Intervention de Jacky Deromedi

Délégation aux entreprises — Réunion du 17 décembre 2020 à 9h00
Examen du rapport sur les difficultés des entreprises françaises à l'étranger présenté par mme jacky deromedi

Photo de Jacky DeromediJacky Deromedi, rapporteur :

Mes chers collègues, si l'épidémie de COVID est mondiale et frappe sans distinction, les réponses apportées ont été nationales et très fortement inégales selon les pays.

La France a déployé un soutien appuyé à ses entreprises de métropole et d'outre-mer. Le plan de soutien a contribué à la bonne résistance de l'économie française au choc du confinement. Les entreprises conservent à leur bilan une part importante des pertes liées au premier confinement mais peuvent étaler dans le temps le coût de la crise grâce aux prêts garantis et aux facilités de trésorerie. Cependant, comme la commission des Finances l'a démontré, la somme de « 100 milliards » annoncée doit être relativisée.

Il n'en reste pas moins que ce plan de soutien exceptionnel à nos entreprises déroge à de nombreuses règles, à commencer par nos engagements européens de rigueur budgétaire. Toutefois, les aides sont apportées dans un cadre strictement national, sur le plan territorial, aux entreprises implantées en France, quelle que soit leur nationalité. Les entreprises européennes implantées en France en bénéficient naturellement conformément au principe de non-discrimination économique. Les entreprises françaises qui ont des filiales à l'étranger pourront également faire bénéficier ces dernières des mesures de soutien, de façon indirecte. Ainsi, le prêt garanti par l'État pourra être utilisé pour des investissements effectués par des filiales à l'étranger.

En revanche, des entreprises de droit étranger, implantées hors du territoire national, n'ont accès à aucun des dispositifs d'aide élaborés par le Gouvernement. Le critère de territorialisation domine, quand bien même il doit être relativisé dans une économie fortement ouverte à la mondialisation comme l'est la France. De grandes entreprises du CAC 40 ont leur siège social hors de notre pays mais sont considérées et se considèrent comme françaises. D'autres le sont de moins en moins, et on le voit dans leur stratégie. Les chaînes de valeur ne s'arrêtent toutefois plus aux frontières étatiques. Pas plus qu'il n'existe de définition juridique de « l'entreprise », il n'existe pas de définition économique de « l'entreprise française ». Ainsi, les flux économiques générés par les « entreprises françaises à l'étranger » ne sont pas appréhendés correctement alors qu'elles contribuent positivement à notre balance commerciale et donc, à l'emploi en France. Un boulanger français établi au Vietnam qui commande sa farine en France fait vivre la filière minotière française et exporte un savoir-faire, un savoir-vivre, une image et une culture qui contribuent à l'influence de notre pays dans le monde, à notre « soft power ». Cela n'est pas assez reconnu.

Le rapport préconise donc que s'organise une réflexion pour une meilleure connaissance de l'impact de ces entreprises sur notre économie. Le Conseil national de l'information statistique (CNIS), qui assure la concertation entre les producteurs et les utilisateurs de la statistique publique et doit ainsi « mettre en lumière les nouveaux besoins, dans une démarche prospective », pourrait en être chargé, avec le soutien de l'INSEE. On peut relever, dans une logique très différente, la lutte contre la corruption, qu'une directive 2015/849/UE du 20 mai 2015 considère un « bénéficiaire effectif », comme la ou les personnes physiques qui possèdent ou contrôlent, directement ou indirectement, une entreprise, sans s'arrêter à sa nationalité ou son dirigeant juridique.

Ensuite, l'identification de chaque entreprise doit être délocalisée et assurée par un comité d'identification des entreprises françaises à l'étranger, qui pourrait être placé sous la direction des services économiques de nos ambassades et en associant toutes les parties prenantes, principalement le réseau des Chambres de commerce à l'international (CCI-FI), la Team France Export sur le terrain, les conseillers du commerce extérieur, et, bien évidemment, les conseillers des Français de l'étranger.

Enfin, il faut organiser une veille permanente de l'action de nos principaux partenaires commerciaux, lesquels, au demeurant, sont assez peu proactifs en direction de leurs entrepreneurs expatriés.

Dans un second temps, un dispositif d'aide en direction des entrepreneurs doit bénéficier en priorité aux PME et TPE et aux auto-entrepreneurs. Ces derniers n'ont en général pas de lien capitalistique avec des entreprises françaises et donc ne bénéficient, même indirectement, d'aucune aide.

Il faut distinguer l'aide à l'entrepreneur de l'aide à l'entreprise.

La première catégorie concerne les secours occasionnels d'urgence qui peuvent concerner les expatriés entrepreneurs, mais aussi d'autres ressortissants français comme les touristes français. Face à la crise et à ses conséquences sociales pour les Français de l'étranger, un dispositif de soutien d'un montant de 50 millions d'euros a été décidé le 30 avril 2020 pour abonder les crédits de l'aide sociale, et les crédits octroyés aux OLES ont été portés de 477 860 à 632 000 euros par redéploiement de crédits.

