Intervention de Alain Fischer

Commission des affaires sociales — Réunion du 16 décembre 2020 à 9h00
Audition de M. Alain Fischer professeur d'immunologie pédiatrique et président du conseil d'orientation sur la stratégie vaccinale

Alain Fischer, professeur d'immunologie pédiatrique, président du Conseil d'orientation sur la stratégie vaccinale :

Faut-il vacciner en priorité les vaccinateurs et convaincre les professionnels de santé du bien-fondé de la vaccination ? La HAS n'en a pas fait une priorité, sauf pour les professions de santé qui travaillent en Ehpad et à hauts risques, mais ce n'est qu'un tout petit contingent.

Les autres professionnels de santé apparaissent dans l'étape suivante - la deuxième marche de l'escalier - et la troisième étape arrive assez vite. En théorie, si tout se passe bien et si les vaccins sont délivrés à temps, la deuxième phase débutera en février ou mars. Il existe donc un petit délai.

L'option de la HAS a été de privilégier les personnes les plus à risques, à la fois les plus vulnérables - donc très âgées - et les plus exposées car, vous le savez bien, on a malheureusement connu des clusters et quelques catastrophes dans un certain nombre de ces établissements.

Les paramètres qui définissent cette priorité sont à mon avis respectables. Il est évident qu'on pourrait avoir des stratégies un peu différentes, mais les choses sont assez proches dans les pays voisins. Parfois, les professions de santé y apparaissent un peu plus tôt, comme en Grande-Bretagne, sans qu'il existe une énorme différence entre les priorités.

Il n'y a pas de vérité absolue : il faut bien commencer à un moment, sachant qu'il faut tenir compte des questions liées au nombre de vaccins disponibles et à la logistique autour de la vaccination. Tant mieux d'une certaine façon, car je trouve plutôt bien qu'on ne vaccine pas massivement 30 millions de personnes.

Je pense qu'on aurait plus de difficultés à le faire accepter qu'avec cette progressivité. Un bloc d'environ un million de personnes va être tout d'abord concerné, puis un deuxième bloc de l'ordre de 3 à 4 millions de personnes puis, crescendo, 14 millions de sujets. Ceci me paraît assez adapté et nous donne le temps, je le crois vraiment, de faire en sorte que l'adhésion à la vaccination progresse au fur et à mesure de ces étapes.

Cela n'empêche qu'il faut convaincre les professionnels de santé. Ce sont surtout les infirmiers qui sont réticents. Pour les médecins généralistes, ce n'est pas si mal, à vrai dire, d'après les dernières enquêtes, même s'il reste du travail. Les pharmaciens sont à peu près dans la même proportion que les généralistes. Ils sont très demandeurs d'informations sur les vaccins - et c'est plus que légitime puisqu'ils en ont très peu.

À vrai dire, je n'en sais guère plus. Les annonces des industriels - Pfizer, Moderna puis AstraZeneca - au sujet de résultats positifs datent d'il y a moins d'un mois. Les publications scientifiques dont on dispose enfin, qui sont très importantes pour bien évaluer ces résultats, remontent à il y a 8 jours. Il faut transposer tout cela en termes accessibles aux professionnels de santé, avec des documents clairs qui répondent à leurs questions.

Olivier Véran vient de réaliser une visioconférence avec 20 000 généralistes. Beaucoup plus modestement, je tiendrai une réunion vendredi après-midi avec un certain nombre de représentants de médecine générale. Je vais faire preuve de pédagogie. L'idée est de décrire les vaccins, de parler de leur efficacité, de la tolérance, des questions de logistique. Cet effort d'information doit être démultiplié. Plus les généralistes auront acquis de connaissances et disposeront de documents, plus ils seront à l'aise pour en discuter avec leurs patients.

Les choses se feront progressivement, mais il n'y a pas de raison qu'on n'y arrive pas. On part d'un niveau assez bas. J'observe néanmoins, en ce qui concerne les professionnels de santé et la population générale, que le climat, quoi qu'on en dise, est un tout petit peu plus en faveur de la vaccination. En témoigne ce qui se passe autour de la vaccination antigrippale, dont le taux de couverture atteint, selon les informations de Santé publique France de ce matin, quinze points de plus que l'année dernière. Cela signifie quelque chose. Cela veut dire que les gens attendent la vaccination, même s'il s'agit de la grippe.

