Intervention de Alain Fischer

Commission des affaires sociales — Réunion du 16 décembre 2020 à 9h00
Audition de M. Alain Fischer professeur d'immunologie pédiatrique et président du conseil d'orientation sur la stratégie vaccinale

Alain Fischer, professeur d'immunologie pédiatrique, président du Conseil d'orientation sur la stratégie vaccinale :

Le vaccin ARN n'est pas une thérapie génique. Une thérapie génique consiste à modifier le patrimoine génétique d'une cellule donnée. Ce peut être une cellule-souche de la moelle osseuse, une cellule de la rétine - un très joli travail d'une équipe française vient d'être réalisé sur ce point -, avec un effet recherché le plus persistant possible, par exemple pour des maladies génétiques, ou moins persistant, pour traiter des cancers.

Dans le cas présent, on ne modifie pas le patrimoine génétique d'une cellule. On permet à une protéine ARN de s'exprimer, ce qui n'est pas la même chose. C'est un vrai vaccin, mais avec une façon différente d'apporter l'antigène. La façon classique de procéder repose sur un virus entier inactivé. Certains vaccins chinois anti-SARS-CoV-2 sont de ce type. Ce ne sont pas les meilleurs, mais ils existent. C'est la vision la plus traditionnelle de la vaccination. Cela pourrait être des virus atténués. Les Chinois travaillent aussi dessus. Ce n'est pas facile parce qu'il faut être sûr qu'il est vraiment atténué. C'est l'exemple, dans un autre domaine, du vaccin contre la rougeole.

Certaines stratégies ne sont pas nouvelles et existent depuis plusieurs années : on place dans le vaccin une ou plusieurs protéines et un adjuvant. C'est la stratégie de Sanofi et d'une société américaine appelée Novavax. C'est la protéine qui déclenche la réponse immune.

La stratégie avec l'ARN est nouvelle, car elle n'a jamais été utilisée à ce jour dans la vaccination contre les maladies infectieuses. Elle a toutefois déjà été utilisée pour essayer de renforcer les défenses immunitaires de personnes atteintes de cancers, sous forme d'immunothérapie depuis plusieurs années déjà. Il s'agit exactement de la même stratégie.

Un point important est que ces personnes atteintes de cancer, donc plutôt fragiles, n'ont pas développé d'effets secondaires. Cela me paraît une notion intéressante.

D'autre part, il convient de noter qu'on utilise d'autres ARN à but thérapeutique un peu différents. Ce sont des ARN plus courts, des molécules plus petites, utilisées par exemple pour bloquer l'expression d'un ARN physiologique ou pathologique en se fixant dessus. On les utilise pour traiter des maladies rares comme les porphyries, l'amyotrophie spinale. Ces ARN sont injectés dans le liquide céphalorachidien et se répandent dans le système nerveux.

On est dans un ordre de grandeur de 10 000 ou 100 000 fois plus. Ces traitements sont administrés régulièrement, car ces ARN se dégradent assez vite. Personne n'a pas développé de maladie auto-immune ni d'anomalies génétiques par intégration dans le génome. On pourrait d'ailleurs faire remarquer que si un tel risque existait, on pourrait avoir ce type d'événement en cas d'infection par un virus de la grippe. Or on ne l'a jamais vu.

Même les virus qui s'intègrent, comme celui du SIDA, s'intègrent dans le génome des cellules. Il est évidemment cause de la maladie que l'on connaît, mais ce n'est pas une lésion génétique. Il n'y a pas de remaniement génétique provoquant un cancer ou une autre maladie.

Ce sont des éléments rassurants, qu'il s'agisse de la crainte de cancers ou de maladies auto-immunes, même si tout cela n'est pas complètement bordé, puisque c'est nouveau. On part cependant avec beaucoup d'éléments rassurants, en plus du fait qu'on n'a rien observé à court terme.

