Intervention de Marie-Paule Kieny

Commission des affaires sociales — Réunion du 16 décembre 2020 à 9h00
Audition de mmes dominique le guludec présidente et élisabeth bouvet présidente de la commission technique des vaccinations de la haute autorité de santé et marie-paule kieny virologue vaccinologiste et directrice de recherche à l'institut national de la santé et de la recherche médicale sur les vaccins contre la covid-19

Marie-Paule Kieny, virologue, vaccinologiste et directrice de recherche à l'Inserm :

Nous savons tout de même pas mal de choses sur ces vaccins. Nous savons que les premiers ne protègent pas seulement contre les maladies graves mais aussi contre les formes cliniques et donc les formes bénignes de la covid-19. Nous ne savons pas s'ils empêchent ou freinent la transmission du virus ; mais les données obtenues dans les modèles précliniques chez le primate non-humain indiquent qu'il pourrait bien y avoir des différences entre les vaccins et que certains pourraient au moins diminuer la durée ou l'intensité de la transmission chez les personnes déjà touchées.

Nous savons en outre qu'il n'y a pas de traitement en-dehors des corticoïdes pour les formes graves de la covid-19. L'hydroxychloroquine ne fait absolument rien ; le zinc et la vitamine B sont souvent recommandés en complément de l'alimentation mais ne semblent pas avoir d'effet sur la covid-19. Nous sommes donc dans une situation où les vaccins complèteront le respect des gestes barrières et de la distanciation sociale, et nous resterons de nombreux mois dans cette configuration.

Peut-on éradiquer le virus ? La réponse semble clairement négative. Combien de temps vivra-t-on avec le virus ? Nous ne le savons pas. Cela dépendra du virus lui-même, car il est possible, mais pas certain, qu'après une année de circulation sous forme pandémique, le virus devienne endémique, c'est-à-dire se fixe dans la population et donne lieu à des épidémies ponctuelles de moindre ampleur, comme c'est le cas avec d'autres coronavirus bénins tel le virus respiratoire syncytial ou celui de la grippe. Je n'ai pas de boule de cristal, mais ce que nous pensons savoir est qu'il n'est pas possible, en l'état actuel des choses, d'éradiquer un virus présent dans tant de pays. Nous pourrons toutefois trouver des modalités de coexistence avec lui. La vaccination contient à cet égard de grands espoirs.

La vaccination empêchera-t-elle le virus de circuler ? Je ne suis pas modélisatrice ni épidémiologiste, mais le professeur Anderson, au Royaume-Uni, a publié un article indiquant que pour bloquer la circulation du virus, il faudrait sans doute vacciner presque la totalité de la population avec un vaccin efficace durant toute la vie. Nous n'en sommes pas là. Nous devrons donc conjuguer les immunités induites respectivement par la vaccination et par l'infection.

Quel vaccin, et selon quelle méthode ? La HAS sera bien placée pour recommander les vaccins devant être utilisés chez les personnes plus jeunes ou plus âgées en fonction des risques et des caractéristiques des vaccins. Les vaccins à ARN ont produit de bonnes surprises : 80 % d'efficacité, c'est un bon score ; mais des anticorps présents 85 jours, ce n'est pas suffisamment long pour se prononcer. Il est toutefois possible que la protection atteigne une durée de six mois ou un an.

La mortalité par million d'habitants place la France en quinzième position, loin derrière la Belgique, l'Italie, l'Espagne, etc. La mortalité n'est donc pas particulièrement élevée en France.

La logistique du vaccin Pfizer/BioNTech ne sera en effet pas simple. La dilution est une manipulation classique, que les infirmières et les médecins font souvent pour vacciner leurs patients, et ne pose donc pas de problème particulier. Il ne faut en outre pas dépasser douze heures de transport après décongélation : congelé, il peut donc être transporté plus longtemps.

La stratégie vaccinale ne faisant pas partie du mandat du comité scientifique sur les vaccins covid-19, je vous donnerai sur ce point un avis strictement personnel : mon expérience m'invite à penser que plus on fait simple, plus les gens comprennent pourquoi on les vaccine et l'acceptent. La transparence est donc clé. Pour les soignants, il faudrait utiliser ce que les éthiciens appellent la réciprocité : les soignants se mettant et mettant leur famille en danger pour nous soigner, nous devons en conséquence, en tant que société, leur offrir l'accès au vaccin.

Il est bien compris dans la médecine de nos jours que tout acte médical nécessite le consentement éclairé du patient. Cela vaut aussi pour la vaccination, y compris pour les personnes qui n'ont plus leur libre arbitre : il serait sans doute souhaitable que le tiers en charge des personnes qui en sont privées s'engage à donner, le cas échéant, son accord à sa place.

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