Intervention de Philippe Bonnecarrere

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 décembre 2020 à 9h30
Audition de M. Dominique Perben à la suite de son rapport sur l'avenir de la profession d'avocat

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Nous avons perçu le caractère volontairement très pratique des propositions qui ont été faites. On parle maintenant, dans cette maison, de loi de programmation militaire à hauteur d'homme. Voici des propositions sur la profession à hauteur d'avocat ! Je veux dire par là qu'elles sont très centrées sur la réalité de la vie du métier. Dans l'esprit de chacune et de chacun d'entre nous, il est bien clair que la profession d'avocat va mal. Les grèves qui ont marqué le début de l'année, à propos de la réforme des retraites, ont constitué l'expression d'un malaise plus général.

La situation de la profession d'avocat est une difficulté pour l'ensemble du système judiciaire puisque, dans les trois grandes professions liées au monde du droit, les nouveaux commissaires de justice, réunissant les commissaires-priseurs et les huissiers de justice, ont une structuration d'officier ministériel qui paraît bien fonctionner ; la profession notariale, remarquablement organisée, est une véritable légion romaine et vient de passer un contrat d'objectifs, du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2024, avec la Chancellerie et avec Bercy, lui donnant une visibilité sur l'ensemble des éléments - et, tout à l'heure, en séance, le Sénat, lui donnera le dernier petit bonheur qu'elle espérait, en supprimant l'article 12 de la loi Macron qui la concernait. Reste la profession d'avocat, très diversifiée, qui est plus proche d'une tribu gauloise que des légions romaines. Je me permettrai de vous faire des suggestions sur ce que pourrait être le rôle de notre commission des lois : une première proposition en liaison avec la commission des finances, et une seconde proposition sur le terrain des relations avec la Chancellerie et d'un éventuel contrat d'objectifs et de moyens pour la profession.

Par pitié, monsieur le président, nous devons obtenir un jour connaissance de la situation financière de la profession et de ses revenus ! Bercy prétend ne pas en disposer. La Chancellerie prétend ne pas disposer non plus des éléments - c'est probablement vrai, car c'est une profession qui n'a jamais communiqué, pas même en son sein, ses résultats. Les informations existent, puisque la Caisse nationale des barreaux français (CNBF), qui gère le régime de retraite, reçoit les déclarations de résultat de tous les cabinets. Mais elle refuse de communiquer ces éléments. Pourtant, je ne vois pas comment cela pourrait être refusé, sinon à vous-même, monsieur le président, du moins à la commission des finances, vu les pouvoirs de ses membres.

On a indiqué que la profession d'avocat avait multiplié par deux ses effectifs quand son chiffre d'affaires était multiplié par trois. J'aimerais que cela soit vrai, mais ce chiffre n'a jamais été vérifié, à ma connaissance, et on n'en connaît pas l'évolution dans le temps.

Il y a, dans la profession d'avocat, un mécanisme particulier, qui est le droit de plaidoirie, payé par les justiciables et qui vient alimenter une partie des recettes des régimes de retraite. Cela permet de comprendre ce qui se passe dans la profession. Il y a trois situations. Certains avocats ne plaident jamais, et sont donc représentatifs du barreau judiciaire. Ils déclarent leurs résultats à la CNBF et, comme ils n'ont jamais plaidé, ils sont censés ne pas avoir alimenté par la contribution du justiciable le mécanisme de retraite de la profession, et doivent verser une contribution. Il vous suffit donc d'analyser, dans les chiffres recueillis par la CNBF, la part des revenus des professionnels du juridique. Si vous regardez les droits de plaidoirie qui ont été déclarés, qui font que les avocats n'ont pas à verser de contributions, vous avez automatiquement les résultats du barreau du judiciaire. Pour aller plus loin, l'État payant les droits de plaidoirie qui ont été souscrits dans le cadre de l'aide juridictionnelle, vous pouvez obtenir de manière très aisée les résultats du barreau qui assure l'essentiel de l'aide juridictionnelle. Vous pouvez disposer des éléments du barreau de Paris et des barreaux de province. Bref, il faut absolument que cette profession accepte de regarder en face la réalité de ses chiffres, et que l'on sache si ce qui peut relever d'une apparente prospérité concerne une évolution générale ou si, comme je le pense, il y a des inégalités qui s'accroissent, avec un barreau qui relève de l'activité juridique qui évolue très bien et qui probablement sous-tend les évolutions du chiffre d'affaires qui ont été évoquées, et un barreau qui relève du judiciaire qui continue à diminuer. Sans chiffres fiables, nous n'arriverons jamais à trouver les bonnes solutions et il y aura toujours un malaise.

Par ailleurs, notre commission pourrait porter l'idée d'une contractualisation entre la Chancellerie et, probablement aussi, Bercy. Il faudrait faire ce qui a été fait pour la profession notariale, donner une visibilité, un cadre, pour mettre en oeuvre les propositions qui nous ont été présentées par Dominique Perben. En particulier, il faut s'attaquer à la crise sociale majeure que vivent les jeunes avocats : tout le monde ne peut pas être Maître Dupond-Moretti, tout le monde ne peut pas être une star du barreau pénal ! Or il faut bien assurer la vie de la société, sa vie économique, et c'est le rôle de l'avocat conseil en entreprise, qu'une partie de la profession continue à rejeter, mais qui est un sujet qui doit pouvoir être traité dans un cadre contractualisé, pour que chacun connaisse les limites de l'exercice.

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