Par ailleurs, on ne peut pas dire que les vaccins ne bloquent pas la transmission. On ne le sait pas, ce n'est pas pareil. Je dirais, sous forme de boutade, que je serais surpris qu'il n'existe pas un certain effet de protection. Il est peu fréquent, dans le monde des vaccins, qu'il y ait dissociation entre protection contre la maladie et transmission des virus, comme pour la poliomyélite. Il est probable que les choses ne sont pas toutes blanches ou toutes noires. Une protection partielle ne serait déjà pas si mal.

On aura assez vite des éléments indirects grâce à la mesure des anticorps contre d'autres protéines du virus pour voir si les personnes vaccinées développent ou non des infections asymptomatiques. Si ce n'est pas le cas, cela irait dans le bon sens.

À court terme, je vous rejoins : on ne peut évidemment pas utiliser cet argument pour communiquer ni compter sur l'altruisme en disant qu'il faut se vacciner pour se protéger mais aussi protéger ses proches. J'espère toutefois que cela pourra être le cas dans un second temps.

On peut cependant communiquer en disant qu'on peut, au-delà des professionnels de santé et des personnes fragiles, vacciner les personnes fragiles. Cette population-là, ainsi que le montrent les enquêtes d'opinions, est dans l'attente de la vaccination. On devrait donc avoir, sauf souci de logistique, en avril, mai ou juin, environ 10 millions de personnes vaccinées qui feront la promotion de la vaccination auprès de leur entourage familial, professionnel, amical, etc.

Pour l'instant, il n'y a pas d'alerte particulière, mais il existe des inconnues. Le vaccin Pfizer, aujourd'hui, n'est pas encore validé par la communauté européenne. Il est assez peu probable qu'il ne le soit pas, étant donné qu'il l'a été en Grande-Bretagne, aux États-Unis, au Canada, et même en Arabie saoudite.

Le Moderna va arriver assez vite. Ayant à peu près les mêmes caractéristiques, il est très probable qu'il sera validé. Il est un peu plus facile à stocker, puisqu'il se conserve à - 20 degrés. Pour l'AstraZeneca, c'est un peu plus compliqué parce que de petites erreurs ont été commises. On attend le résultat d'une étude clinique en cours qui tombera au printemps.

On trouve un autre vaccin du même type que l'AstraZeneca, fondé sur des adénovirus qui sont à l'origine d'infections respiratoires banales, soit des virus venant de l'homme ou du singe, modifiés ou dans lesquels se trouve le gène qui code pour la fameuse protéine Spike. Il est à la limite un peu plus proche de la thérapie génique. C'est une technologie qui a déjà été utilisée avec succès et en toute sécurité, par exemple contre le virus Ébola. On a donc un recul de plusieurs années.

La communauté européenne a commandé beaucoup de doses d'AstraZeneca. Il faut juste s'assurer que cela tient la route sur le plan de l'efficacité, en matière clinique et en matière d'anticorps.

Il existe une autre préparation de même type du laboratoire américain Johnson & Johnson. Elle est presque fondée sur le même principe. Ce laboratoire espère même qu'on pourra ne recourir qu'à une seule dose, ce qui serait évidemment un avantage. On verra. Je suis un peu dubitatif. Ce sera pour le printemps.

De même, on peut espérer des résultats en principe de phase 3 du premier vaccin américain basé sur les protéines, Sanofi ayant pris du retard. Ce sont des vaccins qui peuvent être conservés à 4 degrés, beaucoup plus faciles d'emploi pour les généralistes, les pharmaciens, etc.

L'Europe en a commandé un peu. Ils seront peut-être disponibles à la fin du deuxième trimestre, Sanofi venant au second semestre. D'autres stratégies vaccinales sont en train d'être testées. On aura des données à leur sujet au troisième ou au quatrième trimestre 2021. Des vagues successives de vaccins viendront donc alimenter la discussion sur la vaccination.

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