Vous trouverez ces informations sur le site de Santé publique France. Je pense que les personnes vulnérables, les personnes âgées, celles atteintes de maladies chroniques diverses, les personnes en situation de précarité, qui représentent environ 14 millions de personnes, sont pour beaucoup prêtes à se faire vacciner. Elles vont nous apporter une aide importante pour convaincre leurs enfants, leurs amis, etc.

Quant à la vaccination des jeunes, elle est très dépendante de la transmission. Si on apprend dans les mois qui viennent - c'est malheureusement une information difficile à recueillir - qu'un ou plusieurs vaccins bloquent la transmission ou la réduisent, les jeunes étant, du fait de leurs habitudes sociales, ceux qui propagent le plus le virus, il y aura intérêt à accélérer leur vaccination. On aurait là un effet barrière plus fort. Tant qu'on ne dispose pas de cette information, il est plus légitime de protéger les plus fragiles. Lorsque l'information sera validée, les options devront être modifiées.

Existe-t-il des risques, en particulier pour les jeunes, de maladies auto-immunes ? Je ne peux répondre non. C'est aujourd'hui impossible à dire, mais si risque il y a, il est très faible. Selon les résultats des essais cliniques de Pfizer et de Moderna, les deux groupes représentent 35 000 personnes environ, dont beaucoup de jeunes. On n'enregistre pas de signal, avec trois mois de recul. Cela peut paraître insuffisant, mais ce n'est pas rien, car la plupart des troubles qui ont été décrits dans le passé, qu'ils soient exacts ou non - c'est encore une autre affaire - surviennent dans les semaines qui suivent la vaccination. Il n'y a pas de signe en ce sens. Les complications sont très rares.

Ce n'est évidemment pas une raison pour les négliger ou ne pas les dépister, mais c'est plutôt rassurant. Ce n'est sûrement pas un argument pour dire que les jeunes ne sont pas prioritaires, mais les personnes fragiles le sont davantage.

La première phase concerne les Ehpad ou les unités de soins de longue durée (USLD) et les professionnels de santé à risques de ces établissements. Faut-il l'élargir à tous les professionnels de santé ? Encore une fois, cela va venir assez vite.

Imaginons que l'option de vacciner d'emblée tous les professionnels de santé ait été prise en incluant les personnes travaillant dans le médico-social : cela représente environ 2 millions de personnes. En janvier, trois millions de doses environ seront disponibles. On peut donc vacciner 1,5 million de personnes en deux injections. On sait par ailleurs qu'on aura une déperdition, compte tenu d'une logistique malheureusement complexe. Les services du ministère estiment que l'on ne pourra vacciner qu'un million de personnes. Il faut donc s'adapter.

Les personnes âgées autonomes vivant à domicile sont prévues en phase 2, mais cela va dépendre des vaccins disponibles. Le vaccin de Pfizer a besoin d'être stocké à - 70 degrés, ce qui représente un nombre limité d'endroits en France.

Une fois que le vaccin est décongelé, on dispose de cinq jours pour l'utiliser, dont un maximum de douze heures de transport, car l'ARN est très fragile. Il existe donc un problème de logistique pour réaliser la vaccination dans les cabinets des généralistes à ce stade - je dis bien à ce stade.

Il faudra, tant qu'on n'a que ce vaccin, vacciner dans des centres de santé, ce qui n'est pas très approprié pour les personnes autonomes. Certaines communes sont très impliquées dans la mise en place de centres de vaccination et aller chercher les personnes, mais ce ne sera pas simple.

Les plus de 75 ans constituent la deuxième priorité. Cela me paraît assez raisonnable en termes de faisabilité.

La question de l'imputabilité des événements qui peuvent survenir chez les personnes vaccinées est une question majeure, en particulier dans les Ehpad ou les établissements accueillant des personnes âgées où, malheureusement, des patients décèdent. Il est statistiquement certain que certains décéderont dans les jours ou les semaines qui vont suivre la vaccination.

Comment éviter que cela ne crée une forme de crise ? Les systèmes de pharmacovigilance sont des éléments clés pour la remontée et l'analyse des événements, ainsi que pour l'information. L'ANSM est fortement mobilisée sur cette question et a déjà très bien géré la pharmacovigilance dans le passé. Les Français pensent qu'il n'existe pas de surveillance. Ce n'est pas exact. L'ANSM a repéré dans le passé des complications extrêmement rares dues à des vaccins, de l'ordre de moins de 1 sur 100 000. Elle est donc assez bien armée et très sensibilisée. Je suis convaincu que ce travail sera fait avec le plus grand sérieux.

