaborateurs, de leur propre initiative, peuvent souscrire une assurance individuelle. Nous préférerions encourager la mise en place d'un système d'assurance collective, qui permettrait d'imposer aux barreaux une rémunération minimale à ces collaborateurs pendant un, deux ou trois mois. Une telle expérimentation est actuellement menée à Rouen. Nous ne plaidons pas pour une évolution vers le salariat, mais il s'agirait d'une mesure de soutien en faveur des jeunes.
Enfin, nous suggérons diverses mesures pour favoriser l'égalité entre les femmes et les hommes au sein de la profession. Nous souhaitons, non pas contraindre, mais soumettre les cabinets à une obligation de transparence dans ce domaine. Nous nous sommes fondés sur l'expérience de Dominique de La Garanderie, ancienne bâtonnière et membre de la mission, qui porte ce dossier depuis longtemps.
J'en viens maintenant à la deuxième série de mesures que nous proposons, qui visent à faire évoluer l'offre des avocats.
Même si la formation ne faisait pas partie du périmètre de notre mission, nous avons réfléchi à cette question en proposant de réformer la formation initiale, notamment pour pallier une certaine impréparation des jeunes avocats à gérer un cabinet. Nous pensons en effet qu'une meilleure formation en la matière serait bénéfique.
Nous souhaitons également attribuer la force exécutoire à l'acte d'avocat pour favoriser leur intervention dans le cadre des MARD, et uniquement dans ce cadre.
Comme en Allemagne, nous proposons d'adopter une définition de la consultation juridique qui prenne en compte les évolutions à venir de l'intelligence artificielle. Ainsi, les avocats pourraient se saisir des nouvelles technologies et empêcher que ces dernières soient accaparées par des professions non réglementées. Ce combat est primordial pour l'avenir.
Nous voulons favoriser le développement des MARD en les intégrant au barème de l'aide juridictionnelle. Nous avons aussi repris à notre compte les propositions du Conseil national des barreaux (CNB) pour moderniser les structures professionnelles.
Enfin, nous recommandons d'autoriser un accès limité des cabinets d'avocats aux capitaux extérieurs pour favoriser leur développement, et ce de manière assez raisonnable.
La troisième série de mesures est destinée à améliorer les relations entre les magistrats et les avocats.
Nous avons travaillé dans le contexte particulier des affaires des écoutes téléphoniques et des « fadettes », qui ont éclaté au moment où les travaux de la mission ont débuté. Il nous est apparu toutefois impossible de ne pas réfléchir à cet enjeu.
Aussi, nous avons fait des propositions pour mieux associer les avocats à la vie des juridictions et faciliter les parcours professionnels. Nous proposons notamment de faciliter l'accès des avocats en milieu de carrière à la profession de magistrat, en imaginant un dispositif spécifique de recrutement sur titre, couplé à un certain nombre d'épreuves.
Nous avons également formulé plusieurs recommandations pour mieux protéger le secret professionnel : nous pensons qu'il est souhaitable d'élargir les prérogatives du juge des libertés et de la détention (JLD), de sorte qu'il intervienne aussi bien dans des affaires conduites par un juge d'instruction que dans une enquête du parquet, et tant sur des fadettes que des perquisitions ou des écoutes téléphoniques.
Telles sont, dans les grandes lignes, les propositions que nous formulons. Vous le constatez, celles-ci relèvent pour l'essentiel du niveau réglementaire, et seul un petit nombre d'entre elles nécessiteront l'intervention du législateur. En effet, je le répète, nous souhaitions proposer des mesures que le Gouvernement puisse appliquer dans des délais très brefs.