Cette aide sociale d'urgence est très modeste : attribution ponctuelle d'une aide allant de 47 à 150 euros par ménage et d'un supplément par enfant à charge de 100 euros. Elle en outre été peu utilisée jusqu'à présent, en raison de critères opaques et de la lourdeur des démarches administratives pour l'obtenir.

Il conviendrait de rendre permanente une telle « caisse de secours » d'urgence. C'est la proposition faite par le Sénat qui a adopté, le 30 juin 2020, une proposition de loi de Ronan Le Gleut portant création d'un fonds d'urgence pour les Français de l'étranger, victimes de catastrophes naturelles ou d'événements politiques majeurs, dont le dispositif est destiné à répondre à une telle préoccupation, car tous les Français ont droit à la solidarité nationale qui s'exprime sans condition d'assujettissement fiscal ou social.

S'agissant de l'aide à l'entreprise ensuite, un engagement a été pris par le Gouvernement le 1er juillet dernier, lorsqu'en réponse à ma question d'actualité, le secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, M. Jean-Baptiste Lemoyne, avait annoncé un « volet complémentaire, à destination des entrepreneurs, dont certains ne bénéficient pas d'aides locales ». Toutefois, ni la 4ème loi de finances rectificative de juillet dernier, ni l'actuelle loi de finances pour 2021 ne contiennent un tel volet. Cet engagement pris devant le Sénat serait-il caduc ?

La doctrine actuelle du Gouvernement est qu'il « demeure attentif aux difficultés rencontrées par nos compatriotes entrepreneurs à l'étranger face à la crise sanitaire et met tout en oeuvre pour leur venir en aide dans le cadre des dispositifs existants », selon l'une de ses réponses à une question écrite d'un de nos collègues sénateurs. Vous avouerez, chers collègues, que c'est un peu court. Pour la délégation aux entreprises, si elle me suit dans mes propositions, ce volet complémentaire devrait comporter les éléments suivants :

Un soutien au réseau CCI-FI, car il faut aider ceux qui aident les entrepreneurs expatriés. Leurs sources de revenus sont constituées des cotisations de leurs membres, de ressources liées à l'événementiel, ou à la mise à disposition de locaux dans des centres d'affaires et la fourniture de services d'appui aux entreprises françaises. Le ralentissement de l'activité économique entraîne de facto le ralentissement des activités de ce réseau et donc de leurs recettes.

Ce soutien de notre réseau d'appui économique aux entreprises doit également rendre plus accessibles, notamment aux TPE et auto-entrepreneurs, les aides nationales en direction des entreprises françaises à l'étranger et les aides existantes, le cas échéant dans les pays étrangers.

Les outils existants devraient être reformatés pour être mobilisés en faveur des PME, TPE et auto-entrepreneurs :

- ARIZ, garantie en perte finale proposée par l'Agence française de développement (AFD) aux institutions financières pour couvrir 50 % à 75 % d'un prêt individuel ou un portefeuille de prêts aux PME et aux institutions de microfinance, devrait aller au-delà des limites actuellement fixées ;

- la garantie publique sur le crédit-fournisseur devrait être rendue temporairement accessible aux TPE françaises à l'étranger, dès lors qu'un lien économique, et non pas juridique, existe avec la France ;

- ce qui a été fait en faveur des PME et TPE africaines, avec le dispositif Garantie Choose Africa Resilience, inspirée du PGE français, pour mobiliser jusqu'à 65 % de la garantie de l'État, pour inciter des banques locales à prêter aux TPE et PME africaines (en particulier 160 millions d'euros de prêts garantis pour une dizaine de pays), doit être étendu à d'autres continents ;

- afin de permettre aux EFE d'avoir accès au dispositif de volontariat international en entreprises, il convient d'encourager la constitution d'une société de droit français, qui serve d'interface juridique avec des PME françaises à l'étranger ;

- enfin, pour aider à la reconstitution de trésorerie d'entreprises françaises à l'étranger, impactées directement par la crise sanitaire, il faut permettre à Bpifrance d'apporter une contre-garantie aux banques locales.

Ce sont des pistes, des orientations générales, qu'il conviendra au Gouvernement de détailler. Nous attendons l'audition du ministre Franck Riester avec impatience et espérons qu'il se rendra disponible en janvier pour lui présenter nos propositions. Ces propositions montrent le souci constant du Sénat, qui assure la représentation des Français hors de France, d'intégrer la dimension économique et entrepreneuriale de nos compatriotes expatriés. Ils concourent activement à la promotion de la marque France, aux flux économiques entre notre pays et l'étranger, et la crise a révélé leur fragilité, qui appelle un soutien pragmatique mais solide à leurs côtés.

La résilience des entreprises françaises à l'étranger est en effet la condition et le préalable de la reconquête de marchés extérieurs. C'est la raison pour laquelle nous considérons qu'elles sont parties prenantes de la Team France Export, même si cette dernière peine quelque peu à le reconnaître.

Je remercie le président de la Délégation aux entreprises de m'avoir permis d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur cette catégorie d'entreprises en faveur de laquelle j'ai plaidé en adressant un courrier, à ce jour sans réponse, au Président de la République. J'espère que mes collègues représentants des Français de l'étranger de l'Assemblée nationale se feront également entendre sur ce sujet, bien que nous ne soyons pas entrés en période électorale.

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