Il est sûr que des incidents de communication peuvent survenir. Il faudra les gérer. Cela étant, ce problème n'est pas qu'à considérer dans le contexte de la vaccination des personnes âgées. La vaccination d'un million de femmes entre 30 et 40 ans serait suivie, dans les semaines qui suivent, d'environ 400 cas de sclérose en plaques. C'est ce qu'on observe dans la population générale. Or la sclérose en plaques est un sujet sensible depuis le problème survenu avec la vaccination contre l'hépatite B.

Il va falloir à nouveau réaliser un travail d'imputabilité pour savoir si on dépasse les seuils et expliquer tout cela. Dans le cas de l'hépatite B, on a mis un certain temps à démontrer qu'il n'existait pas de surrisque. Cette problématique d'imputabilité d'événements qui surviennent au décours de la vaccination va se poser globalement, et pas uniquement chez les personnes très âgées. Il retient toute l'attention de la pharmacovigilance. Nous y serons très attentifs. Le sujet va nécessiter des efforts de pédagogie importants pour faire comprendre au public que coïncidence ou concomitance d'événements ne vaut pas causalité.

La première marche se situera normalement en janvier et débordera probablement sur février. L'étape suivante définie par la HAS concerne les personnes de plus de 75 ans, les plus de 65 ans avec facteurs de risque, les professionnels de santé de plus de 50 ans ou avec des facteurs de risque. On commence là à couvrir une partie non négligeable des professionnels de santé. On descend ensuite dans les classes d'âge. Cela représente entre un mois et six semaines a priori, à réviser chaque semaine.

La phase 1 est prévue pour un million de personnes et doit se dérouler sur un mois, avec une marge d'erreurs importante. C'est l'ordre de grandeur que l'on peut garder en tête.

J'aimerais pouvoir répondre à la question sur la durée de la protection mais, par définition, on ne la connaît pas. Les premières personnes vaccinées dans les essais de phase 3 l'ont été fin juillet, il y a quatre mois et demi à cinq mois de cela, la deuxième vaccination devant être réalisée trois semaines plus tard. On sait aujourd'hui que les données d'efficacité se sont confirmées avec trois mais à trois mois et demi de recul. Les titres d'anticorps ne sont pas mauvais, mais la corrélation n'est pas encore établie entre anticorps et protection. Ce sera peut-être une manière d'accélérer l'information.

La seule réponse consistera à suivre ce qui se passe. C'est un élément clé dans l'évolution de la stratégie vaccinale : les adaptations liées à la durée de la protection, à la transmission, aux autorisations des prochains vaccins nécessitent la mise en oeuvre de logistiques plus ou moins complexes. L'Agence européenne du médicament a accéléré son processus et va donner sa réponse le 21 décembre. Il faut ensuite deux à trois jours pour que la HAS émette les documents et les recommandations associées. Un avis du Comité d'éthique est attendu sur les questions d'agrément et d'information des personnes qui vont être vaccinées.

Théoriquement, la vaccination peut ensuite commencer. Pour l'instant, seules 10 000 doses du vaccin Pfizer ont été livrées. Il est possible que quelques personnes soient vaccinées les jours suivants, mais le programme va véritablement se mettre en route en janvier avec la livraison d'au moins un million de doses fin décembre ou début janvier. Ce sera progressif, même au sein de la phase 1.

Pour s'assurer que tout fonctionne, il faut que la logistique soit effective en matière de matériels, d'organisation, de sécurité médicale et d'éthique. Il faut que les consentements aient été recueillis. On peut y ajouter la nécessité de la traçabilité, la possibilité de repérer d'éventuels événements. Même si on ne les redoute pas trop, il faut être en situation de les repérer.

Parmi les personnes prioritaires, vous avez évoqué les aides à domicile. Elles interviendront normalement en priorité 2 et 3, assez vite derrière la population des Ehpad. On pourra en ajouter d'autres, par exemple les patients atteints de maladies chroniques. On sait que les insuffisants rénaux chroniques courent des risques assez sérieux en cas d'infection. Les personnes en situation précaire ou vivant en promiscuité sont à la fois très exposées et très vulnérables. Ne faut-il pas, pour ces catégories, avancer le calendrier ?

Énormément de questions sont en suspens, mais ces sujets vont faire l'objet de discussions pour affiner les choses. Un certain nombre de populations sont concernées - caissières, policiers, gardiens de prison, prisonniers. Il faut toutefois essayer d'ajuster les choses et ne pas établir trop de sous-catégories, sous peine de se perdre sur le plan pratique. Il faut trouver le bon ton et le bon timing.

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